- Dr Alain LEPLEGE* -
* Après avoir été utilisé en gériatrie et en cancérologie, le concept de qualité de vie apparaît en psychiatrie dans les années 70 aux Etats-Unis au décours du mouvement d'ouverture des hôpitaux psychiatriques. Le retour des patients psychotiques dans la communauté a été difficile, ceux-ci se retrouvant souvent en situation précaire. Dans ce contexte, des auteurs comme Baker et Intagliata, ou A. Lehman, ont élaboré des échelles destinées à évaluer la qualité de vie des malades mentaux chroniques. Leur démarche était sous-tendue par le besoin d'évaluer les stratégies mises en uvre et s'est développée pour améliorer la prise en charge des patients dans la communauté. De manière générale, les échelles utilisées reflètent l'importance accordée par ces auteurs à l'impact social et économique des troubles psychiatriques.
Le concept auquel il est fait référence diffère de la notion commune de qualité de vie qui est intuitive et idiosyncratique. Il accepte plusieurs définitions qui sont standardisées et explicites, mais qui varient selon les écoles et selon les objectifs de la mesure. Par delà ces différences, la caractéristique commune des mesures de qualité de vie est de prétendre refléter l'impact des maladies et des interventions de santé sur la vie quotidienne des patients du point de vue des intéressés eux mêmes. C'est pour affirmer cette caractéristique novatrice que Denis Bucquet a proposé d'utiliser l'expression inédite de "santé perceptuelle", proche de celle de santé perçue et distincte de celle de mesure subjective en santé.
Les mesures de qualité de vie sont obtenues à partir des réponses des patients à des questionnaires standardisés. Ces réponses reflètent les jugements que portent les patients sur leur propre état de santé, leur satisfaction au niveau de la santé et de la vie et surtout, la répercussion de la maladie et des traitement associés. Ces mesures élargissent les connaissances apportées par les mesures cliniques traditionnelles. Bien entendu, lorsqu'il s'agit de déterminer si les patients ont une vie différente dans certains domaines spécifiques, l'approche phénoménologique, ainsi que l'étude des biographies des patients, sont également d'un apport précieux.
Certes les domaines pour lesquels la dépression influence les conditions de vie sont nombreux (l'hygiène alimentaire, l'appétit, les activités quotidiennes à la maison, le sommeil, les relations avec les autres, l'estime de soi, le travail, l'affection, les activités sexuelles...). Mais c'est surtout dans l'évaluation des stratégies de soin des pathologies au long cours entraînant un lourd handicap social qu'il est apparu utile de prendre en compte la qualité de vie (évaluation des psychothérapies, sociothérapies et traitements médicamenteux). Notons que la reconnaissance de la différence de point de vue entre patients et soignants peut permettre d'envisager une meilleure alliance thérapeutique, une meilleure compliance au traitement. *
* Psychiatre, chercheur - INSERM U 292 Alain
cf. Alain Leplège, La mesure de la qualité de vie, Coll. Que Sais-Je ?, PUF, (1999) numéro 3506.
suivis en CMP, CATTP et Hôpital de jour
La référence à la "qualité de vie" est relativement récente en psychiatrie où elle est apparue au début des années 80. On retiendra ici la définition de la qualité de vie de l'OMS : c'est la perception qu'a un individu de sa place dans l'existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lequel il vit et en relation avec ses objectifs, ses attentes et ses inquiétudes.
Il est difficile d'identifier à l'heure actuelle un corpus unique de recherche en référence à la qualité de vie dans la mesure où ce concept est né de problématiques assez éloignées les unes des autres et sous l'égide de disciplines différentes. On peut rattacher la notion de qualité de vie à trois grands types de paramètres :
* les conditions de vie objectives et la perception subjective de ces conditions
* l'éventail des capacités, des limites fonctionnelles et des performances réelles de la personne
* le sentiment de bien être subjectif relié à des états de bien être ou de détresse.
On soulignera l'hétérogénéité des phénomènes qui sont décrits sous le terme "qualité de vie" : les uns correspondent plus au bien être subjectif, les autres étant plus proches des conditions de vie objectives.
En psychiatrie, l'intérêt pour la qualité de vie des patients atteints de pathologies chroniques est historiquement lié au développement des techniques de réhabilitation psychosociale. Les études sur la qualité de vie en psychiatrie s'inscrivent dans une problématique de réintégration sociale.
Dans le champ de la schizophrénie, on ne peut adopter cette démarche qu'en s'appuyant sur la partie saine du sujet. Néanmoins, les perturbations des aptitudes cognitives observées chez ces patients rendent difficile l'évaluation de leur qualité de vie.
Malgré ces limites, des échelles pour mesurer la qualité de vie des patients psychotiques chroniques ont été développées. Parmi celles-ci, il existe celle réalisée par A. Lehman, la Quality of Life Interview (1983). Récemment, Oliver et ses collaborateurs (1996) ont conçu une version courte et remaniée de cette échelle, la Lancashire Quality of Life Profile. Avec cette échelle, plusieurs aspects influençant la qualité de vie de ces patients ont été étudiés, comme le sexe (Röder-Wanner et al. 1998), le type de prise en charge thérapeutique (Kaiser et al. 1997), les différences socio-culturelles entre pays dans les systèmes de soins en santé mentale (Warner et al. 1998) et la qualité de vie propre à chaque domaine (Kemmler et al. 1997).
En France, notre équipe a obtenu quelques résultats préliminaires avec cette échelle dans le cadre d'une étude en cours (Germain et al. 1998a/b ; Salomé et al. 1999), dont les objectifs sont :
* Mesurer la qualité de vie de patients schizophrènes à l'aide de l'échelle LQLP afin d'en valider la version française.
* Comparer la qualité de vie de patients schizophrènes suivis au CATTP ou en hôpital de jour à celle de patients suivis au CMP afin de pointer parmi les aspects de leurs conditions de vie ceux qui nécessitent une amélioration (T0).
* Réévaluer la qualité de vie des patients suivis au CATTP ou en hôpital de jour après 6 mois de prise en charge (T1).
Méthodologie
Population
Tous les patients répondent au diagnostic de schizophrénie (CIM 10 1990) et forment deux groupes distincts : le premier est suivi en consultation au CMP (patients A) et le second en CATTP ou en hôpital de jour (patients B). Le CATTP (l'Escale) et l'hôpital de jour sont des unités de soins dont les activités visent respectivement la restauration du lien social et la réadaptation psychosociale.
Instruments d'évaluation
Il s'agit de 5 échelles : la CGI (Von Frenckell 1991), la DAI 10 (Hogan et al. 1983), la GAF (APA 1994), la PANSS (Kay et al. 1987) et la LQLP (Oliver et al. 1996).
La LQLP est une échelle d'auto et d'hétéro-évaluation qui comprend des mesures objectives et subjectives dans plusieurs domaines de la vie, ainsi qu'une mesure du bien-être global. L'échelle regroupe différents domaines de la vie. Parmi ces domaines et les aspects sélectionnés pour notre étude, nous avons : le travail (a un emploi), les loisirs (télévision et radio consultés), la religion (pratiquant), les finances (revenu mensuel), le mode de vie (vit chez ses parents), la loi et la sécurité (victime de violence), les relations familiales (célibataire), les relations sociales (a un ami), la santé (hospitalisé durant l'année) et les conflits internes (sujet satisfait avec lui-même). L'utilisation en clinique de la LQLP permet d'obtenir des profils de qualité de vie objective et subjective.
Résultats préliminaires
Données cliniques
Groupes Patients A Patients B
Variables (CMP) (CATTP/hôpital de jour)
Nombre de patients 22 25
Répartition des sexes 12 hommes 15 hommes
10 femmes 10 femmes
Age moyen
(années) 38,90 36,80
Profils de qualité de vie objective
Pour obtenir ces profils, nous avons repris tous les scores, exprimés en % moyens, concernant un aspect spécifique à chaque domaine évalué (Annexe 1). Les patients A semblent avoir une qualité de vie objective supérieure à celle des autres patients dans plusieurs domaines (travail, santé, conflit psychique, finances, relations familiales, relations sociales, religion).
Profils de qualité de vie subjective
Pour réaliser ces profils, nous avons calculé les scores moyens de satisfaction par domaine. (Annexe 2). Les patients A semblent avoir une qualité de vie subjective supérieure à celle des patients B pour certains domaines (bien-être, travail, religion, loisirs, relations sociales, santé finances).
Comparaison des profils de qualité de vie
La comparaison des profils de qualité de vie suggère une relation concordante pour quelques domaines chez les patients A. Ainsi, ces patients sont plus nombreux à disposer d'un travail, ont été moins souvent hospitalisés durant l'année, sont plus satisfaits d'eux-mêmes, adhèrent plus à une religion et présentent des revenus mensuels plus importants. Dans tous ces domaines, leur degré de satisfaction est plus important.
Evolution du score de bien-être global durant
la passation de l'échelle
L'évolution du score moyen de satisfaction pour le bien-être global entre le début et la fin de l'échelle (patients A (4,27-4,50); patients B (3,96-4,12)) montre que tous les patients réévaluent supérieurement leur qualité de vie après le passage en revue des différents domaines de la vie.
Conclusion
Les patients suivis au CMP (patients A) ont globalement une meilleure qualité de vie que les autres patients (patients B). Ce résultat confirme que l'utilisation de la LQLP permet de dégager des profils de qualité de vie objective et subjective différents selon le type de prise en charge réalisé (Kaiser et al. 1997).
La comparaison des deux types de profils de qualité de vie suggère une relation concordante dans certains domaines chez les patients A. De ce fait, elle peut permettre de mieux saisir les atouts et les besoins des groupes de patients.
Enfin, les changements trouvés pour le score de bien-être global indiquent que la passation de la LQLP sensibilise les patients à leur qualité de vie. Une étude plus approfondie des corrélations entre les scores LQLP, DAI 10 et PANSS devrait nous apporter des éléments de réponse concernant le poids respectif des éléments psychopathologiques et du traitement dans l'évaluation de la qualité de vie.
* CHS Sainte Anne (SM17) 75674 PARIS
e.mail : petitjean@chsa.broca.inserm.fr
Travail réalisé avec le soutien de l'Institut Lilly FRANCE
Bibliographie
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* Définition de la qualité de vie
in Rodary C., Leplège A., Hill C., Évaluation de la qualité de vie dans la recherche clinique en cancérologie, Bull Cancer 1998 ; 85 (2) : 140-8
« Comme le bonheur, la qualité de vie est un concept équivoque dont chacun possède une définition personnelle, globale et difficilement communicable. Pour l'évaluer dans le domaine de la santé, et en particulier dans les études cliniques, il faut d'abord s'accorder sur une définition opérationnelle, explicite, standardisée, permettant une mesure quantitative. Cette définition doit permettre de répondre à l'objectif de l'étude. Ainsi, s'il s'agit d'un essai thérapeutique comparant deux stratégies, l'évaluation de la qualité de vie contribuera aux choix de la meilleur stratégie. L'objectif peut être d'identifier les individus ayant besoin d'aide pour une meilleure réhabilitation, et dans ce cas cette évaluation se fera une fois le traitement terminé et à distance de celui-ci. Dans les soins palliatifs, l'objectif sera d'apporter une aide à la décision thérapeutique, au quotidien.
La première tentative de conceptualisation a eu comme point de départ la définition de la santé faite par l'Organisation Mondiale de la Santé en 1947 : « un état de complet bien-être physique, mental et social, et non pas seulement l'absence de maladie et d'infirmité »
Evaluation de la Qualité de Vie chez des Patients Schizophrènes
F. Petitjean, F. Salomé, C. Germain, J.C. Demant*