Pour la Recherche n° 29
Juin 2001 - Serge Lebovici


  • Éditorial, par le Comité de Rédaction
  • Le nourrisson, la mère et Serge Lebovici - Pr Ph. Mazet
  • Le psychodrame selon Serge Lebovici - Pr M. Laxenaire
  • Serge Lebovici et la théorie de l'attachement - Raphaële Miljkovitch
  • contributions personnelles au Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Serge Lebovici

  • abonnement
  • Comité de Rédaction et remerciements



  • Editorial - Comité de rédaction

    * Pour la Recherche consacre ce numéro à Serge Lebovici qui a quitté ce monde il y a déjà un an. L'idée générale du Comité de rédaction de PLR a été de se rapprocher de son oeuvre et d'y redécouvrir les idées forces qui ont animé sa vie scientifique.

    Chacun connaît l'intérêt majeur de Serge Lebovici pour la recherche. Formidable « explorateur » à la découverte de champs nouveaux, il aura été toute sa vie un agitateur d'idées et un créateur concret.

    Il aura su par exemple :

    * tenir compte des faits observables dans le remaniement de la théorie psychanalytique ;

    * faire de la métapsychologie une théorie vivante où s'intègrent les avancées réalisées dans les sciences contemporaines ;

    * articuler les niveaux d'observation, d'approches et de compréhension, sans compromis avec l'exigence de la rigueur.

    Serge Lebovici est un clinicien de la dynamique des systèmes interactifs et des événements qui s'y produisent au cours du développement de la personne. Dans cette logique, un trait saillant apparaissant momentanément ne porte pas nécessairement la marque du psychopathologique. Mais savoir distinguer ce qui est un moment particulier de ce processus de développement, de ce qui marque une organisation (névrotique ou pré-psychotique) est aussi ce qui donne toute sa portée à la compétence du clinicien.

    On trouve une très belle présentation de cette pratique dans « L'aube de la vie »* où se dévoile une véritable microclinique, espace de la rencontre et de l'action thérapeutique.

    Serge Lebovici s'est appuyé sur l'existant tout en l'ouvrant à une nouvelle dimension. Par exemple, il aura su saisir non seulement l'intérêt pratique du psychodrame, mais également lui donner une portée supplémentaire en lui intégrant la dimension psychanalytique. Aux interactions comportementales et affectives, il aura associé la dimension de l'interaction fantasmatique. Loin d'annuler les autres, elle les complète et leur donne une portée particulière.

    Promoteur de concepts et de pratiques, Serge Lebovici reste un dialecticien authentique ; dans sa pensée, chaque acteur prend sa véritable dimension de sa distinction et de sa continuité avec ceux qui l'ont précédé et qui l'entourent.


    Sommaire

    Le nourrisson, la mère et Serge Lebovici

    Philippe Mazet*

    Après avoir parodié dans le titre celui de son ouvrage « Le nourrisson, la mère et le psychanalyste » écrit en collaboration avec S. Stoleru et paru en 1983, et à quelque distance maintenant de sa mort, de l'émotion et des réactions, diverses, qu'elle a suscitées, je vais essayer, dans les quelques lignes qui suivent, d'évoquer l'apport de S. Lebovici dans le domaine de la psychopathologie du bébé.

    Cette évocation, je vais la présenter grâce à l'expérience d'un travail régulier avec lui, tant au plan hospitalier qu'universitaire, à l'Hôpital Avicenne et à la Faculté de Médecine de Bobigny, de 1985 où j'ai pris sa suite, à Septembre 1999 lors de mon retour à la Salpêtrière, quelques mois avant sa mort. Bien entendu, j'avais eu l'occasion de rencontrer S. Lebovici avant 1985 à plusieurs reprises dans la mesure où il connaissait mon intérêt pour le bébé et les interactions précoces. Il m'avait d'ailleurs demandé d'être Secrétaire du Comité d'Organisation qu'il présidait lors du deuxième Congrès Mondial de Psychiatrie du Nourrisson (Congrès de la WAIMH - ou World Association Infant Mental Health - en 1983 à Cannes).

    Au cours des échanges et de la collaboration pluri-hebdomadaires que nous avons eus, puisqu'il a continué à travailler beaucoup à Bobigny après sa « retraite » (le terme est bien malvenu pour lui), je dois dire que je n'ai pu être qu'impressionné par son dynamisme, sa curiosité, son ouverture d'esprit, ses énormes capacités de travail dont C. Chiland parle d'ailleurs en termes de véritable « religion du travail » . En même temps, j'ai pu aussi voir à quel point il suscitait parfois des réactions passionnelles dans son entourage et nos milieux professionnels.

    Il ne s'agit pas ici de faire une revue exhaustive de tout son apport en psychopathologie du bébé, mais simplement d'évoquer quelques points plus particuliers qui m'ont beaucoup frappé.

    Sans doute, faut-il d'abord dire que S. Lebovici a évoqué plusieurs fois l'environnement très favorable en France à la naissance et au développement de son intérêt pour la clinique de cette période de la vie, lié aux apports antérieurs de M. David, G. Appel, M. Soulé ou L. Kreisler et bien d'autres dans ce champ.

    Il y a lieu bien entendu aussi de resituer ce nouvel intérêt dans un double changement professionnel. Celui de sa nomination comme hospitalo-universitaire en 1978 à Bobigny, et celui, personnel, de son expérience de grand-père.

    1. Dans le domaine de la pratique clinique et plus particulièrement celui des consultations thérapeutiques mère-bébé (qu'il a pratiquées chaque semaine jusque dans les dernières semaines de sa vie dans les locaux psychiatriques de la Faculté de Médecine de Bobigny), il y aurait énormément à dire.

    Il y avait clairement dans leur mise en oeuvre un style LEBOVICI, qui le différenciait d'autres cliniciens qui ont beaucoup travaillé et publié sur la question. Ce style s'exprimait notamment dans sa manière d'interagir avec les autres partenaires de la consultation, la mère, le bébé. Il avait le désir de s'adresser au bébé directement, sans pour autant penser que ce dernier était capable de comprendre le sens de sa parole comme peut le faire un plus grand enfant ou un adulte. Son abord de la problématique maternelle était particulier, prenant en compte ses composantes personnelles, de membre du couple, de parent, et d'enfant de ses parents. J'ai pu voir à quel point son intuition clinique lui permettait, dès les premières minutes de la consultation, d'entrer de plein-pied dans la dynamique des relations précoces entre ce bébé et sa mère et, au-delà, de l'environnement actuel et passé de la mère et de l'histoire familiale. Il savait susciter des effets très positifs du transfert, avait une grande aisance de l'enregistrement vidéo quasi-systématique de toutes ses consultations. Sans doute, l'aspect direct de certaines de ses interventions pouvait étonner, voire un peu choquer, du moins au début, certaines personnes qui assistaient à ses consultations, notamment celles qui n'en avaient pas l'habitude (par exemple, dans les consultations retransmises en circuit interne lors du Diplôme Universitaire de Psychopathologie du Bébé). Ainsi, la confrontation très directe par S. Lebovici d'une mère déprimée à son agressivité à l'égard de son propre bébé pouvait paraître bien brutale, voire agressive. Mais en même temps, on pouvait percevoir ensuite à quel point cette mère était soulagée d'avoir pu dire qu'elle en voulait à son bébé et même exprimer quelquefois sa haine ou son désir mortifère à son égard ; de même, son abord très direct de la sexualité d'une mère, en pleurs, quelques jours après la mort de son bébé par mort subite.

    Sans doute aussi, et cela a fait parfois l'objet de discussions avec ses interlocuteurs, a-t-on pu remarquer son intérêt prévalent pour la problématique maternelle et peut être une certaine tendance à moins impliquer le père et s'y intéresser. « Je suis un homme« disait-il avec un sourire !

    Les notions et les concepts qu'il a largement développés dans ses écrits transparaissaient bien dans ses interventions, par exemple ceux de :

    - interaction fantasmatique : cette dimension fantasmatique de l'interaction vient s'ajouter aux deux autres, l'interaction dite comportementale (ou bien encore concrète) et l'interaction affective (ou émotionnelle). L'interaction fantasmatique recouvre en fait une double dimension imaginaire consciente ou préconsciente et fantasmatique inconsciente. C'est sur cette dernière qu'insistait S. Lebovici : elle comprend les scénarios inconscients présents dans la vie psychique maternelle et intervenant dans l'interaction concrète. Cette notion d'interaction fantasmatique a été introduite par L. Kreisler et B. Cramer d'une part, et un peu plus tard par S. Lebovici qui a beaucoup contribué à la populariser ;

    - transmission intergénérationnelle : cette notion peut être figurée par un arbre de vie dont les racines plongent dans le passé. Elle met l'accent sur l'importance de l'histoire familiale et des propres conflits infantiles des parents (non sans lien avec les relations de ces derniers avec leurs propres parents). Ceux-ci peuvent être à l'origine d'un mandat transgénérationnel plus ou moins contraignant ;

    - empathie métaphorisante et enactante : empruntée à Freud qui la tient lui-même des théories esthétiques et psychologiques du 19ème siècle, l'empathie désigne ici la capacité du thérapeute de sentir ce que ressent l'autre et de pénétrer à l'intérieur de lui, dans un mouvement de compréhension de ce qui s'y passe. Loin de se réduire à une vague communication d'inconscient à inconscient, c'est un mouvement complexe dont la gestation est lente, silencieuse et corporelle, même si les formulations surgissent immédiatement. S. Lebovici la caractérise comme empathie métaphorisante puisque ce sont les mots qui vont dire ce que le corps aura ressenti dans un moment privilégié d'enacment ou d'enaction, c'est-à-dire ce moment où le thérapeute éprouve dans son corps un agi qui reste ressenti et non agi et qui va le pousser à intervenir et lui donner des capacités métaphoriques.

    Je dois dire que ces notions m'ont beaucoup aidé dans ma propre pratique des consultations thérapeutiques parents-bébé. Au cours des consultations de S. Lebovici, quelquefois uniques, parfois répétées à trois semaines ou un mois d'intervalle mais généralement pas de manière très prolongée, on sentait toute l'expérience du psychanalyste qu'il était.

    Ses points de vues théoriques s'appuyaient sur les données de la psychanalyse (notamment celles de la reconstruction psychanalytique) et sur les concepts de la métapsychologie freudienne.

    Mais tout le monde connaît l'ouverture d'esprit de son approche de la compréhension de la vie psychique et de son développement. Il a ainsi porté beaucoup d'intérêt à l'apport des recherches cliniques ou expérimentales utilisant l'observation directe, notamment les recherches des développementalistes nord-américains ou européens sur les compétences du bébé, sur les interactions et la communication précoces (par exemple D. Stern).

    Cela ne remettait pas en cause ses convictions sur la naissance de la vie psychique et de la relation d'objet avec ses formulations bien connues : « l'objet est investi avant d'être perçu... » , ou bien sur la naissance de la pensée dans l'expérience de l'absence et de l'hallucination précoce de l'objet, ou bien encore sur la notion de narcissisme primaire, alors même que certains travaux, ceux de J. Bowlby sur l'attachement, mais aussi de bien d'autres, peuvent donner lieu à d'autres points de vue.

    2. Dans le domaine de l'enseignement et de la formation, j'évoquerai ici ses très nombreuses interventions dans de multiples occasions (séminaires, colloques, journées scientifiques, congrès en France et à l'étranger, etc...) où il développait son point de vue à travers une vignette ou une observation clinique brève.

    Sans doute faut-il accorder une place particulièrement importante au Diplôme Universitaire de Psychopathologie du Bébé que nous avons co-organisé dès 1990 et où il a donné beaucoup de lui-même jusqu'à quelques semaines avant sa mort.

    Qu'il s'agisse de ses consultations vidéo retransmises en direct ou de discussions de cas, ses exposés théoriques suscitaient toujours, auprès des participants, énormément d'intérêt et de questions, lui permettant d'apporter les éclairages qu'il jugeait nécessaires.

    J'ai évoqué initialement le Congrès Mondial de Cannes en 1983 de Psychiatrie du Nourrisson, congrès dont on pourrait dire qu'il a été un peu fondateur de la psychiatrie du nourrisson en France. Je voudrais évoquer là le premier Congrès International de Psychiatrie Périnatale en France que nous avons co-organisé à Monaco en 1996. De nombreux collègues français mais aussi européens et américains y ont participé, notamment un certain nombre de chercheurs développementalistes américains, parmi lesquels E. Tronick, un des élèves de Brazelton à Boston. A travers ce congrès, on voit bien le champ de la psychopathologie du bébé s'élargir et englober de manière plus importante tout le domaine de la périnatalité prise là encore dans un sens très large, depuis la conception jusqu'aux premiers mois de la vie de l'enfant.

    Son intérêt pour les nouvelles technologies (internet, multimedia, videotransmission mais aussi plus modestement conférences téléphoniques, notamment dans une formation à distance en psychopathologie du bébé avec des collègues latino-américains, mexicains notamment) est à évoquer là.

    3. Dans le domaine de la recherche, dont j'ai toujours pu voir à quel point cette perspective était essentielle dans l'approche des problèmes par S. Lebovici, il y aurait là encore beaucoup à dire. Je ne peux évoquer ici que très brièvement, à côté de bien d'autres, deux recherches très caractéristiques par les applications concrètes auxquelles il tenait :

    - la première, recherche-action, c'est-à-dire impliquant ici la formation des professionnels concernés à l'observation des interactions précoces, portait sur la prévention de la maltraitance en collaboration avec la PMI. Cette recherche, qui était en cours lorsque je suis arrivé à Bobigny en 1985, et à laquelle je n'ai pas directement participé, s'est efforcée de repérer les troubles des interactions précoces et les éléments de l'histoire familiale susceptibles de donner naissance à une maltraitance ;

    - la seconde recherche a porté sur les conséquences dans la famille de la survenue de la mort d'un bébé de mort subite du nourrisson et de ses effets sur les interactions et le développement de l'enfant suivant. C'est une recherche multicentrique qui a été particulièrement instructive. Réalisée avec plusieurs collègues de Bobigny, d'Angers, de Limoges entre autres, elle a été publiée dans un ouvrage des PUF en 1996 : « La mort subite du nourrisson : un deuil impossible ? L'enfant suivant ». Aussi bien les hypothèses, la méthodologie que les résultats et l'interprétation et l'application de ses résultats me paraissent être un modèle de l'apport des recherches cliniques dans ce domaine des interactions précoces.

    Il faut encore citer son implication dans la création de trois réseaux de recherche INSERM successifs sur le bébé et sa direction de nombreux DEA en thèses, et de manière plus générale de recherches cliniques chez le bébé.

    Tous ses travaux ont donné lieu à de très nombreuses publications. Je n'en retiendrai ici qu'un petit nombre.

    1. Parmi les ouvrages

    * Le nourrisson, la mère et le psychanalyste, en collaboration avec S. Stoleru, Le Centurion, Paris, 1983.

    * Traité de psychopathologie du bébé, sous la direction de

    S. Lebovici et R. Weil-Halpern, Paris, PUF, 1989.

    * Tragédies à l'aube de la vie, sous la direction de Y. Gauthier, S. Lebovici, Ph. Mazet et J. P. Visier, Paris, Bayard,

    CTNERHI-INSERM, 1993.

    * La mort subite du nourrisson ; deuil impossible ?. L'enfant suivant, sous la direction de Ph. Mazet et S. Lebovici, Paris, PUF, 1996.

    * Psychiatrie périnatale. Parents et bébés. Du projet d'enfant aux premiers mois de vie, sous la direction de Ph. Mazet et

    S. Lebovici, Paris, PUF, 1998.

    2. Parmi les articles (ou chapitres d'ouvrages collectifs)

    * S. Lebovici - Consultations thérapeutiques mère-nourrisson. Journal de la Psychanalyse d'Enfant, 1987 ; 03 : 172-190.

    * N. Job-Spira, M. Lamour, M. Gabel, J. Chambrun,

    S. Lebovici ­ Recherche-action sur la prévention de la maltraitance chez le très jeune enfant, Archives de Pédiatrie, 1988 ; 45.

    * S. Lebovici - La théorie de l'attachement et la psychanalyse contemporaine, La Psychiatrie de l'Enfant, 1991 ; 34-02 : 309-340.

    * S. Lebovici, Ph. Mazet - A propos de l'évaluation des interactions fantasmatiques, in « L'évaluation des interactions précoces entre le bébé et ses partenaires« (sous la direction de

    S. Lebovici, Ph. Mazet et J.P. Visier), Ed. Eschel et Médecine et Hygiène, Paris-Genève, 1989 : 217-236.

    * S. Lebovici - L'homme dans le bébé, Revue Française de Psychanalyse, 1994 ; 03 : 662-680.

    * S. Lebovici - Empathie et enactment dans le travail de contre-transfert, Revue Française de Psychanalyse, 1995, LVIII-0 : 1553-1563.

    * S. Lebovici - Défense et illustration du concept de narcissisme primaire. Les avatars du narcissisme primaire et les processus de subjectivation, La Psychiatrie de l'Enfant, 1997, XL-2 : 429-463.

    * S. Lebovici - Le mandat transgénérationnel, Psychiatrie Française, 1998 ; 03 : 7-15.

    Qu'il me soit permis à la fin de ces quelques lignes de souligner un des aspects de l'activité de S. Levovici, s'ajoutant à tous ceux qui ont été volontiers évoqués lors de journées récentes qui lui ont été consacrées, celui d'un explorateur toujours en quête de découvrir des champs nouveaux de la pratique et de la théorie. Je dois dire que j'ai eu la chance de l'accompagner dans quelques uns de ses voyages, tant au sens propre, notamment en Amérique Latine, au Mexique ou au Brésil par exemple, qu'au sens figuré surtout, celui de l'exploration de plusieurs domaines concernant le bébé et la périnatalité.

    Deux des réalisations qui ont été mises en place à Bobigny, aussi bien le Diplôme Universitaire de "Psychopathologie du Bébé" que celui de « l'Accompagnement des personnes atteintes de maladie génétique et de leur famille », ont lieu maintenant à la Salpêtrière (à l'Université Paris VI), un endroit où il a travaillé à différents moments de sa carrière et où j'ai eu le plaisir de revenir depuis maintenant près de deux ans.

    * Chef de service de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent à la Salpêtrière, Professeur de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent à la Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière (Université Paris VI).


    Sommaire

    Le psychodrame selon Serge Lebovici

    Michel Laxenaire*

    S. Lebovici fut toute sa vie un agitateur d'idées et un créateur concret. Au début de sa carrière, après la deuxième guerre mondiale, il révolutionna, et le mot n'est pas trop fort, la psychiatrie infanto-juvénile, en introduisant avec R. Diatkine et E. Kestemberg la pratique du psychodrame dans le traitement des enfants et des adolescents atteints de troubles graves du comportement ou de psychose. Avec ses deux collègues, il a, en 1958, rendu compte de leur expérience dans un bilan qui portait sur dix années de pratique du psychodrame. Ce bilan, paru dans la revue « La Psychiatrie de l'Enfant T 1 : 63-179 », constitue une véritable somme de leurs conceptions sur cette forme de psychothérapie, alors toute nouvelle en France (il compte plus de 120 pages et se découpe en chapitres comme un livre).

    Sans avoir séjourné aux Etats-Unis, encore peu accessibles aux psychiatres français, S. Lebovici avait eu connaissance du psychodrame inventé par Moreno et de la manière dont il le pratiquait à Beacon, près de New York. Il admet s'en inspirer, tout en indiquant les modifications importantes que lui et ses collègues y ont introduites. C'est ainsi, qu'après un hommage appuyé à M. Rambert, une psychothérapeute suisse, qui utilisait les jeux de marionnettes dans la psychothérapie des enfants, il écrit : « A cette époque, nous n'avions connaissance que par ouï-dire des travaux de Moreno, ce qui nous obligea à improviser et à faire de nombreux essais dans des sens assez différents ».

    Parmi les raisons qui avaient incité S. Lebovici à s'intéresser à une forme de thérapie collective, la plus impérieuse découlait des misères de la guerre. « C'était, dit-il, la nécessité de traiter le plus grand nombre d'enfants avec des moyens limités ». Le psychodrame, qui implique la participation de plusieurs personnes prises dans un groupe de spectateurs, lui avait paru être un moyen de choix pour le domaine de la pédopsychiatrie, à la fois par son aspect ludique, naturellement adapté à l'enfant, et par son mode d'expression, résolument original.

    Mais, si S. Lebovici avait été séduit par la technique et la pratique du psychodrame morénien, il n'entendait pas, lui qui appartenait à la première école des psychanalystes français, abandonner, à la porte de la salle de psychodrame, les concepts auxquels il avait été formé dans la relation divan fauteuil de sa psychanalyse personnelle. C'est pourquoi, se remémorant cette époque, il affirme avoir été choqué par les concepts élaborés par Moreno pour expliquer les bienfaits de sa trouvaille : « Nous retrouvions là quelques unes des idées qui avaient inspiré Moreno dans ses débuts mais qui l'avaient conduit à formuler des principes discutables ».

    Avec ses deux collègues, et s'appuyant sur une expérience clinique de dix ans, à laquelle il se réfère par de nombreux exemples, il entreprend donc, au fil des années, de remplacer « ces principes discutables » par ceux de la psychanalyse, mieux aptes selon lui, à expliquer et comprendre les phénomènes induits par la situation psychodramatique. « En tant que psychanalystes, écrit-il, nous retrouvâmes dans les expériences psychodramatiques, une dynamique qui nous était familière. Les phénomènes de transfert apparaissaient avec évidence et déterminaient, pour une part très importante, le comportement des malades ».

    Fort de son expérience de psychodramatiste et de son acquis de psychanalyste, il décide donc de conserver la technique morénienne du psychodrame, c'est-à-dire l'actualisation dramatique des conflits et leur mise en scène théâtrale, tout en la complétant par l'interprétation psychanalytique. Voici ce qu'il écrit pour expliquer son choix : « Si l'intérêt des expériences dramatiques ne peut échapper à quiconque a l'occasion de les pratiquer, la théorie de la spontanéité ne nous paraît pas rendre compte de la réalité clinique. Il est indispensable de ne pas traiter sur le même plan expérience concrète et théorie générale peu satisfaisante. Bien que devant beaucoup à Moreno sur un certain plan technique, nous nous sommes complètement séparés de lui sur le plan théorique ».

    Pour justifier cette indispensable séparation, il s'appuie sur ses observations cliniques : « Nos expériences, écrit-il, nous ont confirmé dans nos positions psychanalytiques et le psychodrame nous est apparu comme la possibilité de pratiquer des cures psychanalytiques dans des circonstances d'âge et de structure du Moi qui sont habituellement des contre-indications de cette thérapeutique dans sa forme classique. C'est ainsi que, outre le transfert, nous avons pu étudier dans un même mouvement l'expression dramatique des mécanismes de défense ».

    Ainsi, il est bien clair que pour S. Lebovici, ce qui se passe en psychodrame ne peut être compris et interprété qu'en référence à la psychanalyse. Cette profession de foi psychanalytique ne l'empêche pas, cependant, de s'interroger sur le rôle, qu'il présume important, joué par le groupe dans le processus de changement induit par le psychodrame. C'est pourquoi il nuance loyalement sa conception psychanalytique par une référence à « la dynamique des groupes », héritage de K. Lewin, tout en restant prudent sur l'importance et la nature de ce mode de fonctionnement groupal.

    « Il existe, écrit-il, plus d'une ambiguïté dans l'expression « psychothérapie de groupe ». On peut traiter des groupes en tant que tels dans certaines conditions institutionnelles. Mais en fait, le plus souvent dans la pratique ambulatoire, il est exact que ce sont les individus que l'on traite par le groupe. Nous sommes néanmoins en désaccord avec Slavson, lorsqu'il affirme ne faire dans le groupe qu'une thérapeutique individuelle. Le groupe est une réalité dont les effets sont utilisables dans un sens thérapeutique quand on apprend à les connaître, mais qui peuvent tout aussi bien entraîner des conséquences fâcheuses si on les néglige ou si l'on s'en sert à mauvais escient ».

    C'est, sans doute, cette conception équilibrée de la fonction thérapeutique du groupe qui incite S. Lebovici à proposer deux formes de psychodrame : La première, qu'il appelle « psychanalyse dramatique de groupe », concerne un groupe de 5 ou 6 enfants, qui sont traités simultanément par deux thérapeutes de sexes différents. Les phénomènes de groupe y sont pris en compte et repérés selon les règles de la dynamique des groupes, mais les interprétations qui les concernent, restent du domaine de l'écoute analytique. Raison supplémentaire pour que les psychodramatistes passent d'abord par une analyse personnelle.

    La deuxième forme, dénommée « psychodrame analytique individuel », ne permet, elle, que de traiter un seul enfant à la fois, pris en charge par plusieurs thérapeutes. L'équipe des psychodramatistes, jamais inférieure à trois, comprend un directeur de jeu, garant des règles et du déroulement du jeu, et plusieurs thérapeutes, jusqu'à trois ou quatre, qui se distribuent les rôles nécessités par l'histoire proposée par l'enfant ou l'adolescent en thérapie. Celui-ci joue son propre rôle, tandis que les thérapeutes jouent les rôles qu'on leur a distribués. Le groupe, dans ce cas, concerne les thérapeutes et l'analyse ne porte que sur leur inter-transfert.

    Les conditions matérielles dans lesquelles se déroulait le psychodrame à l'époque où S. Lebovici rendait compte de sa pratique, « étaient bien loin de celles du théâtre en rond conçu par Moreno. Il n'y avait pas de décor et les accessoires étaient réduits à une table et quelques chaises ». On sent dans cette phrase à la fois de l'amertume et du défi car, tout en rejetant comme insuffisants les concepts moréniens de spontanéité et de catharsis, S. Lebovici continue à utiliser et à défendre, dans le déroulement du psychodrame, les procédés de Moreno : renversement de rôles, jeu en miroir, réalisation dramatique des rêves, qu'il décrit longuement et auxquels il accorde une importance considérable. Il y ajoute, toutefois, une technique plus purement « lebovicienne » : la direction du jeu assurée par un participant, procédé qui permet de se faire une idée plus précise sur ce que veut réellement un patient indécis.

    Enthousiasmé par le psychodrame, S. Lebovici est resté réaliste sur ce qu'on peut en attendre concrètement : « Pas de gain de temps, souligne-t-il, rendement faible, surtout en ce qui concerne le psychodrame individuel, formation longue pour le psychodramatiste, qui doit, avant de s'y aventurer, faire une psychanalyse individuelle ». Mais, il se hâte d'ajouter : « Le psychodrame reste irremplaçable dans les cas où la verbalisation est difficile ou dans ceux des structures graves, psychotique ou caractérielles ».

    Depuis les intuitions fondatrices de S. Lebovici, les indications du psychodrame se sont multipliées, sa technique s'est diversifiée et le psychodrame est utilisé aujourd'hui dans de nombreuses indications en psychiatrie d'adulte autant qu'en pédopsychiatrie. Couplé à l'analyse de groupe, il est considéré comme un outil indispensable dans les domaines de la formation et de la psychothérapie dans les indications les plus variées.

    Le mérite de S. Lebovici, pionnier en la matière, est donc considérable. Il a, en quelque sorte, « francisé » un psychodrame, jusque là exclusivement morénien. Il a été un des premiers, sinon le premier, à lui donner une dimension psychanalytique et à le considérer, sous cette condition, comme une forme psychothérapeutique majeure, à l'avenir brillant. Pour tous les psychodramatistes modernes, le nom de S. Lebovici reste indissolublement lié à celui de « psychodrame analytique individuel ». Distinction rare qui continuera, dans le futur, à rendre hommage à celui qui, par son extraordinaire faculté de création, aura doté la psychiatrie d'un moyen psychothérapeutique aussi efficace qu'original.

    * Président de l'Institut Français d'Analyse de Groupe et de Psychodrame


    Sommaire

    Serge Lebovici et la théorie de l'attachement

    Raphaële Miljkovitch*

    Ayant observé les très graves conséquences de la séparation d'avec les parents sur l'état psychologique et physique des jeunes enfants, John Bowlby a proposé comme postulat de base de sa « théorie de l'attachement », l'idée que l'établissement d'un lien affectif (à la fois charnel et émotionnel) à une personne privilégiée constitue un besoin primaire et vital. Ainsi s'est-il distancé des conceptions de Melanie Klein, selon lesquelles seule la vie fantasmatique aurait de l'importance. Dans la même volonté de tenir compte de faits observables dans le remaniement de la théorie psychanalytique, S. Lebovici a aussi critiqué les formulations « naïves » des kleiniens (et aussi des lacaniens) pour qui « ni la réalité vécue ni le développement ne semblent compter dans le cadre d'une référence personnologique » (1979, p.195).

    Alors que bon nombre de psychanalystes s'insurgeaient contre les idées de Bowlby, Lebovici, à l'occasion du colloque sur l'attachement organisé par René Zazzo en 1979, considérait que « l'attachement primaire constitue une donnée de base qui ne contredit pas la métapsychologie freudienne dont le registre est bien celui des vicissitudes de la dynamique pulsionnelle et de l'énergie libidinale » (p. 83). Encore récemment (Lebovici, 2000), il a rapproché les travaux de Bowlby (sur les conséquences durables de la qualité de l'attachement aux proches) des postulats de Freud concernant la nécessité d'un investissement narcissique fondamental de la part des parents dans la constitution du self de l'enfant.

    En marge de la position de Bowlby (selon laquelle le plus important pour la vie de l'enfant est de lui procurer une sécurité affective), Lebovici a souligné la nécessité pour ce dernier d'avoir une mère capable de se détacher de lui, afin de pouvoir organiser « ses premières possessions » et son self. Dans une certaine mesure, il considérait que les hasards de l'histoire et l'insatisfaction des besoins sont des moteurs de la vie mentale qui lui donnent toute sa spécificité.

    En articulant les théories de Freud et de Bowlby, Lebovici a postulé que de l'attachement naît l'identification, et que celle-ci constitue un fantasme qui protège contre la rupture ou la perte de liens. Ainsi a-t-il beaucoup insisté sur l'existence de fantasmes et sur leur rôle au sein des interactions. Dans la lignée de Winnicott et de Bion, il a cherché à expliquer comment ce qui est vécu dans la petite enfance conditionne le comportement maternel ultérieur. Ce faisant, il s'est intéressé au concept de « modèle interne opérant » (MIO) introduit par Bowlby. En collaboration avec Martine Lamour, il s'est engagé dans une recherche portant à la fois sur la fantasmatique des parents par rapport à leur enfant - en référence notamment à ses formulations théoriques sur « l'enfant imaginaire » - et sur les MIO respectifs des parents et de l'enfant. Il a alors grandement contribué à la diffusion, en France, de méthodes de recherche élaborées par les théoriciens de l'attachement, et plus particulièrement la « Strange Situation » de Mary Ainsworth et « l'Adult Attachment Interview » de Mary Main, tous deux conçus autour de la notion de MIO.

    Comme les post-bowlbiens qui expliquent le phénomène de transmission intergénérationnelle des modalités d'attachement par le biais de la sensibilité ou de la Capacité de Conscience Réflexive de la mère (Fonagy et al., 1991), Lebovici a exposé comment les « anticipations créatrices » de celle-ci - soit en quelque sorte ses interprétations des signaux du bébé - sont issues de son propre vécu d'enfant.

    Ainsi, S. Lebovici a eu le mérite de faire de la métapsychologie une théorie vivante en y intégrant les avancées réalisées dans les sciences contemporaines, sans jamais perdre de vue les travaux des théoriciens de l'attachement dans ses réflexions personnelles. Peu avant de disparaître, il déclarait : « Que le modèle d'une co-construction mutuelle entre généticiens et psychanalystes se développe, c'est là le souhait que je forme pour l'avenir ».

    * Fonagy, P., Steele, M., Steele, H., Moran, G.S., & Higgit, A.C., The capacity for understanding mental states : the reflective self/parent in mother and child and its significance for security of attachment. Infant Mental Health Journal, 1991 ; 12 : 201-218

    * Lebovici, S., A propos du travail de René Zazzo « L'attachement ». Quelques réflexions d'un psychanalyste. In R. Zazzo (Ed.) Le colloque sur l'attachement. Neuchatel, Paris, Delachaux & Niestlé, 1979 : 79-84 et 195-198

    * Lebovici, S., Avant propos. In Halfon, O., Ansermet, F., &. Pierrehumbert, B., Filiations psychiques, Paris, Presses Universitaires de France, collection Le fil rouge, 2000.

    * Maître de conférence en psychologie à Paris VIII


    Sommaire

    L'oeuvre de Serge Lebovici est très vaste. Le Comité de Rédaction de Pour la Recherche a pensé qu'il serait intéressant de présenter ses contributions personnelles au Nouveau traité de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, dont il a dirigé la publication avec René Diatkine et Michel Soulé, et qui a connu deux éditions (PUF 1985-1999).

    On peut supposer que ces contributions personnelles témoignent de ce qu'étaient ses études de prédilection. A travers ces textes, on retrouve un panorama du mouvement de la psychanalyse, de ses modèles et de ses prises de positions personnelles.

    Lors de la préface de la 1ère édition S. Lebovici témoignait «La psychiatrie de l'enfant est une branche relativement récente de la médecine. Elle connaît aujourd'hui une grande extension, mais son objet, ses limites et ses ambitions thérapeutiques n'en sont pas clairement définis pour autant.»

    La préface de la seconde édition commence ainsi « Ce nouveau traité de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent... De plus les progrès récents dans les études anatomique et physiologique, ainsi que dans l'imagerie, ont suscité des travaux spectaculaires inspirés par la neurobiologie et la neuropsychologie. Ce nouveau traité est donc ouvert à leur expression tout en maintenant avec rigueur une compréhension psychanalytique de la psychopathologie qui elle-même a beaucoup évolué.»

    Ce traité impressionnant comporte 4 tomes et 179 chapitres. Nous vous présentons un résumé de ceux qui sont constitués d'un texte personnel de Serge Lebovici.


    Tome I, chapitre 2, pp 15 : Psychiatrie générale de l'enfant et de l'adolescent

    Approcher l'enfant « ET» sa famille

    La psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent est « à la traîne » par rapport à celle de l'adulte. Partant de ce constat historique mais néanmoins fort classique, S. Lebovici développe l'idée d'une approche de « l'enfant et de sa famille » visant à « favoriser la santé mentale des uns et des autres ». Il met en garde sur la valeur des « étiquettes diagnostiques » chez un enfant dont « la pathologie est développementale » et sur le fait qu'il reste « beaucoup à faire pour reconnaître avec une rigueur suffisante la valeur pathologique ou évolutive des accidents observés ».

    Rapprocher la psychiatrie de l'enfant à celle de l'adulte

    Enfin, tout en pointant les liens privilégiés de la psychiatrie de l'enfant avec la pédiatrie, il insiste sous forme d'un plaidoyer pour un rapprochement à la fois géographique et en termes « d'unité de pensée et d'action » des services d'adultes et enfants correspondants.

    Serge Friedman


    Tome I, chapitre 5, pp 45 : Approche familiale ; Tome IV chapitre 171 pp 2979 : Les différentes approches thérapeutiques

    S. Lebovici présente les différentes approches thérapeutiques qui, parallèlement à la psychanalyse, peuvent être utilisées en psychiatrie de l'enfant.

    Le chapitre 171 propose un aperçu rapide (il ne comporte que 5 pages) de différentes techniques, comme par exemple, les thérapies d'expression, les thérapies comportementales et cognitives, les psychothérapies éducatives, les thérapies institutionnelles ou le placement familial.

    Le chapitre 5, plus important (40 pages), présente de façon détaillée l'approche familiale. Cette dernière, déjà présente selon S. Lebovici dans les premiers écrits de Freud, lorsque celui-ci remarquait qu'assez souvent on observait une opposition de la famille aux transformations qui survenaient chez le patient, s'est principalement développée dans les années 50. Sous l'influence, entre autres, d'auteurs comme Bateson, Boszormenyi Nagy, Wynne, Selvini-Palazzoli, Minuchin, Haley, la pratique systémique a pris son essor et a permis de construire des modèles thérapeutiques inter-personnels et intra-familiaux. Traditionnellement axée sur les familles de patients schizophrènes, la thérapeutique systémique fut aussi développée pour l'anorexie mentale comme par exemple en Italie avec Mara Selvini-Palazzoli. Souvent élaborée en opposition aux propositions théoriques de la psychanalyse, la pratique systémique doit pouvoir, toujours selon S. Lebovici, être combinée dans une lecture complémentaire avec certains concepts psychanalytiques. Cependant, il s'oppose à ce que des concepts métapsychologiques propres à la cure psychanalytique traditionnelle soient étendus à l'étude de la famille. Le psychanalyste de famille doit pouvoir étudier le groupe familial aussi bien au niveau comportemental qu'au niveau fantasmatique. Tout particulièrement, le psychanalyste de famille doit tenir compte des données issues de l'observation de ce que S. Lebovici considère être le premier type d'approche familiale, l'interaction précoce de la mère et de son bébé.

    Michaël Villamaux


     

    Tome I, chapitre 34, pp 549 :Techniques de l'observation du très jeune enfant

    Il s'agit de traiter dans cet article des problèmes auxquels doit faire face l'observateur du bébé dans ses divers milieux de vie ainsi qu'en « laboratoire » (service clinique ou Unité de recherche où un matériel adéquat permet au bébé toute action appropriée à son âge).

    Les trois principaux objectifs de cet exercice qui met en jeu les interactions du bébé avec ses partenaires sont : le développement du bébé lui-même, la qualité de ses interactions et l'établissement de la parentalité.

    Observation en laboratoire : S. Lebovici rappelle que bien que les échelles de Brazelton ou le test de Brunet-Lézine donnent des résultats intéressants, ils doivent être interprétés à la lumière des autres études cliniques, en particulier celles concernant les interactions. Celle de Mary Ainsworth (1969), très répandue au Etats-Unis et maintenant dans le monde entier, mesure l'attachement de l'enfant à sa mère. Celui-ci est classé en 3 catégories : « défiant » 27%, « sécure » 50% et « ambivalent » 13%. Certains auteurs américains ont soutenu que l'attachement « confiant » donne lieu à une véritable sécurité durant toute la vie, transmise de génération en génération « transmission intergénérationnelle ».

    Bowlby défendait également l'idée que le comportement d'attachement était réciproque, qu'il durait toute la vie et que le modèle interne de l'attachement « working model » devait être défini dans le registre des aptitudes cognitives.

    Pour Stern, l'observation des interactions ne saurait se limiter à l'étude des comportements réciproques du bébé et de ses parents. Il y a lieu de tenir compte du bain émotionnel dans lequel se déroulent ces comportements interactifs et de l'« accordage affectif » qui s'y observe.

    L'observation en laboratoire va tenter également d'étudier les interactions fantasmatiques, ce qui reste d'une grande difficulté, pour établir une grille valide et fiable. Cette recherche a été proposée par B. Cramer sous la forme du questionnaire R (1989).

    Observation en milieu familial : cette méthode rappelle celle du laboratoire à bien des égards. Elle est préconisée particulièrement dans les recherches longitudinales, suivant un rythme généralement proposé à un mois, trois mois, six mois, douze mois, vingt quatre mois et même trente mois. Les grilles d'études des interactions dépendent de l'âge du bébé.

    Il est difficile de parler d'une procédure standardisée lorsqu'il s'agit d'une observation clinique qui se veut scientifique car elle s'appuie essentiellement sur l'état de chacun des partenaires. Les échanges sont notés dans des situations aussi précises que possible tels le holding du côté de la mère ; du côté du bébé, il faut préciser ses affects, ses besoins et la sensibilbité de la mère par rapport à eux (notion de contingence). Dans cette observation « il s'agit essentiellement de se faire une idée sur les capacités de l'enfant à se sentir continûment exister et à développer des représentations concernant ses relations avec ses objets d'attachement, d'abord sur un mode interpersonnel, puis intersubjectif » (les interactions se chargent de scénarios).

    D'autres auteurs préconisent l'observation par une méthode de « micro-analyse » qui permet, en clinique, non seulement l'observation des échanges et de leurs caractéristiques, mais aussi celle de leur dynamique. Cette observation peut être présentée aux parents en leur permettant de prendre conscience du rythme de leur enfant dans l'interaction et de s'y adapter.

    L'utilisation de la technique vidéo fait l'objet de remarques non négligeables dans les résultats portant sur l'observation du bébé, notamment « que l'observation vidéoscopique qui ne saisit qu'un moment court de longues journées favorise les effets sidérants liés à la présence de l'observateur ». Il rapporte une critique de cette technique de Tiffany Field (1988) qui montre que « lorsqu'un enfant est placé brusquement en face d'une mère rigide et complètement silencieuse, il décompense. Au contraire lorsqu'il est habitué au visage maternel de la dépression, il doit en faire son affaire et il y réussit souvent ».

    La conclusion de S. Lebovici est que « tout montre donc qu'il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives ni généralisées de l'observation du bébé et de sa famille, même si elle est armée par l'enregistrement vidéoscopique des interactions ».

    Monique Thurin


     

    Tome II, chapitre 64, pp 1091 : Hystérie chez l'enfant et l'adolescent (Michel Vincent, S. Lebovici)

    De l'hystérie de l'adulte à celle du jeune enfant

    Si selon Lucien Israel « l'hystérie est un piège et c'est pourquoi le médecin l'évite », Michel Vincent et S. Lebovici ne tombent pas dans celui de minimiser - voire de « dénier » - les aspects cliniques de l'hystérie chez le très jeune enfant (avant l'âge de 3 ans). Après un bref historique de la clinique de l'hystérie chez l'adulte, ils évoquent le concept de « pré-névrose » caractérisé par un état « d'excitation diffuse, d'hystérie sans conversion chez des enfants incapables d'utiliser régulièrement des mécanisme de défense (déplacement ou conversion) ».

    L'hystérie chez l'enfant : « ou trop ou pas assez »

    Deux écueils caractérisent la clinique de l'hystérie chez l'enfant : « une conception qui viendrait à nier son existence » mais aussi à l'opposé celle « trop extensive qui retire toute signification à la maladie ». Ainsi, pour S. Lebovici, le mutisme psychogène extra-familial ne peut être considéré comme hystérique, mais doit faire penser à « une dépression grave ou une prépsychose ». De plus, certains enfants (enfants adoptés, en institution) sont « qualifiés d'hystériques » pour traduire : « combien leur énergie est dépensée pour se conformer à l'attente des adultes et à réprimer la nostalgie d'un passé douloureux, non oublié ».

    Partant des descriptions cliniques de Freud chez des adolescentes (Dora, Katarina, Mathilde dans les Etudes sur l'Hystérie), le cas de Marcel est raconté : âgé de 18 ans, il avait eu un coma hypotonique déclenché par « la prise de conscience d'une homosexualité activement réprimée dans son unité embarquée de la Marine ».

    De l'hystérie à la « préhystérie »

    Enfin, après avoir abordé les conceptions psychanalytiques de l'hystérie de l'enfant et de l'adolescent, les auteurs distinguent le modèle freudien de « l'après coup » se référant aux troubles névrotiques des grands adolescents et adultes (névrose de transfert) de la névrose infantile. Ils proposent ainsi le concept de « préhystérie » caractérisant l'enfant « qui se retrouve sous la domination d'une hyperlibidinisation des conflits ».

    Serge Friedman


     

    Tome II, chapitre 89, pp 1591 : Les tics

    S. Lebovici réalise un bref historique des tics, de l'étymologie du mot qui apparaît comme un geste déplaisant, en passant par l'assimilation de toutes les manifestations spasmodiques. Ce fut Charcot qui s'intéressa à l'état mental des tiqueurs et souligna ainsi le côté psychique de cette maladie. Ensuite, Gilles de la Tourette (1884) décrivit la maladie des tics qui porte son nom. Parmi les psychanalystes, nombreux furent ceux qui consacrèrent des travaux aux tics : Abraham, Fenichel, Ferenczi et Lebovici.

    La description des tics comporte les caractéristiques des mouvements : brusques, systématiques, intempestifs et variables. Ce mouvement tend à se généraliser et devient obsédant.

    Les localisations des tics se situent au niveau des yeux, des lèvres, de la langue, les tics du nez, du cou, du menton, des différents muscles du faciès.

    S. Lebovici souligne que les tics peuvent signer la première manifestation des troubles de la série obsessionnelle, pouvant s'accompagner des pensées compulsionnelles.

    Longtemps, en France, les tics ont été classifiés parmi les troubles psychomoteurs ; mais depuis un certain moment ils sont définis comme une entité à part. La différence avec les Etats-Unis vient du fait que là-bas le syndrome des tics est équivalent « au syndrome de Tourette », contrairement à la France ou on distingue les tics simples des tics multiples et du syndrome Gilles de la Tourette. Cette dernière entité a été décrite depuis plus d'un siècle (1885) et consiste à regrouper les tics multiples de l'enfant et de l'adulte, tics améliorés par certains médicaments neurotropes.

    S. Lebovici se charge de clarifier une certaine tendance à soutenir la version neuropsychologique des manifestations névrotiques, version basée sur plusieurs constats (amélioration des symptômes par les neuroleptiques, présence d'anomalies biologiques et génétiques, et un constat ancien selon lequel des maladies neurologiques comme celle de Parkinson ont été longtemps considérées comme névrotiques).

    Citant Freud (Etude sur l'hystérie, 1893), S. Lebovici analyse le cas d'Emmy von N., qui présentait un délire hystérique qui alternait avec des états de conscience normale, « comme un vrai tic ». Selon Freud, les tics seraient un compromis entre la représentation et la « contre-idée », le terme ultérieur étant celui de « contre-volonté ».

    Selon Ferenczi, les tiqueurs présentent une capacité réduite de liaison psychique et une tendance spéciale à la décharge. Pour Ferenczi, il existe des grands rapports entre le développement des tics et la névrose traumatique ; ainsi, il décrit les tics comme une « hystérie du Moi ».

    Pour résumer, S. Lebovici avance l'hypothèse selon laquelle l'excitation non-représentée peut conduire à des décharges psychomotrices non maîtrisées.

    Après avoir fait le tour des théories neuropsychologiques et psychopathologiques, S. Lebovici propose plusieurs hypothèses. Ainsi, on peut définir les tics par leur valeur de décharge non élaborée ; dans ce sens, symptômes névrotiques et tics peuvent se succéder ou se remplacer. Les tics peuvent avoir un sens indiqué par le tiqueur : gêne et/ou traumatisme.

    Pour S. Lebovici, un véritable modèle neuropsychologique relie, d'une part le fonctionnement du SNC et des décharges motrices et de l'autre part les modalités élaboratives de ces mêmes décharges.

    Pour finir, S. Lebovici exprime le souhait qu'un jour des substances psychotropes guérissent les tiqueurs, aidés d'une élaboration mentale de leurs tics qui seraient également capable d'améliorer les effets de la chimiothérapie.

    Dan Velea


     

    Tome III, chapitre 115, pp 1993 : Le syndrome fœto-alcoolique. L'enfant des parents alcooliques

    Partant du vieil adage « lorsque les parents boivent les enfants trinquent », S. Lebovici précise les conditions de la toxicomanie alcoolique chez les jeunes en état de procréer.

    Il souligne que l'alcoolisme, avec sa connotation de toxicomanie à un produit licite, induit des dégâts très graves, à court et à long terme. L'aspect le plus intéressant de cette courte mise au point concerne l'analyse et la comparaison des alcoolisations chroniques, bien installées chez des parents âgés, avec l'alcoolisation de début des jeunes parents, alcoolisation qui se situe surtout sur le versant aigu de la beuverie récréationnelle. Pour S. Lebovici, les jeunes pères désinvestissent le foyer familial pour se procurer leur « dose », ou dans des situations plus vives peuvent aller même à des véritables délires de jalousies (le père peut prétendre que l'enfant n'a pas été conçu par lui). Dans le cas des jeunes filles, celles-ci peuvent recourir aux boissons alcoolisées pour dominer leur peur de commencer leur vie sexuelle, et se trouver ainsi enceintes dès leur première expérience sexuelle.

    S. Lebovici énumère les caractéristiques du syndrome fœto-alcoolique (SFA), faisant référence aux travaux de Tomkiewicz :

    * Retard sévère et durable, sinon définitif de la croissance staturo-pondérale

    * Microcéphalie et anomalies faciales

    * Déficience mentale

    * Troubles moteurs

    * Malformations (cardiaques)

    Lebovici souligne que la prévalence du SFA serait en France de 1/1000 naissances d'enfants vivants. Compte tenu des conséquences directes, mais aussi d'une diminution considérable des capacités maternantes, S. Lebovici conseille l'abstention totale de consommation d'alcool aux femmes enceintes.

    Dan Velea


    Tome IV, chapitre 175, pp 3047 : Classifications des troubles mentaux

    L'approche nosologique des troubles mentaux en psychiatrie de l'enfant a été beaucoup plus tardive qu'en psychiatrie de l'adulte. Initialement, elle se limitait à une distinction entre « débiles » et « caractériels ». Ultérieurement, l'état particulier du système familial et les interactions spécifiques liées à cette situation ont été pris en compte. Toute classification devrait tenir compte d'une double préoccupation : non spécificité du symptôme observé (qui peut, en particulier, constituer une réaction participant à l'état du système familial) ; caractère évolutif des troubles.

    Les classifications contemporaines ou entretiens structurés (DSM III, ICD 10) posent le problème d'une intrusion objectivante dans la situation clinique. L'intérêt des enfants et de leur famille ne dépend pas seulement des évaluations correctes des traitement institués, mais aussi du rôle mutatif que l'équipe de psychiatre de l'enfant peut jouer à l'égard de l'histoire transgénérationnelle.

    Dans sa présentation générale du DSM III, S. Lebovici fait remarquer que cette classification ne fait plus référence aux notions de névrose et de psychose. Ces notions sont pourtant particulièrement nécessaires pour déterminer si un symptôme relève d'un moment particulier du développement (phobie, obsession) ou s'il révèle une structure psychopathologique sous jacente.

    La CFTMEA permet de distinguer le temps de la recherche d'une catégorie clinique et celui de l'inventaire des facteurs d'ordre étiopathogénique. Elle permet également de rechercher des traits différentiels permettant de distinguer psychose, troubles névrotiques, pathologies de la personnalité, troubles réactionnels et déficiences intellectuelle, ainsi que ceux qui relèvent de troubles plus circonscrits (partie non encore réalisée à l'époque).

    Concernant les bébés, la classification devrait comprendre l'étude des interactions et de la parentalité.

    La classification de Wood a l'intérêt de considérer le handicap essentiellement comme un désavantage qui peut être la conséquence d'une infirmité, d'une maladie chronique, ou d'une incapacité (relation, communication, ...).

    Les échelles de diagnostic et d'évaluation sont appréhendées avec beaucoup de réticence par S. Lebovici. Essentiellement constituées d'items de comportements, elles révéleraient la conviction des tenants de cette approche qu'un jour, peut-être proche, la psychiatrie se résumerait à l'étude du comportement humain par les neuroscientistes suivant les procédés expérimentaux qu'ils utilisent pour leurs études sur les comportements animaux.

    Des instruments plus pertinents, tels que les entretiens structurés, existent. Mais pourquoi de tels efforts puisque jamais les données recueillies ne pourront rendre compte de ce qui fait la particularité d'un cas dans ses différents registres.

    En résumé, les classifications critérisées et glossairisées sont utiles dans une approche épidémiologique assez grossière, du fait, en particulier, de l'évolutivité des troubles et de leur réactivité à l'environnement. Elle appellent un renouveau de la psychopathologie sur des bases développementales et transnosographiques.

    Jean-Michel Thurin


    Tome IV, chapitre 179, pp 3099 : La recherche en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent

    Dans la pratique quotidienne, les évaluations systématiques des traitements et des pratiques sont devenues indispensables.

    Une classification rigoureuse permettant la standardisation des diagnostics est importante. L'apport des neurosciences est essentiel dans le domaine de la recherche. Voilà trois déclarations qui semblent à contre courant du chapitre 175 mais c'est la base d'un véritable contre-projet au réductionnisme.

    La recherche clinique vise à vérifier une hypothèse mise en avant par un travail de cas et à la vérifier par l'étude de cette variable, à partir de la comparaison de deux cohortes, celle des cas index et celle des cas témoin.

    Cette recherche ne doit pas limiter aux facteurs neurologiques. Elle doit prendre en compte sa famille, les communications et l'histoire transmise.

    Elle ne saurait reposer sur le recueil de données purement comportementales ; la compréhension peut augmenter la valeur des renseignements altérés. Elle peut être renarcissante.

    La recherche clinique doit respecter l'éthique, la déontologie et la morale : information et consentement de la famille à la recherche, anonymat, communication des résultats de la recherche aux familles concernées, accord pour l'enregistrement.

    La recherche action part d'une situation difficile qu'un groupe, souvent pluridisciplinaire, souhaite essayer de résoudre. Il s'agit alors de définir précisément la situation de recherche, comment elle a pu être résolue par d'autre, définir une action et de l'évaluation. Véritable essai thérapeutique, elle exige un groupe témoin.

    L'étude des facteurs de risque devrait permettre une relative prédiction de l'avenir des enfants et l'évaluation des mesures préventives qui reposent les recherches épidémiologiques.

    Jean-Michel Thurin


    Sommaire