Pour la Recherche n° 22
Décembre 99 - Qualité de vie en santé publique


  • Éditorial, par le Dr Alain Leplège
  • Evaluation de la Qualité de Vie chez des Patients Schizophrènes suivis en CMP, CATTP et Hôpital de jour, F. Petitjean, F. Salomé, C. Germain, J.C. Demant
  • Evaluation de la Qualité de la Vie dans la Schizophrénie D. PRINGUEY - M. ZANNOTTI
  • Annonce : Formation à une nouvelle méthode d'entretien psychologique en recherche clinique
  • Médecine prédictive et qualité de vie : le test présymptomatique de la maladie de Huntington Marcela Gargiulo, Jean Claude Buzzi, Khadija Lalhou, Alexandra Dürr
  • Hommage à Claude Veil
  • abonnement

  • Comité de Rédaction et remerciements


  • Editorial par Alain Leplège

    - Dr Alain LEPLEGE* -

    * Après avoir été utilisé en gériatrie et en cancérologie, le concept de qualité de vie apparaît en psychiatrie dans les années 70 aux Etats-Unis au décours du mouvement d'ouverture des hôpitaux psychiatriques. Le retour des patients psychotiques dans la communauté a été difficile, ceux-ci se retrouvant souvent en situation précaire. Dans ce contexte, des auteurs comme Baker et Intagliata, ou A. Lehman, ont élaboré des échelles destinées à évaluer la qualité de vie des malades mentaux chroniques. Leur démarche était sous-tendue par le besoin d'évaluer les stratégies mises en œuvre et s'est développée pour améliorer la prise en charge des patients dans la communauté. De manière générale, les échelles utilisées reflètent l'importance accordée par ces auteurs à l'impact social et économique des troubles psychiatriques.

    Le concept auquel il est fait référence diffère de la notion commune de qualité de vie qui est intuitive et idiosyncratique. Il accepte plusieurs définitions qui sont standardisées et explicites, mais qui varient selon les écoles et selon les objectifs de la mesure. Par delà ces différences, la caractéristique commune des mesures de qualité de vie est de prétendre refléter l'impact des maladies et des interventions de santé sur la vie quotidienne des patients du point de vue des intéressés eux mêmes. C'est pour affirmer cette caractéristique novatrice que Denis Bucquet a proposé d'utiliser l'expression inédite de "santé perceptuelle", proche de celle de santé perçue et distincte de celle de mesure subjective en santé.

    Les mesures de qualité de vie sont obtenues à partir des réponses des patients à des questionnaires standardisés. Ces réponses reflètent les jugements que portent les patients sur leur propre état de santé, leur satisfaction au niveau de la santé et de la vie et surtout, la répercussion de la maladie et des traitement associés. Ces mesures élargissent les connaissances apportées par les mesures cliniques traditionnelles. Bien entendu, lorsqu'il s'agit de déterminer si les patients ont une vie différente dans certains domaines spécifiques, l'approche phénoménologique, ainsi que l'étude des biographies des patients, sont également d'un apport précieux.

    Certes les domaines pour lesquels la dépression influence les conditions de vie sont nombreux (l'hygiène alimentaire, l'appétit, les activités quotidiennes à la maison, le sommeil, les relations avec les autres, l'estime de soi, le travail, l'affection, les activités sexuelles...). Mais c'est surtout dans l'évaluation des stratégies de soin des pathologies au long cours entraînant un lourd handicap social qu'il est apparu utile de prendre en compte la qualité de vie (évaluation des psychothérapies, sociothérapies et traitements médicamenteux). Notons que la reconnaissance de la différence de point de vue entre patients et soignants peut permettre d'envisager une meilleure alliance thérapeutique, une meilleure compliance au traitement. *

    * Psychiatre, chercheur - INSERM U 292 Alain

    cf. Alain Leplège, La mesure de la qualité de vie, Coll. Que Sais-Je ?, PUF, (1999) numéro 3506.


    Sommaire

    Evaluation de la Qualité de Vie chez des Patients Schizophrènes

    suivis en CMP, CATTP et Hôpital de jour

     

    F. Petitjean, F. Salomé, C. Germain, J.C. Demant*

    La référence à la "qualité de vie" est relativement récente en psychiatrie où elle est apparue au début des années 80. On retiendra ici la définition de la qualité de vie de l'OMS : c'est la perception qu'a un individu de sa place dans l'existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lequel il vit et en relation avec ses objectifs, ses attentes et ses inquiétudes.

    Il est difficile d'identifier à l'heure actuelle un corpus unique de recherche en référence à la qualité de vie dans la mesure où ce concept est né de problématiques assez éloignées les unes des autres et sous l'égide de disciplines différentes. On peut rattacher la notion de qualité de vie à trois grands types de paramètres :

    * les conditions de vie objectives et la perception subjective de ces conditions

    * l'éventail des capacités, des limites fonctionnelles et des performances réelles de la personne

    * le sentiment de bien être subjectif relié à des états de bien être ou de détresse.

    On soulignera l'hétérogénéité des phénomènes qui sont décrits sous le terme "qualité de vie" : les uns correspondent plus au bien être subjectif, les autres étant plus proches des conditions de vie objectives.

    En psychiatrie, l'intérêt pour la qualité de vie des patients atteints de pathologies chroniques est historiquement lié au développement des techniques de réhabilitation psychosociale. Les études sur la qualité de vie en psychiatrie s'inscrivent dans une problématique de réintégration sociale.

    Dans le champ de la schizophrénie, on ne peut adopter cette démarche qu'en s'appuyant sur la partie saine du sujet. Néanmoins, les perturbations des aptitudes cognitives observées chez ces patients rendent difficile l'évaluation de leur qualité de vie.

    Malgré ces limites, des échelles pour mesurer la qualité de vie des patients psychotiques chroniques ont été développées. Parmi celles-ci, il existe celle réalisée par A. Lehman, la Quality of Life Interview (1983). Récemment, Oliver et ses collaborateurs (1996) ont conçu une version courte et remaniée de cette échelle, la Lancashire Quality of Life Profile. Avec cette échelle, plusieurs aspects influençant la qualité de vie de ces patients ont été étudiés, comme le sexe (Röder-Wanner et al. 1998), le type de prise en charge thérapeutique (Kaiser et al. 1997), les différences socio-culturelles entre pays dans les systèmes de soins en santé mentale (Warner et al. 1998) et la qualité de vie propre à chaque domaine (Kemmler et al. 1997).

    En France, notre équipe a obtenu quelques résultats préliminaires avec cette échelle dans le cadre d'une étude en cours (Germain et al. 1998a/b ; Salomé et al. 1999), dont les objectifs sont :

    * Mesurer la qualité de vie de patients schizophrènes à l'aide de l'échelle LQLP afin d'en valider la version française.

    * Comparer la qualité de vie de patients schizophrènes suivis au CATTP ou en hôpital de jour à celle de patients suivis au CMP afin de pointer parmi les aspects de leurs conditions de vie ceux qui nécessitent une amélioration (T0).

    * Réévaluer la qualité de vie des patients suivis au CATTP ou en hôpital de jour après 6 mois de prise en charge (T1).

    Méthodologie

     

    Population

    Tous les patients répondent au diagnostic de schizophrénie (CIM 10 1990) et forment deux groupes distincts : le premier est suivi en consultation au CMP (patients A) et le second en CATTP ou en hôpital de jour (patients B). Le CATTP (l'Escale) et l'hôpital de jour sont des unités de soins dont les activités visent respectivement la restauration du lien social et la réadaptation psychosociale.

    Instruments d'évaluation

    Il s'agit de 5 échelles : la CGI (Von Frenckell 1991), la DAI 10 (Hogan et al. 1983), la GAF (APA 1994), la PANSS (Kay et al. 1987) et la LQLP (Oliver et al. 1996).

    La LQLP est une échelle d'auto et d'hétéro-évaluation qui comprend des mesures objectives et subjectives dans plusieurs domaines de la vie, ainsi qu'une mesure du bien-être global. L'échelle regroupe différents domaines de la vie. Parmi ces domaines et les aspects sélectionnés pour notre étude, nous avons : le travail (a un emploi), les loisirs (télévision et radio consultés), la religion (pratiquant), les finances (revenu mensuel), le mode de vie (vit chez ses parents), la loi et la sécurité (victime de violence), les relations familiales (célibataire), les relations sociales (a un ami), la santé (hospitalisé durant l'année) et les conflits internes (sujet satisfait avec lui-même). L'utilisation en clinique de la LQLP permet d'obtenir des profils de qualité de vie objective et subjective.

    Résultats préliminaires

     

    Données cliniques

    Groupes Patients A Patients B

    Variables (CMP) (CATTP/hôpital de jour)

    Nombre de patients 22 25

    Répartition des sexes 12 hommes 15 hommes

    10 femmes 10 femmes

    Age moyen

    (années) 38,90 36,80

    Profils de qualité de vie objective

    Pour obtenir ces profils, nous avons repris tous les scores, exprimés en % moyens, concernant un aspect spécifique à chaque domaine évalué (Annexe 1). Les patients A semblent avoir une qualité de vie objective supérieure à celle des autres patients dans plusieurs domaines (travail, santé, conflit psychique, finances, relations familiales, relations sociales, religion).

    Profils de qualité de vie subjective

    Pour réaliser ces profils, nous avons calculé les scores moyens de satisfaction par domaine. (Annexe 2). Les patients A semblent avoir une qualité de vie subjective supérieure à celle des patients B pour certains domaines (bien-être, travail, religion, loisirs, relations sociales, santé finances).

    Comparaison des profils de qualité de vie

    La comparaison des profils de qualité de vie suggère une relation concordante pour quelques domaines chez les patients A. Ainsi, ces patients sont plus nombreux à disposer d'un travail, ont été moins souvent hospitalisés durant l'année, sont plus satisfaits d'eux-mêmes, adhèrent plus à une religion et présentent des revenus mensuels plus importants. Dans tous ces domaines, leur degré de satisfaction est plus important.

    Evolution du score de bien-être global durant

    la passation de l'échelle

    L'évolution du score moyen de satisfaction pour le bien-être global entre le début et la fin de l'échelle (patients A (4,27-4,50); patients B (3,96-4,12)) montre que tous les patients réévaluent supérieurement leur qualité de vie après le passage en revue des différents domaines de la vie.

    Conclusion

     

    Les patients suivis au CMP (patients A) ont globalement une meilleure qualité de vie que les autres patients (patients B). Ce résultat confirme que l'utilisation de la LQLP permet de dégager des profils de qualité de vie objective et subjective différents selon le type de prise en charge réalisé (Kaiser et al. 1997).

    La comparaison des deux types de profils de qualité de vie suggère une relation concordante dans certains domaines chez les patients A. De ce fait, elle peut permettre de mieux saisir les atouts et les besoins des groupes de patients.

    Enfin, les changements trouvés pour le score de bien-être global indiquent que la passation de la LQLP sensibilise les patients à leur qualité de vie. Une étude plus approfondie des corrélations entre les scores LQLP, DAI 10 et PANSS devrait nous apporter des éléments de réponse concernant le poids respectif des éléments psychopathologiques et du traitement dans l'évaluation de la qualité de vie.

    * CHS Sainte Anne (SM17) 75674 PARIS

    e.mail : petitjean@chsa.broca.inserm.fr

    Travail réalisé avec le soutien de l'Institut Lilly FRANCE

    Bibliographie

    American Psychiatric Association (1994) DSM IV : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, APA, Washington DC.

     

    Calman K.C. (1984) Quality of life in cancer patients, Journal of Medical Ethics, 10, 124-127.

    Gerin P. et al. (1994) Propositions pour une définition de la " qualité de vie subjective ", in Terra J.L.(Ed.), Qualité de Vie Subjective et Santé Mentale, 84-91, Ellipses, Paris.

    Germain C. et al. (1998a) La qualité de vie des patients schizophrènes: étude chez des patients schizophrènes suivis en hôpital de jour et en CATTP, Journée Broca Sainte-Anne, poster, 27 novembre, CHSA / INSERM / AP-HP, Paris.

    Germain C. et al. (1998b) La qualité de vie des patients schizophrènes: étude chez des patients schizophrènes suivis en hôpital de jour et en CATTP, 1ères Rencontres Nationales du CFRP, communication orale, 3 et 4 décembre, Angers.

    Hogan T.P. et al. (1983) A self-report scale predictive of drug compliance in schizophrenics, Psychological Medicine, 13, 177-183.

    Kaiser W. et al. (1997) Profiles of subjective quality of life in schizophrenic in and out-patients samples, Psychiatry Research, 66, 153-166.

     

    Kay S.R. et al. (1987) The positive and negative syndrome scale (PANSS) for schizophrenia, Schizophrenia Bulletin, 2, 261-276.

    Kemmler G. et al. (1997) General life satisfaction and domain-specificty quality of life in chronic schizophrenic patients, Quality of Life Research, 6, 265-273.

     

    Lehman A. (1983) The effects of psychiatric symptoms on quality of life assessments among the chronic mentally ill, Evaluation Program and Planning, 6, 143-151.

    Oliver J.P. et al. (1996) Quality of Life and Mental Health Services, Routledge, London.

    Organisation Mondiale de la Santé (1990) Classification Internationale des Maladies. Troubles Mentaux et Troubles du comportement, CIM 10, Masson, Paris, 1993.

    Röder-Wanner U. et al. (1998) Objective and subjective quality of life of first-admitted women and men with schizophrenia, European Archives of Psychiatry and Clinical Neurosciences, 248, 250-258

    Salomé F. et al. (1999) La qualité de vie chez les patients schizophrènes : étude chez des patients suivis en CMP, CATTP et hôpital de jour, Actes des Journées d'Interface INSERM/FFP, 53-64, 18 et 19 mars, MENRT, Paris.

    Siméoni M. et al. (1998) Echelles de qualité de vie et schizophrénies, Halopsy, 19.

    Von Frenckell (1991) Impressions cliniques globales (CGI), in Guelfi J.D.(Ed.), L'Evaluation Clinique Standardisée en Psychiatrie, vol. I, 93-97, Editions Pierre Fabre, Castres.

    Warner R. et al. (1998) The quality of life of people with schizophrenia in Boulder, Colorado, and Bologna, Italy, Schizophrenia Bulletin, 24, 559-568.

    * Définition de la qualité de vie

    in Rodary C., Leplège A., Hill C., Évaluation de la qualité de vie dans la recherche clinique en cancérologie, Bull Cancer 1998 ; 85 (2) : 140-8

    « Comme le bonheur, la qualité de vie est un concept équivoque dont chacun possède une définition personnelle, globale et difficilement communicable. Pour l'évaluer dans le domaine de la santé, et en particulier dans les études cliniques, il faut d'abord s'accorder sur une définition opérationnelle, explicite, standardisée, permettant une mesure quantitative. Cette définition doit permettre de répondre à l'objectif de l'étude. Ainsi, s'il s'agit d'un essai thérapeutique comparant deux stratégies, l'évaluation de la qualité de vie contribuera aux choix de la meilleur stratégie. L'objectif peut être d'identifier les individus ayant besoin d'aide pour une meilleure réhabilitation, et dans ce cas cette évaluation se fera une fois le traitement terminé et à distance de celui-ci. Dans les soins palliatifs, l'objectif sera d'apporter une aide à la décision thérapeutique, au quotidien.

    La première tentative de conceptualisation a eu comme point de départ la définition de la santé faite par l'Organisation Mondiale de la Santé en 1947 : « un état de complet bien-être physique, mental et social, et non pas seulement l'absence de maladie et d'infirmité »


    Sommaire

    Evaluation de la Qualité de la Vie dans la Schizophrénie

    D. PRINGUEY - M. ZANNOTTI

    La qualité de vie est un paramètre biométrique original qui, par son aspect synthétique, recouvre les multiples dimensions de la santé. D'origine politique et socio-économique, la qualité de vie s'est secondairement développée en Santé Publique et s'intègre à l'investigation en santé mentale, à la condition d'une adaptation culturelle minimale qui décale prudemment le référentiel du bonheur, standard anglo-saxon typique, à la notion plus française de liberté, pour une définition dans laquelle la qualité de vie résume "la capacité du sujet à disposer de l'écart, qui à un moment donné, sépare ses attentes de l'expérience qu'il a accumulée".

    Nous avons réalisé un auto-questionnaire bref recourant à une segmentation conventionnelle de la vie quotidienne en 24 domaines pour chacun desquels le sujet évalue l'importance que chaque domaine revêt pour lui et son degré de satisfaction actuelle dans chaque domaine considéré. Comparativement à l'exploration d'un groupe témoin, une première utilisation de ce questionnaire chez des sujets psychotiques montre que les jugements sur la qualité de vie structurent deux dimensions indépendantes, la première représentant la relation naturelle au monde et la seconde un complexe spiritualité-corporéïté. Cette observation réplique les résultats de l'analyse factorielle de l'échelle PQVS de Gérin et reprend l'hypothèse de Torrance qui distribue la qualité de vie sur deux dimensions : "in and out the skin". La description synthétique des données en analyse en composantes principales confirme la nette différence de perception de la qualité de vie entre les deux groupes et l'importance de la dimension "liberté" comme élément structurant l'espace de la qualité de vie. L'exploration préliminaire de l'effet des thérapeutiques confirme le bien fondé de leur indication et l'intérêt de l'évaluation.

    Son appréciation est destinée plus particulièrement à compléter l'étude des aspects cliniques des désordres, à apprécier l'effet des thérapeutiques et à évaluer la qualité des soins. Objectif légitime et naturel de la prise en charge des patients schizophrènes, la qualité de vie est à priori un des objectifs du projet thérapeutique. Si les réalités administratives et économiques participent au mouvement actuel d'évaluation de la qualité de vie, l'approche de ce concept global peut être l'occasion d'une réflexion voire d'un renouveau psychopathologique.

    On doit s'y résoudre, la vie quotidienne est pour beaucoup une chose difficile et, à y regarder de plus près, sa conduite est complexe à bien des égards, pour la plupart. Elle l'est encore plus chez nos patients schizophrènes, comme chez tous les malades chroniques, et plus généralement chez les sujets souffrant d'une atteinte sociale importante.

    Il n'est pas nouveau, de plus, de se demander en quoi et jusqu'où nos mesures thérapeutiques aident nos patients à affronter le quotidien, même si l'on retient que notre dispositif de soins offre aux patients des garanties optimales de qualité.

    Pour entreprendre une évaluation de cette dimension originale d'apparence banale qu'est la vie quotidienne, les méthodologistes, pour l'essentiel anglo-saxons, nous proposent divers indicateurs synthétiques, aujourd'hui regroupés sous le terme générique de "qualité de la vie", et une expertise déjà très savante.

    Un indicateur synthétique de la vie quotidienne

    La "qualité de la vie" n'est pas seulement une évaluation supplémentaire mais une synthèse assez originale(2, 4, 5, 11). C'est la réduction numérique moyenne d'une auto-évaluation pour un groupe donné et dans un contexte précis.

    L'évaluation réfère à une opinion de satisfaction(2) et consacre le jugement du patient portant sur ses performances ou ses capacités diverses telles le fonctionnement social ou cognitif, l'état fonctionnel ou, de façon plus globale, le bien-être(11).

    Son principe est issu des U.S.A. dans les années 60, et plus précisément de la politique, à une époque de crise économique où l'emblème de la qualité de la vie vient répondre au fléchissement du principe de productivité capitaliste(2).

    Enfin, la qualité de la vie appartient d'abord au domaine du chiffre, ce qui est très différent de son acception courante limitée aux aspects romantiques de l'évaluation individuelle(8). Outre sa validité, sa caractéristique la plus importante est son utilité qui, dans un premier temps, était appelée à servir les décisions du politique et qui peut aujourd'hui servir bien d'autres fins.

    La qualité de la vie dans la schizophrénie

    L'étude de la qualité de la vie dans la schizophrénie débute avec le travail pionnier de A. Lehman de Baltimore chez des patients psychotiques chroniques(5, 6).

    Cette exploration conduit à l'élaboration d'un modèle structural de la qualité de la vie où le jugement de satisfaction concernant la vie quotidienne au sens du "bien-être" relève de la contribution croissante de trois séries de facteurs, les caractéristiques socio-démographiques, les indicateurs objectifs de conditions de vie et les indicateurs subjectifs évaluant la qualité de la vie(6).

    L'insatisfaction de la qualité de vie touche près de 50% des patients et, plus particulièrement, les sujets qui ne disposent pas d'une insertion professionnelle et connaissent un problème de finances, ceci comparativement aux évaluations de la population générale des fameuses études de Michigan(5). Cette différence s'atténue lorsque la population des patients est comparée à des sous-groupes défavorisés de la population générale et notamment à des sujets de faible niveau socio-économique, aux sujets de race noire et aux célibataires, mais se maintient cependant dans le domaine des relations sociales et de la sécurité personnelle.

    Du bonheur à la liberté

    Si la référence à la satisfaction s'établit chez nos collègues américains sur la notion standard de bonheur (11), c'est plutôt la notion de liberté qui fait notre référentiel pour une définition dans laquelle la qualité de vie résume "la capacité du sujet à disposer de l'écart qui, à un moment donné, sépare ses attentes de l'expérience qu'il a accumulée".

    Nous avons élaboré un questionnaire (12) comportant pour chacun des 24 domaines de la vie quotidienne (santé, autonomie physique, bien-être mental, environnement et habitat, sommeil, table, relations familiales, relations extra-familiales, descendance, soins de soi, amour, sexualité, politique, croyance, loisirs actifs, loisirs passifs, sécurité, travail, justice, liberté, art et beauté, vérité, argent) l'appréciation de la satisfaction et de l'importance du domaine considéré pour le sujet en question, aboutissant pour chaque domaine à une note pondérée et pour chaque patient à un profil de scores par domaines.

    L'évaluation clinique

    Nous avons comparé l'évaluation de sujets de la population générale et de patients psychotiques stabilisés par le moyen d'analyses en composantes principales permettant de résumer l'information sur un espace descriptif et d'examiner les positions respectives des différents sujets appartenant aux deux groupes(12). L'information s'est distribuée de façon satisfaisante sur deux axes de coordonnées indépendants, le premier fortement structuré par les relations familiales, l'habitat, l'environnement, la sécurité, la vérité, et notamment la liberté, axe marquant les relations au monde, le second opposant la dimension de la santé aux croyances, axe représentant une tension bipolaire entre spiritualité et corporéité.

    Il est notable que la dimension liberté, qui a servi à notre définition de la qualité de vie, participe à la construction du premier axe, et que l'organisation spatiale se structure sur les deux dimensions indépendantes, celle des relations au monde et celle où se fait le contraste entre spiritualité et corporéité. Cette structure réplique les résultats de plusieurs études, notamment l'analyse factorielle de la PQVS de Gérin(3), positionnant en médecine générale en premier facteur le corps souffrant et en second facteur la relation, et le travail de Torrance pour qui la qualité de vie présente deux dimensions essentielles "in and out the skin"(10).

    Lorsque les sujets sont placés par rapport à ces nouvelles coordonnées, la dispersion spatiale de nos témoins est homogène et nos patients psychotiques se positionnent nettement en marge du nuage témoin, en arrière de l'axe des relations au monde et de l'axe corporéïté-spiritualité, et déportés vers le pôle des croyances, loin de celui de la santé corporelle. Nos patients schizophrènes manifestent de fait une détérioration de la qualité de vie sur les 2 principes structuraux dégagés, ce qui nous invite à reprendre pour chaque patient la forme du profil des cotations.

    Outre le caractère systématique de l'exploration, dévoilant souvent un aspect nouveau des problèmes de vie de nos patients, l'évaluation de la qualité de vie est un moyen d'éclairer la prise en charge(7), par exemple de hiérarchiser les difficultés auxquelles les patients sont confrontés, d'orienter l'effort thérapeutique dans le sens de l'aide à la réinsertion, et aussi d'assurer une adéquation des activités occupationnelles en institution de long séjour aux motivations personnelles des patients.

    La dynamique thérapeutique

    Un tel indice doit nous permettre aussi d'évaluer l'impact de nos stratégies thérapeutiques et, dans certaines conditions, d'y relier l'effet pharmacodynamique des neuroleptiques(9).

    Certains de nos patients ont été réévalués au décours d'une polychimiothérapie neuroleptique intégrée à un programme thérapeutique tripartite associant une thérapie institutionnelle orientée vers la réhabilitation et une psychothérapie duelle de soutien. Cette nouvelle évaluation tenait bien sûr tenir compte des événements de vie intercurrents et des fluctuations pathoplastiques de la pathologie, comme par exemple celles liées à des facteurs dysthymiques associés. Certains patients montrent une mobilisation de leur position dans l'espace vectoriel, parfois très nette. Au cours d'une amélioration symptomatique, on constate une réduction de leur situation marginale par rapport au nuage "témoins", suggérant le retour à une opinion plus proche du consensus social dont témoignent les témoins.

    Il n'est cependant pas assuré, même en cas de corrélation serrée entre scores d'amélioration symptomatique et scores de qualité de la vie, que la réduction de ceux-ci réponde de façon univoque à l'augmentation de ceux-là. On peut tout au plus émettre diverses hypothèses tenant aux intercorrélations réciproques entre trois pôles : les symptômes, les neuroleptiques et la qualité de la vie, soit par exemple que la permissivité neuroleptique contribue simultanément aux changements et pas forcément de la même façon dans chaque cas, soit que la maintenance neuroleptique gagne en observance lorsque la qualité de la vie est aménagée par la partie non pharmacologique de la prise en charge, soit que l'efficacité des neuroleptiques dépende en partie de la qualité de la vie contemporaine de la décompensation pour la phase aiguë et de celle qu'assurent les mesures thérapeutiques associées aux neuroleptiques lors de la maintenance.

    Il reste à définir un cadre expérimental adéquat à la démonstration que les neuroleptiques possèdent la capacité de relever la qualité de la vie, ou tout au moins contribuent à sa restauration pour des domaines de vie classiquement évoqués comme la réhabilitation sociale et relationnelle.

    Conclusions

    Concept moderne et ambitieux, la qualité de la vie a pour principale propriété d'être holistique(5), comporte une dimension socio-psychométrique familière aux psychiatres français(7) et se trouve appelée à jouer un rôle important dans l'évaluation des principes thérapeutiques modernes(8).

    Concept avant tout technique(2), étayé de l'appui statistique et informatique, la qualité de la vie nous invite de façon paradoxale à dépasser le classique débat autonomie-dépendance - où le traitement conduirait à l'autonomie à partir d'une dépendance au médicament ou à la relation - pour accéder à une antinomie dialectique plus fondamentale, et peut-être première, entre liberté et nécessité - quand le gain de la liberté passe par la nécessité de la contrainte thérapeutique(12).

    Bibliographie

    1 - CALMAN K.C. Quality of life in cancer patients : an hypothesis.

    Journal of Medical Ethics 1984, 18, 124- 127.

    2 - FLANAGAN J. C. Measurement of quality of life : current state of the art. Arch Phys Med Rehabil 1982, 63, 56-59.

    3 - GERIN P., DAZORD A., CIALDELLA Ph., et al Le questionnaire "Profil de la qualité de la vie" (PQVS) : premiers éléments de validation. Thérapie 1991, 46, 131-138.

    4 - HEINRICHS D.W., HANLON T.E., CARPENTER W.T. The quality of life scale : an instrument for rating the schizophrenic deficit syndrome. Schizophr. Bull. 1984 , 10, 388-398.

    5 - LEHMAN A.F. , WARD N.C., LINN L.S. Chronic mental patients : the quality of life issue. Am. J. Psychiatry 1982,139, 1271-1276.

    6 - LEHMAN A.F. Well-being of chronic mental patients : assessing their quality of life Arch. Gen. Psychiatry 1983, 40, 369-373.

    7 - PRINGUEY D. Evaluation de la qualité de vie chez les schizophrènes Canal Psy 1995, 3, 77-83

    8 -PRINGUEY D. Qualité de vie chez les schizophrènes Halopsy 1998,19, 3 et 11-22

    9 - SKANTZE K., MALM U., DENCKER S.J., MAY Ph.R., CORRIGAN P. Comparison of quality of life with standard of living in schizophrenic out-patients. Brit. J. Psychiat. 1992, 161, 797-801.

    10 - TORRANCE G.W.Utility approach to measuring health-related quality of life.Journal of Chronic Diseases 1987, 40, 593-600.

    11 - WHO Report from the meeting on the assessment of quality of life in health care. (February 1991) World Health Organisation documentation, Geneva, 1991

    12 - ZANNOTTI M., PRINGUEY D. A method for quality of life assessment in psychiatry : the subjective quality of life analysis. Quality of life News Letter,1992, 4, 6.


    Sommaire

    Formation à une nouvelle méthode d'entretien psychologique

    en recherche clinique

    sur 4 jours les 21 et 22/01, 11/03, et 06/05/2000

    AFAR, 46 rue Amelot, 75011 Paris

    Intervenants : Dr. S. Stoléru, chercheur et M. N. Créac'h-Le Mer, Docteur en Psychologie. contact : Dr. S. Stoléru, Unité 292 de l'INSERM

    Hopital de Bicêtre, secteur bleu, porte 26, 82 Rue du General Leclerc, 94276 - Le Kremlin-Bicetre Cedex, France; tel : 01 45 21 23 40; fax : 01 45 21 20 75


    Sommaire

    Médecine prédictive et qualité de vie : le test présymptomatique de la maladie de Huntington


    Marcela Gargiulo, Jean Claude Buzzi, Khadija Lalhou, Alexandra Dürr*

    Cette étude vise à évaluer l'impact de nouvelles pratiques en médecine prédictive, en particulier l'impact du test présymptomatique de la maladie de Huntington dans une population " à risque " pour cette maladie héréditaire. Cette étude consiste en un évaluation de la qualité de vie de consultants avant et après l'annonce du résultat, sur une population composée de 40 individus appariés ayant été testés avant et après l'annonce du résultat génétique.

    Problématique

    Depuis 1992, l'équipe de neurogénétique de l'Hôpital de la Salpêtrière réalise le test présymptomatique de la maladie de Huntington. Cette maladie neurodégénerative se transmet selon le mode autosomique dominant, ce qui signifie que chacun des enfants (garçons ou filles) d'une personne atteinte a un risque de 50% d'être porteur du gène. S'il est porteur du gène défaillant, il sera atteint de la maladie inéluctablement au cours de sa vie. La maladie de Huntington est la première affection à révélation tardive et d'évolution fatale, sans traitement curatif ou préventif, pour laquelle un diagnostic moléculaire est devenu possible.

    Ce test soulève de nombreux problèmes éthiques et, pour les personnes concernées par le risque, le questionnement existentiel qu'elle sont contraintes de se poser est particulièrement crucial. Chez elles, en effet, le fait de demander le test présymptomatique induit une réflexion profonde sur leur statut, leur liberté de savoir ou de ne pas savoir.

    Le test présymptomatique conduit à annoncer, à sa demande, son statut génétique à un adulte indemne ; c'est-à-dire, s'il est porteur - présymptomatique - ou non de la mutation responsable de la maladie de Huntington. Si cet individu est porteur, il développera la maladie, alors qu'il n'y a aucun bénéfice médical à connaître cette information. Quel peut être, en conséquence, l'intérêt de ce test et quelle est la véritable nature du bénéfice ? Est-il psychologique, social, individuel, familial ? Comment savoir d'avance, ce que sera le bénéfice escompté pour le consultant ? Et comment évaluer d'avance sa réaction face au résultat du test ? Enfin, quel est le devenir de ces personnes " à risque " après l'annonce du résultat ?

    Pour tenter de répondre à ces questions qui émergent de notre pratique clinique, nous étudions depuis quelques années l'impact de cette nouvelle pratique sur la qualité de vie des personnes qui demandent un diagnostic présymptomatique pour la maladie de Huntington. Nous reprendrons ici un des résultats les plus marquants de cette recherche, à savoir le devenir des non porteurs du gène après la révélation de leur statut génétique.

    Cadre de l'étude

    À l'hôpital de la Salpêtrière, la consultation pour l'accueil et le suivi des demandes des tests présymptomatiques pour la maladie de Huntington est organisée selon un protocole clairement exposé aux consultants. Son cadre est multidisciplinaire et fondé sur la nécessité de donner du temps à la personne à risque avant qu'elle décide de faire ou non le prélèvement sanguin pour le test. L'équipe de consultation est constituée d'une neuro-généticienne, d'un généticien, d'une psychologue, d'une assistante sociale, d'une infirmière et d'une psychiatre. Plusieurs entretiens sont proposés au candidat et la multiplicité des interlocuteurs permet d'aborder le problème sous plusieurs angles et d'enrichir la réflexion du consultant.

    Pour les aider à appréhender les conséquences d'une telle annonce sur leur vie future, quatre étapes préalables leur sont proposées, sur une durée d'environ quatre mois. Le déroulement de ces phases leur permet de renouveler, à chaque moment, leur désir de connaître leur statut génétique ou d'interrompre leur démarche, définitivement ou temporairement. Voici la séquence temporelle de la consultation, telle qu'elle a été conçue par l'équipe multidisciplinaire à l'Hôpital de la Salpêtrière, selon les recommandations de la Fédération Mondiale de Neurologie1 et le CCNE2.

    Information

    Au cours du premier entretien, la neuro-généticienne et le généticien ont pour tâche de vérifier que les ascendants du consultant sont bien atteints de maladie de Huntington, de constituer l'arbre généalogique, d'expliquer au consultant le mode de transmission et d'expliquer le déroulement des étapes suivantes. Si, à la suite de cet entretien, le candidat décide de poursuivre, il doit contacter lui-même l'infirmière pour organiser les prochains rendez-vous.

    Préparation

    Compte tenu des enjeux de la révélation future, la phase de préparation qui précède l'éventuelle annonce est d'une importance extrême. Plusieurs entretiens de préparation à l'annonce sont proposés. De façon générale, ils doivent permettre aux candidats de réfléchir sur les véritables motivations à l'origine de leur demande de test, de situer leur démarche dans le contexte de leur vie familiale et d'envisager les conséquences des résultats possibles sur leur vie future. À la fin de cette deuxième étape, le candidat doit décider de poursuivre ou non la démarche vers le prélèvement.

    Analyse moléculaire

    La prise de sang est réalisée après un dernier entretien avec la neuro-généticienne au cours duquel le candidat signe un consentement autorisant l'analyse moléculaire et prend rendez-vous pour l'annonce du résultat, un mois plus tard. Il est précisé que le résultat sera communiqué oralement lors d'un entretien avec le neuro-généticien et le généticien.

    Suivi et accompagnement

    Lors de l'entretien d'annonce du résultat, que celui ci soit favorable ou défavorable, des rendez-vous de suivi sont fixés pour une période d'un an, habituellement une semaine, trois mois, six mois et un an après le résultat, mais la fréquence peut varier selon la demande de la personne suivie.

    Population

    Description de la population générale des consultants :

    Depuis novembre 1992 jusqu'à février 1998, 378 demandes de diagnostic présymptomatique ont été formulées dans notre consultation. Parmi ces 378 sujets, 228 demandes ont été formulées par des femmes et 150 par des hommes. L'âge moyen de toute la population est de 33+-11, et les âges représentés vont de 9 ans à 70 ans. Les enfants mineurs étaient conduits par leurs parents et leur demande a été refusée.

    Parmi ces sujets, 103 ont abandonné leur demande de test prédictif à la suite du premier entretien avec le neurologue ou le généticien ; 44 sujets ont abandonné après l'entretien psychologique.

    Description de toute la population ayant été évaluée par la

    N.H.P

    L'échantillon est composé de 132 individus ayant été testés avant l'annonce du résultat du test (49 hommes et 83 femmes) et de 80 individus ayant été testés après l'annonce (25 hommes et 55 femmes). Un groupe de 40 individus sont appariés ayant été testés avant et après l'annonce du résultat génétique (16 hommes et 24 femmes).

    L'âge moyen des individus est de 33.8 ans (+/- 9.89) pour ceux ayant répondu au questionnaire 1, de 36.3 (+/- 9.7) pour ceux ayant répondu au questionnaire 2 et de 34.7 ans (+/- 10.2) pour ceux ayant répondu aux deux questionnaires.

    Matériel et méthodes

    I. Description de l'échelle " Nottingham Health Profile " NHP.

    L'objectif principal de notre recherche est l'utilisation d'une échelle en auto-évaluation destinée à quantifier, d'une façon standardisée et fiable, la qualité de vie liée à la santé ou "santé perceptuelle" de personnes ayant demandé un test présymptomatique pour la maladie de Huntington.

    II. Mise en place de l'évaluation

    Nous avons commencé à évaluer les sujets avec cet outil de janvier 1996 jusqu'à ce jour. De la NHP, nous avons en particulier analysé une sous échelle qui est "l'Indicateur de Santé Perceptuelle de Nottingham" (ISPN)3, 4.

    Cette échelle est basée sur la première partie du "Nottingham Health Profile" (NHP)5, 6. Plutôt que de développer de nouveaux instruments de mesure de la qualité de vie spécifique à une pathologie (la maladie de Huntington en ce qui nous concerne), opération longue et complexe, nous avons préféré d'adopter des instruments existants et validés7,8.

    L'Indicateur de Santé Perceptuelle de Nottingham (ISPN) est un instrument mesurant la santé perceptuelle. Il est constitué de 2 parties : la première est composée de 38 items couvrant 6 domaines ou dimensions que sont : la douleur, les réactions émotionnelles, l'énergie/tonus, la mobilité physique, l'isolement social et le sommeil (le nombre d'items par dimension varie de 3 à 9) ; la seconde étudie le retentissement sur 7 domaines de la vie quotidienne (travail, relations familiales, vie sociale, vie familiale, vie sexuelle, passe temps et vacances). Cette échelle a été traduite en français3 et validée par de nombreuses études9. Dans notre travail, seule la première partie a été utilisée. L'ordre d'apparition des items a été initialement tiré au sort, sans tenir compte des dimensions. Il est demandé aux patients de lire la liste et de cocher la réponse OUI ou NON pour chaque item, selon leur état actuel.

    III. Utilisation des données

    Nous déterminons un score moyen par dimension, soit 6 scores, en additionnant toutes les réponses dans chaque dimension, les réponses négatives étant fixé à 0 et les réponses positives à 1. Afin d'obtenir le score moyen de chaque dimension et pour palier le fait que chaque dimension à un nombre différent d'items, chaque somme est multipliée par 100 et divisée par le nombre d'items de sa dimension. Les scores moyens ainsi déterminés varient donc entre 0 (correspondant à une réponse négative à tous les items de la dimension et dénotant une absence d'affliction sur la qualité de vie) et 100 (correspondant à une réponse positive à tout les items de la dimension, dénotant une affliction majeure sur la qualité de vie)10, 11.

    L'expression des résultats peut se faire par l'intermédiaire d'un score par dimension calculé par l'application d'un jeu de sévérité obtenus au moyen d'une méthode de révélation des distances entre items d'une même dimension. Il s'agit donc d'un profil. Néanmoins, les auteurs de la NHP précisent que cette pondération n'est pas nécessaire si l'on traite les données dans chaque dimension, cette pondération ne servant qu'à ordonner et quantifier en terme de gravité chaque item, et étant déterminé dans la population générale.

     

    IV. Mode de recueil des données

    Il est convenu que les distributions ne sont pas normales et toutes les inférences statistiques sont basées sur les résultats de test non paramétriques. Il a été décidé qu'au moins deux questionnaires seraient nécessaires : le premier, lors des premiers rendez-vous (suite à la première consultation ), le second, peu de temps après le résultat du test. Si le patient est consentant, d'autres questionnaires lui seront proposés lors des autres suivis (à 6 mois, 1 an et 2 ans) et ceci quel que soit le résultat du test prédictif. L'idéal serait de pouvoir suivre les patients tout au long de leur vie afin de pouvoir détecter d'éventuels problèmes resurgissant à des temps plus ou moins tardifs.

    Résultats

    Une amélioration générale de la qualité de vie est constatée dans la population de 40 sujets appariés avant et après l'annonce du résultat du test, sauf pour la dimension de l'isolement social. L'amélioration est significative pour la réaction émotionnelle et bien qu'en tendance les autres dimensions s'améliorent aussi, aucune différence significative n'a été retrouvée entre les deux groupes de porteurs et non porteurs avant et après l'annonce du résultat génétique, concernant l'amélioration de la qualité de vie (Tableau 1).

    Pour les non porteurs, il n'y a pas de différence significative de leur qualité de vie entre les deux temps d'évaluation (avant et après le test). Paradoxalement, ce qui augmente significativement pour les non porteurs c'est l'isolement social.

    Pour les porteurs du gène, on observe une amélioration de la qualité de vie, sauf pour l'activité physique et la douleur, qui s'accentuent sans être significatifs. Pour les autres dimensions, il existe une tendance à l'amélioration.

    Discussion

    Pourquoi certaines personnes ayant obtenu un résultat favorable (ce qui signifie qu'elles ne seront pas atteintes par la maladie) ne voient-elles pas leur qualité de vie s'améliorer d'une manière significative suite à l'annonce du résultat du test ?

    Les personnes à risque qui obtiennent leur résultat génétique favorable sortent d'un statut de risque d'être ou ne pas être porteurs du gène et deviennent "non porteurs" ; au moment de l'annonce du diagnostic génétique, ils souffrent d'une dé-liaison, d'un point de vue psychique, de tout ce qu'ils ont tenté de contenir pendant longtemps, c'est-à-dire, leur risque. Avant d'effectuer le test, le doute peut devenir insupportable pour la personne à risque, source de frustration, de peur et de difficulté à planifier la vie future. La nécessité de savoir devient impérieuse pour celui qui pense trouver dans le résultat du test un moyen de sortir de cette paralysie. De plus, certaines personnes à risque vivent au quotidien en interprétant tout oubli ou maladresse comme des signes possibles de début de la maladie. Chez les personnes à risque, le doute ("Je suis - Je ne suis pas") peut devenir une drogue, l'incertitude une manière d'être et de se construire. Ainsi, le doute permanent peut être mis au service de l'action ou, inversement, d'une impuissance à agir. La capacité de désirer, de projeter, de programmer se trouvent altérées. Plus on doute, plus la difficulté à prendre une décision s'installe. De plus, la mise en avant du doute "Je suis porteur ou non" permet parfois de masquer d'autres questions d'ordre intime, familial ou professionnel. Pour certains, être paralysés par le doute devient une explication universelle à tous leurs problèmes vitaux.

    L'annonce d'un résultat favorable ne permet pas toujours une récupération psychologique immédiate. Vivre avec le risque d'être porteur du gène de la maladie de Huntington s'accompagne de représentations si prégnantes qu'il est difficile d'y renoncer au temps même où le résultat est annoncé. Comment effacer en un instant ce que l'on n'est pas, ce que l'on a pensé être ?

    En somme, quand on annonce à une personne qu'elle n'est pas porteuse du gène, on pourrait s'attendre à une réaction de libération, d'explosion de joie ; or, certaines sont tristes, déprimées, vidées. Le temps est fondamental pour assimiler le nouvel état. Pour cela, du temps est nécessaire et ce temps n'est pas chronologique mais subjectif et, par conséquent, individuel. Suite à l'annonce, les non porteurs sont contraints d'effectuer des remaniements importants sur le plan comportemental, identitaire, affectif et émotionnel.

    Quand il y a menace de mort, il est inévitable que la dimension temporelle soit affectée.

    C'est pour cela que, dans certains cas, l'annonce favorable n'est pas à l'origine d'un bien être. Il n'est pas facile de renoncer à cette partie de soi quand on a vécu jusqu'alors comme quelqu'un sans avenir, menacé par la mort et la déchéance. L'annonce oblige à construire une nouvelle représentation de soi et de son devenir.

    Ces problèmes psychologiques et éthiques soulevés par notre étude pourraient conduire à une réflexion qui pourrait transformer le test présymptomatique de la maladie de Huntington en modèle pour la compréhension des problèmes soulevés par les tests présymptomatiques dans d'autres pathologies. En particulier, en l'absence de prévention médicale, la présence d'une équipe multidisciplinaire et la temporalité dans l'annonce sembleraient être des facteurs de prévention psychologique d'une importance capitale. C'est pourquoi une procédure similaire est désormais proposée pour la prise en charge des candidats à un test présymptomatique dans les ataxies cérébelleuses autosomiques dominantes.

    Tableau 1 test d'égalité des distribution porteurs vs non porteurs.

    Dimensions P

    n 27 (non porteur) n 13 (porteur)
    Activité physique0.52430.6750
    Isolation sociale0.16710.4216
    Réaction émotionnelle0.07950.1159
    Douleur0.79161.0000
    Sommeil0.53220.3824
    Energie0.52430.4017

    *Inserm U 289 et Génétique médicale

    Hôpital de la Salpêtrière, Paris

    Notes

    1. Guidelines for the molecular genetics predictive test in Huntington's disease. Neurology 1994 ; 44 : 1533 - 1536.

    2. Cahiers du Comité Consultatif National d'Ethique pour les sciences de la vie et de la santé. 1996a et 1996b

    3. Bucquet, D., S. Condon, and K. Ritchie, The French version of the Nottingham Health Profile. A comparaison of items weights with those of the source version. Soc Sci Med, 1990. 30(7): p. 829-35.

    4. Bucquet, D., The Nottingham Health Profile as an example of a tool for measuring the quality of life in health (editorial). Rev Med Interne, 1991. 12(4): p. 255-6.

    5. Hunt, S.M., S.P. McKenna, and J. Williams, Reliability of a population survey tool for measuring perceived health problems: a study of patients with osteoarthrosis. J Epidemiol Community Health, 1981. 35(4): p. 297-300.

    6. Hunt, S.M., et al., The Nottingham Health Profile: subjective health status and medical consultations. Soc Sci Med [A], 1981. 15(3 Pt 1): p. 221-9.

    7. Crockett, A.J., et al., The MOS SF-36 health survey questionnaire in severe chronic airflow limitation: comparison with the Nottingham Health Profile. Qual Life Res, 1996. 5(3): p. 330-8.

    8. Jenkinson, C., R. Fitzpatrick, and M. Argyle, The Nottingham Health Profile: an analysis of its sensitivity in differentiating illness groups. Soc Sci Med, 1988. 27(12): p. 1411-4

    9. Meslier, N., et al., A French survey of 3,225 patients treated with CPAP for obstructive sleep apnoea: benefits, tolerance, compliance and quality of life [In Process Citation]. Eur Respir J, 1998. 12(1): p. 185-92.

    10. Caine, N., et al., Measurement of health-related quality of life before and after heart-lung transplantation. J Heart Lung Transplant, 1996. 15(10): p. 1047-58.

    11. De Campli, W.M., et al., Characteristics of patients surviving more than ten years after cardiac transplantation. J Thorac Cardiovasc Surg, 1995. 109(6): p. 1103-14; discussion 1114-5.

    12. Kind, P. and R. Carr-Hill, The Nottingham health profile: a useful tool for epidemiologists, Soc Sci Med, 1987. 25(8): p. 905-10.


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    Nous avons la grande tristesse de vous apprendre le décès de Claude VEIL, ce 22 novembre.

    Sa présence était permanente. Son amitié, son dynamisme, sa disponibilité et la qualité des échanges avec lui, autant affectifs qu'intellectuels, manqueront profondément à tous ceux qui l'ont connu.

    La recherche en psychiatrie doit beaucoup à Claude Veil. Les nombreuses études auxquelles il a participé directement

    jusqu'à ses derniers jours ou qu'il a dirigées, son engagement dans les actions les plus difficiles et diverses le situent comme un être exceptionnel et irremplaçable.

    Nous pensons bien sûr à sa femme et à ses enfants.


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