Pour la Recherche n° 41

Méthodes qualitatives en recherche en santé et en psychiatrie

Editorial - Comité de rédaction
Recherche qualitative. Quelle définition ? M Villamaux
Étapes d'une recherche qualitative
Méthodes, techniques et épistémologies de l'analyse qualitative. X Briffault
Subjectivité du chercheur et qualitatif en recherche. MThurin
Quels outils pour l'analyse de données qualitatives ?. X Briffault
Recherche qualitative et EBM. JM Thurin
Études qualitatives en psychanalyse. B Lapeyronnie
Évaluation de la recherche qualitative. M Falk-Vairant
abonnement
Comité de Rédaction et remerciements


Editorial - Pour la recherche -

Dans le numéro 33 de Pour la Recherche de juin 2002, sur le thème la "recherche qualitative", nous annoncions un autre numéro sur cette question. Le voici.
Le premier numéro présentait une approche assez globale, un défrichage du concept et quelques unes de ses applications. Aujourd'hui, après une lecture d'articles abondants sur la question, nous tentons de présenter des outils et des exemples dans une perspective d'incitation à la recherche, l'objectif principal de Pour la Recherche.

S'il est utile de distinguer le quantitatif du qualitatif, il est insensé de les opposer. Par exemple, prenons un instrument d'évaluation comme le The Psychotherapy Process Q-set (PQS) in Therapeutic Action, de Jones qui comprend 3 types d'items : 1. éléments décrivant l'attitude et le comportement ou l'expérience du patient, 2. éléments reflétant les actions et les attitudes du thérapeute, 3. éléments essayant de cerner la nature de l'interaction de la dyade, le climat ou l'atmosphère de la séance. Cent questions sont posées à un observateur qui écoute des séances entières enregistrées. Cet instrument est présenté par les auteurs comme servant à une recherche quantitative. Mais si nous observons quelques questions : 1. Le patient verbalise des sentiments négatifs (c'est-à-dire, critique, hostilité) envers son analyste (vs. il approuve ou admet les remarques) ou 2. Le thérapeute porte attention au comportement non verbal du patient, c-à-d, à la position du corps et à la gestuelle ; ou encore 3. Les propres conflits émotionnels du thérapeute sont introduits dans la relation thérapeutique. A-t-on affaire ici uniquement à du quantitatif ? On quantifie du qualitatif pour le dire vite. Et bien sûr, nous n'obtenons pas le même type de résultats que si nous cherchions à comprendre les interventions du praticien (démarche qualitative).

Ce numéro propose de réfléchir sur une définition pragmatique de la "recherche qualitative", dont il dresse rapidement les principales étapes. Puis il présente les méthodes, techniques et épistémologies de l'analyse qualitative ainsi que des outils pour l'analyse des données. Un tableau présente les nombreuses études déjà effectuées dans le domaine spécifique de la psychanalyse et leurs principaux résultats. En encadrés, quelques exemples de chercheurs-cliniciens qui ont mis le concept à l'épreuve. Dans le numéro précédent de Pour la Recherche, nous abordions le concept difficile d'EBM. Un article aborde la question de ses relations avec la recherche qualitative.

Nous ne prétendons pas dans ce numéro, comme dans le précédent avoir fait le tour de la question, mais nous avons le sentiment d'avancer. Ce type de recherche s'organise et avec l'introduction de technologies (informatique, télévisuelle), l'affinage des recueils de données, les possibilités se sont ouvertes pour une véritable recherche qualitative qui devrait apporter beaucoup aux cliniciens et à leurs patients.


Recherche qualitative, quelle définition ?

Michaël Villamaux

« Sachant combien les méthodes de recherche forment une partie extrêmement diversifiée et variable de l'histoire des sciences, cerner et caractériser globalement ce qu'on appelle « recherche qualitative » apparaît en soi comme une tâche paradoxale et vouée, dés le départ à l'échec ». Constat radical, que fait Alvaro P. Pires en 1997, dans un ouvrage collectif sur les enjeux épistémologique et méthodologique de la recherche qualitative. Moins de dix années plus tard, son point de vue semble toujours pertinent. Peu d'auteurs se risquent à une définition précise.

Christine Brown et Keith Loyd (2001) commencent ainsi leur introduction : « Les méthodes de recherche qualitative sont utilisées pour collecter et analyser des données qui ne peuvent pas être représentées par des nombres ». L'allusion est classique, faute d'une définition précise, on partage, dans le meilleur des cas, le territoire : aux chiffres la méthodes quantitative, aux lettres la méthode qualitative. Et cela, quand la hache de guerre est enterrée. Comme le rappellent à juste titre Brown et Lloyd, il n'est pas loin le temps où la recherche qualitative était tout ce que n'était pas la recherche quantitative sans plus de précision, ni de considération. Tout au plus la recherche qualitative pouvait y être envisagée comme une aide ponctuelle.

En 2000, Ursula Hess, Sacha Senécal & Robert J. Vallerand écrivaient, dans un important ouvrage sur les méthodes de recherche en psychologie : « Pour que l'opérationalisation des variables soit valide, une connaissance approfondie du phénomène à l'étude est indispensable. La première étape exploratoire, lorsque l'on aborde un nouveau sujet, consiste donc généralement en la description du phénomène à l'étude. Une fois cette description obtenue, elle peut servir de base à des études expérimentales subséquentes. Plusieurs des méthodes ou techniques développées dans un cadre qualitatif sont particulièrement utiles afin d'obtenir de telles descriptions ».

Et d'ajouter un peu plus loin dans le texte : « Il faut cependant comprendre que malgré le fait que les méthodes qualitatives sont fort utiles en tant que partie intégrante du répertoire d'un chercheur, elles ne peuvent pas permettre d'établir le lien de causalité ou de vérifier des prédictions. Elles sont plutôt utiles afin de créer une base de connaissance qui peut mener à des pistes de départ pour un programme de recherche de type quantitatif ».

Le débat pourrait être légitime, s'il avait pour unique objectif de trouver la méthode la plus adéquate pour répondre à la question que l'on se pose, à l'hypothèse que l'on veut tester.

La réflexion menée sur la validité des méthodes utilisées, leurs lourdeurs pratiques..., serait dans ce cadre, compréhensible. Les recherches qualitatives versus quantitatives pourraient se compléter, s'additionner afin de toujours mieux appréhender l'objet étudié.

Pour reprendre un exemple cité par Alvaro P. Pires (1997), on ne serait pas choqué, qu'un naturaliste afin de mieux comprendre une espèce de rapace, puisse à la fois, capturer l'animal afin d'en mesurer la taille et filmer son comportement en vol pour mieux comprendre comment il chasse. Malheureusement, il en va tout autrement dans les sciences humaines et la psychiatrie. L'objet d'étude de ces disciplines, à savoir le sujet humain, déchaîne beaucoup plus les passions. Au delà des aspects techniques de la recherche, et cela aussi bien pour la sociologie, la psychologie que pour la psychiatrie..., des considérations philosophiques sur la nature de l'objet, des arguments épistémologiques sur la place de l'observateur dans la recherche, alimentent le débat. Débat qui cache mal un autre problème récurrent dans ces disciplines : leur supposé statut scientifique comparé aux sciences dures (la physique, par exemple), fragilité qui pousse souvent certains chercheurs à redoubler d'efforts pour laver plus blanc que blanc.

Ainsi, la nature de la recherche, qualitative versus quantitative, serait avant tout un parti pris en fonction d'un courant de pensée ou d'une épistémologie particulière. Schématiquement, une recherche qualitative ferait plus référence à un cadre constructiviste ou subjectiviste, alors qu'une recherche quantitative serait plus proche d'une option positiviste, réaliste ou bien encore objectiviste.

Alors quoi faire ?

Selon nous, la construction d'une recherche fait nécessairement appel à des considérations épistémologiques et théoriques et cela en fonction de la question que l'on se pose mais aussi de l'objet étudié. Des choix méthodologiques en découlent mais ne la caractérisent pas. « Certes, certaines perspectives épistémologiques ont particulièrement mis en valeur l'un ou l'autre des types de données, ce qui a amené des chercheurs à associer, à tort, l'exploitation de ces données avec l'axiomatique épistémologique en question : les chiffres ont été assimilés au réalisme et les lettres, au constructivisme (Pires, 1997) », mais rien ne laisse penser que ces rapprochements soient nécessaires. Au contraire, nous sommes parfois tentés de penser que l'opposition qualitatif versus quantitatif cache avant tout des querelles plus idéologiques et politiques que méthodologiques.

En l'absence d'une définition précise du terme, concentrons nous sur son usage : quelles méthodes sont habituellement qualifiées de qualitatives ? Brown & Lloyd (2001) les regroupent en trois catégories : l'observation, l'interview et l'étude de documents écrits.

L'observation est plus ou moins structurée. Le chercheur définit a priori, ce qu'il souhaite observer en fonction des objectifs de la recherche et des outils qu'il souhaite utiliser : caméra, papier/crayon, magnétophone, etc. Son implication sur le terrain peut être variable, on parle parfois d'observation participante lorsque le chercheur est à la fois acteur et observateur de la situation étudiée.

Comme pour l'observation, l'interview peut être plus ou moins structurée. Le chercheur peut, par exemple, proposer un thème général et ensuite par simple relance recueillir le point de vue de son interlocuteur, ou dans des situations qui le nécessitent, il peut administrer un hétéro-questionnaire. L'entretien se déroule traditionnellement en face à face, mais peut – et cela se fait de plus en plus – être effectué par téléphone. Il est souvent enregistré pour être ensuite retranscrit et analysé. Traditionnellement individuel, il peut aussi être organisé en groupe (on nomme traditionnellement cette pratique : les focus groupes).
Enfin, l'étude de documents écrits, comme son nom l'indique, consiste principalement en l'analyse de textes comme par exemple les notes médicales, les correspondances, les journaux intimes, la presse, mais elle pourrait aussi être adaptée à l'analyse d'images. Ce type de travail a souvent été considéré comme idéal, étant donné qu'il s'agit d'un recueil d'informations a posteriori sans intervention préalable du chercheur.

En résumé

La recherche qualitative produit de grandes quantités de données textuelles sous la forme de transcriptions et de notes d'observation de terrain.

La préparation systématique et rigoureuse, et l'analyse de ces données prend du temps et demande beaucoup de travail.

L'analyse des données prend souvent place à côté du recueil des données pour permettre aux questions d'être redéfinies et de développer de nouvelles voies d'enquête.

Les données textuelles sont typiquement explorées de façon inductive en utilisant l'analyse de contenu pour générer des catégories et des explications ; des logiciels peuvent aider à l'analyse mais ne devraient pas être considérés comme des raccourcis d'une analyse systématique et rigoureuse.

Une analyse de haute qualité de données qualitatives dépend de l'habileté, de la vision et de l'intégrité du chercheur ; elle ne devrait pas être abandonnée à un novice.

Pope C, Ziebland S, Mays N. L'analyse des données qualitatives. BMJ, 2000, Vol 320 ; 8 www.bmj.com

1. Brown, C. & Lloyd, K. (2001). Qualitative methods in psychiatric research. Advances in Psychiatric treatment, 7, 350-356.

2. Hess, U., Senécal, S. & Vallerand, R.J. (2000). Les méthodes quantitative et qualitative de recherche en psychologie. In R.J. Vallerand & U. Hess (eds.), Méthodes de recherche en psychologie, Boucherville : Gaëtan Morin Editeur.

3. Pires, A. P. (1997). De quelques enjeux épistémologiques d'une méthodologie générale pour les sciences sociales. In J. Poupart, J.-P. Deslauriers, L. Groulx, A. Laperrière, R. Mayer & A.P. Pires (eds.), La recherche qualitative : enjeux épistémologiques et méthodologiques, Boucherville : Gaëtan Morin Editeur.

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Étapes d'une recherche qualitative

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Méthodes, techniques et épistémologies de l'analyse qualitative

Xavier Briffault

Les approches qualitatives sont diverses, mais partagent des caractéristiques communes.
L'analyse est généralement de type holiste, visant à une compréhension d'un tout « plus grand que la somme de ses parties ». L'analyse est contextualisée, conduite dans des situations « écologiques », et cherche à comprendre les logiques d'action, règles explicites et implicites, représentations, croyances... et à rendre compte du point de vue des acteurs1 et du sens qu'ils donnent à la situation. Elle ne vise pas à produire des théories générales, mais des théories de portée moyenne, solidement reliées aux résultats de l'enquête.
En raison de la complexité de ce mode d'analyse, la recherche qualitative se conduit par un contact prolongé et/ou intense avec une situation de vie. L'instrument principal de recueil des données de recherche est le chercheur lui-même, en tant qu'être humain, seul instrument capable à ce jour de s'adapter à la complexité de la situation telle qu'elle se déroule, à adapter le dispositif d'enquête aux imprévus, à alterner analyses inductives et déductives... Il utilise pour cela, certes des méthodes systématiques, mais aussi un processus d'attention approfondie, de compréhension empathique, et de suspension des préconceptions. Le matériel recueilli est essentiellement constitué de mots, mais aussi d'attitudes, de déplacements, de comportements, d'interactions, d'utilisations d'objets de l'environnement... [3] [4]*.
Les méthodes et techniques sont variées et complémentaires. Il est rare que l'utilisation d'une seule méthode soit suffisante pour comprendre véritablement le sujet.
Pour analyser une activité qu'on cherche à comprendre, on pourra, par exemple, avoir recours à différentes approches [2]* :

- L'observation, directe ou indirecte, participante à des degrés divers, dissimulée ou affichée2, qui vise à recueillir des observables (postures, déplacements, mouvements, communications, contexte physique, social...), composantes du comportement et de l'activité, qui seront relevées à la main, à l'aide d'enregistrements audio/vidéo, d'enregistreurs divers (oculomètres, potentiels évoqués, ECG...), et relevés sur des grilles d'analyse, relatés sous formes de scripts ou de graphes d'activité, de tableaux de récurrence d'évènements...

- Une investigation plus orientée pourra être menée par différentes formes de questionnaires (à questions ouvertes, fermées, à choix multiples...) ciblant des informations spécifiques qui ne seraient pas accessibles à l'observation, car ne correspondant à aucun observable comportemental.

- L'entretien, directif, semi-directif, non-directif, compréhensif... vise lui aussi à révéler des informations qui ne sont pas accessibles à l'observation. Il prend la forme d'un échange plus ou moins structuré entre le sujet et l'enquêteur, dans lequel ce dernier explore le monde subjectif du sujet, en mettant entre parenthèses ses conceptions sur le thème abordé. L'entretien peut être mené en couple, ou en groupe (focus group). Dans ce dernier cas, des difficultés spécifiques à la gestion de la dynamique du groupe se posent.

- La technique de verbalisation, durant laquelle le sujet verbalise à voix haute chaque raisonnement, logique, motifs de choix, pensées, émotions, actions... de son activité, présente l'intérêt de permettre un accès véritablement contextualisé à ce que pense consciemment le sujet au moment de l'action. La verbalisation peut avoir lieu en activité (réelle ou remémorée), ou en auto-confrontation, situation dans laquelle la personne commente son activité qui lui est représentée par un film vidéo.

- La technique du rappel impromptu consiste à interrompre le sujet, sans qu'il soit prévenu par avance du moment d'interruption, en lui demandant d'effectuer un rappel (écrit, verbal, graphique...) des processus qu'il a mis en œuvre jusqu'au moment de l'interruption. On s'intéresse ici aux représentations que le sujet a de son activité, et à ce dont il dispose en mémoire pour la mener à bien.

- L'utilisation de différents scénarii prédéfinis permet de contrôler les situations présentées au sujet, pour explorer plus spécifiquement certains paramètres de celles-ci, et peut être couplée avec les autres techniques. La situation scénarisée se doit d'être la plus écologique possible, même si elle ne l'est jamais vraiment, pour être la plus représentative possible.

- Si on s'intéresse de façon fine aux représentations conceptuelles du sujet, on pourra utiliser la technique des jugements de proximité, dans laquelle on accède à la structure de ces représentations en proposant au sujet de réaliser un classement par « typicalité » de plusieurs couples d'objets. La technique de tri par cartes dans laquelle il est demandé au sujet de classer dans des catégories qu'il détermine lui-même un ensemble de cartes présentant chacune un concept permet de découvrir comment les sujets structurent, catégorisent et hiérarchisent les objets.

- ...

Ces techniques, parmi de nombreuses autres, sont communes à la plupart des méthodes qualitatives, mais seront plus ou moins employées, et différemment, selon les postulats épistémologiques des chercheurs. On pourra ainsi se référer (du plus « positiviste » au plus « constructiviste ») à un paradigme [3] :

- Réaliste/empiriste, dans lequel les analyses de contenu visent à mettre en évidence des propriétés qu'on suppose objectives et stables du monde, fût-il psychologique. Selon cette perspective, on pourra considérer par exemple que les productions verbales d'un patient en séance sont une voie d'accès à des éléments « objectifs » (bien qu'appartenant à la subjectivité du patient) caractérisant sa psyché. Dans cette optique réaliste, l'analyse descriptive pourra utiliser des procédés quantitatifs portant sur du qualitatif pour en tirer des inférences statistiques.

- Phénoménologique, inspiré des travaux de Husserl, Heidegger, Sartre, Merleau-Ponty, intermédiaire entre la position réaliste et la position contextualiste. Le monde a des propriétés objectives, mais elles sont inconnaissables hors l'expérience phénoménale d'un sujet. Ce que les sujets expriment possède un certain sens, et une certaine réalité pour eux, qui peut être découverte, par une analyse reconstructive, mais qui ne donne pas accès à une réalité psychologique abstraite de la relation au monde. Dans ce paradigme pourtant, le caractère socialement ancré et socialement construit des productions verbales est délaissé au profit de l'accent mis d'une analyse du monde phénoménal et du cours de la présence (Dasein-analyse).

- En se référant à une épistémologie contextualiste, on présupposera que les échanges font partie d'une structure d'interaction sociale organisée, qui forme en quelque sorte le cadre dans/par lequel va pouvoir s'exprimer le sujet. C'est donc le domaine normatif intersubjectif qui est objet d'une analyse reconstructive. C'est le paradigme de référence de l'interactionnisme symbolique, sur lequel se fonde la méthode connue sous le nom de « grounded theory ». Il s'agit là d'un pragmatisme selon lequel l'action humaine envers les objets est motivée par la signification subjective de ceux-ci, cette signification s'acquiert par l'interaction d'acteurs au moyen de symboles, cette signification est employée/modifiée dans l'activité, l'identité se construit selon un processus d'interaction et d'échange avec le milieu social. Les théories sont alors nécessairement locales, relatives et conditionnées par le contexte ; elles sont produites inductivement, en se fondant directement sur les données, et ont valeur d'hypothèses provisoires plutôt que de vérités définitives ; enfin, elles tentent de rendre compte du sens de l'expérience humaine en contexte et dans sa complexité.

- L'approche ethno-écologique est une tentative d'intégration des épistémologies phénoménologiques et contextuelles, visant à permettre l'étude d'un milieu local selon des perspectives à la fois objectives, subjectives, intersubjectives et normatives, en investiguant tout à la fois l'individu, les facteurs sociaux et culturels environnants, la structure physique de sites de vie...

- Enfin, le paradigme du constructivisme social met l'accent sur le fait que l'identité de l'individu et la « réalité » sont deux entités interdépendantes : l'individu construit la réalité qui le construit, et lorsque l'individu produit des discours sur lui même, ce discours est toujours le produit et le processus de constructions sociales. Les discours individuels demeurent donc inextricablement liés aux discours sociaux puisqu'ils se constituent mutuellement. Il ne s'agit plus dans les analyses s'inscrivant dans ce paradigme d'accéder à des faits objectifs ou de rendre compte des croyances, expériences ou processus cognitifs des sujets, mais de mener des analyses interprétatives visant à déconstruire, « déplier », les textes. L'expression linguistique y est conçue comme une action, réalisée en contexte au moyen d'un discours, et ayant une puissance efficiente qui crée de la réalité, du sens, et affecte les situations, tout en étant construites par elles. La théorie des actes de langage, la sémiologie, l'ethnométhodologie sont des exemples de telles approches. L'un des postulats intéressants de cette approche est qu'il n'existe aucun moyen de distinguer ce qui est « exact », « littéral », de ce qui est « rhétorique ». Ceci a des conséquences importantes pour l'analyse des discours produits par les sujets lors d'entretiens avec les chercheurs.

Force est de constater, pour conclure, que le monde de l'analyse qualitative n'est pas tout à fait simple, puisqu'à la multiplicité de techniques par elles-mêmes assez complexes (mais pas plus que celles de l'analyse quantitative) s'ajoute une variété de positions paradigmatiques assez radicalement différentes (variabilité qu'on ne retrouve pas dans l'approche quantitative), et dont le choix (difficile à argumenter, il faut le reconnaître) de l'un ou de l'autre a des conséquences non moins radicales. Sans doute est-ce là le prix de la tentative de rendre compte de la complexité, mais sans doute vaut-il d'être payé, pour pouvoir disposer de théories véritablement efficientes dans le réel qu'elles sont censées décrire.

Notes

1. C'est cette orientation qui fait la différence entre comprendre et expliquer.

2. L'observation active, et dans laquelle les sujets se savent observés, perturbe évidemment le phénomène observé (perturbation classiquement nommée « effet Hawthorne », du nom de l'usine ou se sont déroulées de célèbres expériences de psychologie sociale qui ont montré l'influence considérable de la présence d'observateurs sur le comportement des participants.

*Les références entre [ ] sont dans l'article de X. Briffault ci-dessous

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Subjectivité du chercheur et qualitatif en recherche

Monique Thurin

Que ce soient des facteurs externes comme les contraintes d'une politique, d'un laboratoire de recherche ou que ce soient des facteurs internes comme les intérêts intellectuels ou de carrière du chercheur qui initie un projet, la recherche s'inscrit toujours dans la subjectivité. « Elle est inévitable dès les premiers moments d'une recherche, dès l'instant même où le chercheur a une idée ou une intuition, de sorte qu'il ne cherchera que ce qui pose question à lui-même ou y trouve écho et ce, jusqu'à la fin du processus » selon Martin Drapeau et Robert Letendre qui s'appuient dans un article [1] sur la théorie psychanalytique.

Il ne s'agit donc pas d'exclure la subjectivité (la contourner) mais au contraire que le chercheur s'impose avant toute recherche une réflexion approfondie afin de s'interroger sur ce que pourraient être les points aveugles qui ont toujours un impact direct sur la recherche.

Les méthodologies qualitatives doivent avoir des balises témoins de la rigueur du projet de recherche entrepris, de la même façon que les méthodologies quantitatives qui objectivent des résultats à l'aide de tests et de mesures. Par exemple, Drapeau et Letendre soulignent que pour une recherche en psychanalyse, le chercheur gagne à rester ouvert à la surprise mais « qu'il a aussi l'obligation et la responsabilité d'assurer la crédibilité de ses découvertes en instaurant des balises comme :

1. avoir entrepris une cure analytique ou une thérapie personnelle,

2. s'assurer que la taille de l'échantillon soit suffisamment grande pour rendre compte d'une expérience et de sa diversité,

3. analyser le sens de l'expérience et de la rencontre avec le sujet et ne pas se limiter à une analyse de contenu,

4. recourir à un tiers qui aide à distinguer ce qui appartient au chercheur et ce qui appartient au sujet dans le cadre de la co-construction [2],

5. pouvoir rendre compte des changements apportés à la méthodologie ».

Pour ces auteurs, (...) « est gage de rigueur la capacité de pouvoir ajuster la méthodologie au fur et à mesure de la recherche afin de toujours rester le plus près possible de la réalité du sujet, sans le perdre par un découpage de ses propos ou l'application d'une grille d'analyse. Il ne s'agit donc pas d'une check list ou d'un a priori formel mais d'une progression ».

1. Drapeau M, Letendre R. « Quelques propositions inspirées de la psychanalyse pour augmenter la rigueur en recherche qualitative » in Recherches qualitatives, vol. 22, 2001, pp 73-92.

2. La notion de co-construction est abordée par les auteurs en trois dimensions : une première est que le chercheur a une conception de la problématique qu'il veut étudier qu'il se représente à partir de sa subjectivité mais aussi à ce qu'ont pu en dire ceux qui l'ont précédé ; la seconde est celle de la rencontre avec le sujet ; la troisième est celle entreprise dans les échanges suivants avec les pairs et dans l' « après coup » de la recherche.

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Quels outils pour l'analyse de données qualitatives ?

Xavier Briffault

1. Introduction

L'analyse de données qualitatives est un processus continu et itératif, dans lequel collecte, présentation, condensation, analyse, élaboration et vérification des conclusions sont en interaction constante :



Figure 1 : Processus d'analyse de données
(d'après [1], p. 31)

Pour chaque étape de ce processus, des méthodes et des techniques sont disponibles. Pour une bonne utilisation de celles-ci, il est utile de disposer d'outils informatiques permettant d'automatiser et/ou d'assister les différentes opérations.

Les données qualitatives, qu'elles soient issues, par exemple, d'entretiens, d'échanges dans un focus group, de notes de terrain, de compte-rendus de séances, de notes dans les dossiers de patients... se présentent essentiellement sous la forme de productions langagières.
Il va s'agir d'extraire de ces productions une « réponse » à la question qui fait l'objet de l'étude, sous la forme d'une abstraction des données, qui pourra avoir valeur descriptive, explicative, prédictive, heuristique, illustrative... selon le but recherché.
L'une des caractéristiques de ces données est leur volume. La simple retranscription de quelques heures d'entretiens représente plusieurs dizaines de pages, et on atteint facilement des volumes de plusieurs milliers de pages.
Si l'on souhaite être efficace, systématique, et garder une relation dense entre les données et les résultats, il faut disposer d'outils informatiques réalisant une douzaine de fonctions sur ces données, telles que saisir, stocker, indexer, rechercher, naviguer, comptabiliser, représenter sous différentes formes, mettre en relation, synthétiser, étiqueter, commenter, créer et vérifier des hypothèses, rechercher des patterns....
De nombreux logiciels existent pour cela. Nous en citons une dizaine en bibliographie parmi les principaux. Ils implémentent tout ou partie de ces fonctions, et peuvent être utilisés complémentairement les uns aux autres.
A titre d'illustration, voici quelques unes de leurs possibilités.

2. Exemples de fonctionnalités

L'un des moments particulièrement rébarbatif de l'analyse des données est celui de la retranscription des notes manuscrites, orales, ou des enregistrements d'entretiens. Pour les notes manuscrites, il n'y a guère de solutions, les logiciels de reconnaissance de l'écriture manuscrite libre étant particulièrement peu performants à ce jour. On peut saisir directement sur un portable ou un PDA les notes, dans un traitement de texte ou une base de données, si on est entraîné pour cela.
Pour la retranscription des enregistrements oraux, des logiciels de reconnaissance vocale (par ex. Dragon Naturally Speaking [8]) sont aujourd'hui tout à fait opérationnels. Après apprentissage sur « la voix de leur maître », ils permettront à celui ci de retranscrire sans clavier les enregistrements en les relisant à voix haute, ce qui est nettement plus efficace que la saisie clavier pour un non-professionnel de la dactylo. L'idéal serait une retranscription directe de l'enregistrement par le logiciel, mais la reconnaissance multi-locuteurs, sans apprentissage, n'est pas assez efficace à ce jour pour cela.
Cette tâche fastidieuse effectuée, on dispose d'un ensemble de données textuelles à analyser. L'automatisation de cette analyse est plus ou moins grande selon les logiciels.

Figure 2 : exemple d'utilisation de QSR N6

Certains, tels N6 (gamme NUD*IST de la société QSR) ou NVIVO ([14]), sont essentiellement des aides à l'étiquetage et à la recherche dans les textes.
Ils permettront par exemple (Figure 2, tiré du tutoriel N6, une étude sur les représentations de la vaccination) le stockage et l'organisation des textes (1), leur visualisation structurée (2), la définition d'une hiérarchie des concepts qui organisent la description de l'objet (étiquettes) (3), le marquage d'unités textuelles avec ces étiquettes, la recherche et l'édition de rapports selon ces étiquettes (3 et 4), et la définition de requêtes complexes combinant des opérateurs logiques, l'héritage... (5).

D'autres, tels que TROPES et ZOOM par exemple ([15]), font quelques analyses linguistiques automatiques (Figure 3), et disposent de hiérarchies d'étiquettes prédéfinies, qu'il est possible de modifier si la structure standard proposée n'est pas adaptée à l'analyse.

Figure 3 : calcul automatique de la liste de tous les verbe utilisés pour un entretien, hierarchie par défaut pour "Psychologie et psychanalyse"

Figure 4 : Navigation multi-dimensionnelle dans un texte, ici la dimension "causalité"

Ils proposent également une structuration automatique des textes selon différents axes, permettant une navigation multi-dimensionnelle (Figure 4), ainsi que différentes formes représentations graphiques (Figure 5).

Figure 5 : Représentation graphique de l'importance et de la proximité relative des thèmes, centré sur un thème choisi

Certains sont capables d'analyser la structure des phrases, et d'effectuer des recherches sur cette base, en utilisant une grammaire standard de la langue utilisée (recherche automatisée de tous les groupes nominaux pour connaître les objets, et des groupes verbaux pour les actions par exemple), ou des structures linguistiques définies par l'utilisateur. C'est ce que fait par exemple INTEX (Figure 6).

Figure 6 : Définition d'une structure linguistique par un graphe de transition ([11])

De nombreux logiciels d'analyse linguistique existent. L'association européenne des ressources linguistiques (ELRA, [9]) en recense un nombre important. D'autres outils offrent la possibilité de formuler des hypothèses et de les tester, par exemple sous la forme de règles similaires à celles utilisées dans les systèmes experts (Figure 7).

Figure 7 : Formulation d'hypothèse sous forme d'une règle «Si...Alors» ([10])

Enfin, des représentations graphiques (réseaux sémantiques, diagrammes de causalité, diagrammes d'interaction...) vont permettre une représentation synthétique, rapidement compréhensible et facilement navigable d'un ensemble complexe de données (Figure 8, Figure 9).

Figure 8 : Représentation graphique d'une carte conceptuelle ([7])

Figure 9 : Représentation graphique d'un réseau sémantique ([6])

3. Conclusion

Il existe de nombreux outils d'aide à l'analyse des données qualitatives. Ils permettent de rendre le travail plus efficace, plus systématique, plus rigoureux, plus facile à communiquer entre chercheur... mais ils ne dispensent évidemment pas de réfléchir et ne vont pas produire plus de sens que le chercheur n'en met lui-même.
Les informaticiens ont une manière humoristique de rappeler que l'ordinateur ne réfléchit pas à la place de son utilisateur, la règle GIGO : Garbage In, Garbage Out !

4. Bibliographie

1. Kaufman. L'entretien compréhensif, Nathan Université, 2004, ISBN 2091904694.
Un petit livre de 128 pages sur la méthodologie de l'entretien compréhensif, dans lequel l'auteur décrit très clairement, avec de nombreux exemples réels, le protocole qu'il utilise pour ses analyses d'entretiens.

2. Kovacs, Gaunet, Briffault. Les techniques d'analyse de l'activité pour l'IHM, Hermès, 2004, ISBN 2-7462-0944-6.
Un livre de synthèse de 200 pages sur les principales techniques d'analyse de l'activité (observation, questionnaire, entretien, verbalisation, incidents critiques, information à la demande, rappel impromptu, scénario, expérimentation, jugements de proximité, magicien d'Oz, tri par cartes, conception participative). Les applications sont spécifiques de la conception d'interfaces, mais la description des techniques est générique.

3. Miles et Huberman. Analyse des données qualitatives, De Boeck, 2003, ISBN 2-7445-0090-3.
Un ouvrage de référence de 600 pages, sur les méthodes et techniques d'analyse qualitatives, qui aborde les principales questions : cadre conceptuels, question de recherche, délimitation du recueil et du territoire, instrumentation, fiches de synthèse, codification, structuration de cas, présentation des données, représentation spatiales, chronologiques, diagramme causal, cartes cognitives, matrices, interprétation, vérification, éthique, rapports, logiciels. Très complet.

4. Santiago Delefosse, Rouan et coll. Les méthodes qualitatives en psychologie, Dunod, 2001, ISBN 2-10-005500-3.
Une introduction aux méthodes qualitatives en psychologie, plutôt théorique et épistémologique que technique, qui définit très précisément les différents courants de l'analyse qualitative (empirisme réaliste, phénoménologie, interactionnisme symbolique, ethnographie, ethnométhodologie, constructivisme...) et détaille l'approche ethno-écologique, l'analyse des représentations dans le champ de la santé, la clinique de l'activité, et la phénoménologie.

5. Logiciels d'aide à l'analyse qualitative

[5] FQS (http://www.qualitative-research.net/fqs/fqs-eng.htm), revue en ligne sur la recherche qualitative, de nombreux articles accessibles.

[6] ALCESTE : http://www.image.cict.fr/index_alceste.htm

[7] ATLAS Ti : http://www.atlasti.de/

[8] CMAP Tools : http://cmap.ihmc.us/

[9] DRAGON Naturally Speaking :
http://www.scansoft.fr/naturallyspeaking/

[10] ELRA : http://www.elra.info/fr/

[11] HyperRESEARCH : http://www.researchware.com/hr/

[12] INTEX : http://laseldi.univ-fcomte.fr/intex/#Presentation

[13] LEXICO : http://www.cavi.univ-paris3.fr/ilpga/ilpga/tal/lexicoWWW/lexico3.htm

[14] QCA : http://www.u.arizona.edu/%7Ecragin/what.htm

[15] NUD*IST N6 et NVIVO :
http://www.qsrinternational.com/products/productoverview/product_overview.htm

[16] TROPES et ZOOM : http://www.acetic.fr/tropesfr.htm


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Recherche qualitative et EBM

Jean-Michel Thurin

« Dans le contexte du débat à propos de la médecine factuelle (« evidence based medicine »), il est vital de redire que la bonne « preuve » va plus loin que les résultats de la méta-analyse d'essais contrôlés randomisés. Les limitations de ces essais et la preuve des limitations de leur utilisation par les praticiens ne devraient pas conduire au cynisme à propos du rôle de la recherche de la preuve en santé. Nous avons besoin d'être certains qu'il s'agit de la bonne sorte de recherche pour répondre aux questions qui sont posées ».

Telle est la conclusion de J Grenn et N Britten (1998) dans leur article de référence « Qualitative research and evidence based medicine ».

Le précédent numéro de Pour la recherche (n° 41) a présenté l'EBM et a posé la question des limites de son application de façon générale et plus précisément dans le cadre de la psychiatrie et de la santé mentale (Thurin, 2004).
Cette question, à laquelle Sackett et coll. ont voulu répondre dès 1996, en insistant sur l'importance de la dimension individuelle et de l'expérience clinique dans l'utilisation des données de la recherche, reste posée à un double niveau. D'abord, la recherche suivant l'EBM est celle des essais contrôlés randomisés (ECRs). Véritables « études de laboratoire », la transposition de leurs résultats dans le « monde réel » suscite des interrogations qui prennent une importance toute particulière quand la dimension inter-individuelle du traitement est au premier plan (comme pour les psychothérapies). Ensuite l'expérience montre que l'application des résultats issus de la recherche dans la pratique clinique ne va pas de soi. En effet, il ne suffit pas qu'un traitement soit estampillé du « sceau de la science » et même qu'il ait été testé avec succès dans le « monde réel » pour qu'il soit utilisé. C'est une constatation qui est maintenant bien établie (Sanderson, 2002). Encore faut-il essayer de comprendre pourquoi ? Les méthodes qualitatives ont précisément la capacité d'aborder systématiquement ce type de questions auxquelles les méthodes expérimentales ne répondent pas facilement.

Ainsi, la recherche qualitative peut-elle être utile aux deux niveaux. Elle complètera les études de laboratoire par des études naturalistes rigoureusement menées qui concerneront le traitement lui-même exercé dans des conditions naturelles ; elle tentera de mieux comprendre les avatars de l'application et de l'utilisation d'un traitement dont la légitimité est prouvée. Voici un exemple pour chacun de ces deux niveaux.

1. Les études de laboratoire et les études naturalistes dans le domaine des psychothérapies

La position exclusive des ECRs comme méthodes pour démontrer qu'une thérapie fonctionne a été récemment mise en doute. L'argument principal en est que l'on peut discuter la représentativité de leurs résultats dans la pratique clinique (nombreuses références, citées dans Leichsenring, 2004).

Pour beaucoup de méthodes psychothérapiques, il est prouvé qu'elles marchent en laboratoire. Cependant, le fait de savoir jusqu'à quel point ces méthodes sont efficaces dans le domaine de la pratique psychothérapeutique reste largement inconnu. Ce n'est seulement qu'au cours de ces dernières années que les chercheurs se sont rendus compte de ce problème. Shadish et coll. (2000), par exemple, ont étudié l'influence du degré de représentativité clinique des études sur les résultats de la thérapie. Ils en tirent quatre conclusions : a) les thérapies psychologiques sont solidement efficaces, qu'elle soient étudiées dans une orientation de recherche ou dans des conditions cliniques représentatives ; b) les résultats ne sont pas inférieurs dans des conditions cliniques ; c) le résultat dépend de la « dose » de thérapie (jusqu'à certaines limites et sans doute suivant la nature des cas) ; d) les effets sont d'autant plus importants que l'on utilise des mesures étroitement adaptées aux buts qui sont poursuivis dans le traitement. Cependant, les évaluations méta-analytiques comme celles présentées par Shadish et autres (2000) agrégeant les résultats de différentes formes de thérapie dans différents troubles ne sont pas suffisantes : il est nécessaire d'étudier comment fonctionnent les méthodes spécifiques de thérapie pour des troubles spécifiques dans des conditions naturelles.

Cela étant posé, la conduite d'une recherche d'efficacité réelle, méthodologiquement solide et cliniquement représentative, peut être difficile. Leichsenring (2004) propose un certain nombre de critères pour les études naturalistes, partiellement différents de ceux utilisés dans les études en laboratoire, qui peuvent leur permettre d'atteindre le gold standard (Tableau 1).

Cette précision des types de preuve requis spécifiquement en laboratoire et dans le champ clinique ouvre la possibilité d'un nouveau programme de recherches pour des études naturalistes, mené dans des conditions analogues à celui des études d'efficacité potentielle. Cette recherche considère comment des méthodes psychothérapiques définies pour des troubles spécifiques (par exemple, la dépression, les troubles anxieux, les troubles somatoformes, les troubles associés à une forte comorbidité) sont efficaces en pratique clinique. Deux stratégies différentes au moins peuvent être utilisées : dans la première, on évalue l'efficacité réelle des thérapies qui sont appliquées dans le champ clinique (par exemple Seligman, 1995) ; dans la seconde, on applique les méthodes psychothérapiques qui ont été testées dans des essais contrôlés et, éventuellement modifiées en pratique clinique. Actuellement, seules quelques études de ce type concernant des troubles spécifiques existent, par exemple, pour les troubles paniques, la dépression, la boulimie ou pour des troubles s'exprimant chez les enfants et adolescents (bibliographie dans Leihsenring, 2004). Les résultats préliminaires montrent que les patients ne profitent pas des méthodes spécifiques de thérapie au même degré que ce qui a été rapporté à partir des ECRs, que les thérapies sont effectuées pendant un temps plus long, ou que des éléments supplémentaires à la thérapie sont ajoutés, par exemple, un traitement psychopharmacologique. En d'autres termes, ce ne sont pas des formes pures de la thérapie en laboratoire qui sont appliquées dans la pratique clinique, mais des versions modifiées qui sont utilisées.

2. L'utilisation d'un traitement : un exemple

Les études qualitatives peuvent également porter sur les attitudes, les croyances et les préférences des praticiens et des patients. Ce sont elles qui déterminent finalement l'utilisation d'un traitement.

Du côté du praticien, la médecine est bien davantage que l'application de règles issues d'études de laboratoire. L'expérience personnelle y tient une place essentielle et joue un rôle majeur dans la prise de décision du praticien, comme cela a été illustré par une série d'articles publiés dans le BMJ « Un patient qui a changé ma pratique ».

Du côté du patient, le contexte, l'implication du traitement dans la représentation de l'identité, le sentiment d'être actif ou passif par rapport à la maladie ou aux troubles interviennent directement. Pour illustrer, nous citerons une étude très récente portant sur le choix du traitement dans l'état de stress post-traumatique.

Les auteurs (Zoellner et coll. 2004) ont voulu comprendre pourquoi deux traitements d'efficacité équivalente suivant les résultats d'ECR étaient loin d'être utilisés dans des proportions identiques par les patients auxquels ils étaient proposés.

Pour cela, ils ont interrogé 273 femmes présentant des degrés variés d'histoire traumatique et susceptibles de présenter des troubles consécutifs d'état de stress post-traumatique. Toutes les participantes lurent un document standard « Si cela vous arrivait, quel choix feriez-vous » après un événement traumatique (une agression sexuelle) et devant des symptômes consécutifs, liés au traumatisme. Il leur fut demandé de choisir entre trois options de traitement : la sertraline (SER), une exposition prolongée (EP) ou l'absence de traitement. Une notice de présentation leur était remise spécifiant pour chacun des traitements, qu'il avait prouvé son efficacité suivant les résultats de nombreuses études contrôlées et en décrivant brièvement le protocole. On recueillit les taux correspondant à chacun des choix, ainsi que les explications qui étaient avancées pour les expliquer. La différence du taux des traitements choisis est impressionnante : seule une minorité (6,9%) des femmes choisit la sertraline, tandis que 87,4% d'entre elles choisissaient l'exposition prolongée. Interrogées à ce propos, les réponses montraient que les représentations concernant la façon de résoudre un trouble et des expériences antérieures jouaient un rôle majeur. Par exemple : « J'ai besoin d'en parler pour que cela fasse partie du passé » ; « Suivant mon expérience le médicament ne fait qu'empirer le problème ; il ne le résout pas, il ne fait que le masquer » ; « Avec la thérapie, je peux le résoudre pour le reste de ma vie ». Les auteurs remarquent que l'absence de théorie biologique permettant d'expliquer le traitement médicamenteux pourrait avoir joué un rôle dans ce résultat.

Cette étude montre également que l'alliance thérapeutique ne recouvre pas que des dimensions interpersonnelles, mais implique directement le patient dans sa personne, son expérience et ses représentations théoriques.

Références

Green J, Britten N. Qualitative research and evidence based medicine. BMJ 1998 ; 316 :1230-1232
http://bmj.bmjjournals.com/

Leichsenring F. Randomized controlled vs. naturalistic studies : A new research agenda. Bulletin of the Menninger Clinic, 2004 ; 68 : 115-129.

Sackett DL et coll. Evidence-based medicine : what it is and what it isn't. BMJ 1996 ; 312 :71-2

Sanderson W C. Why We Need Evidence-Based Psychotherapy Practice Guidelines, Medscape General Medicine, 2002

Seligman, M. E. P. (1995). The effectiveness of psychotherapy. The Consumer Reports study. American Psychologist, 50: 965-974.
http://www.apa.org/journals/seligman.html

Shadish, W. R., Matt, G., Navarro, A., & Phillips, G. The effects of psychological therapies under clinically representative conditions: A meta-analysis. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 126 : 512-529.

Thurin JM. La démarche EBM en psychiatrie et santé mentale ; EBM et psychothérapie. Pour la recherche 2004 ; 41 : 8-11 (adresse internet).

Zoellner L A, Feeny N C, Cochran B, Pruitt L. Treatment choice for PTSD. Behaviour Research and Therapy, 2003 ; 41 : 879-886.

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1. Waldron S. How can we study the efficacy of psychoanalysis ? Psychoanal. Q., vol 66, num 2, 1997: 283-322

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Évaluation de la recherche qualitative

Une lecture de Muriel Falk-Vairant

Comment évaluer la recherche qualitative en médecine ? Comment évaluer la qualité d'une recherche ? ou encore comment s'y prendre pour faire une recherche de qualité et la retransmettre dans un article ? Voilà des thèmes qui se rejoignent et qui nécessitent quelques notions de bases qu'il est utile de connaître.

L'article « Comment lire de façon critique les articles de recherche qualitative en médecine ? » [1] parle des compétences requises pour lire d'une façon avisée et critique des articles de recherche qualitative en médecine ou en psychiatrie afin d'être mieux à même d'évaluer la qualité des recherches exposées.
En réalité les critères d'évaluation de ces articles ne changent pas fondamentalement de ceux utilisés pour la lecture d'articles de recherche quantitative. On y retrouve les critères de bases qui font appel au bon sens, à la rigueur de la démarche, à la clarté, à la cohérence et à la classique présentation du sujet qui comprend l'introduction, les méthodes utilisées, les résultats, la discussion et la conclusion.
Il est « amusant de constater que les auteurs insistent sur la nécessité de convaincre les scientifiques sur la valeur de ces recherches avec des critères qu'ils nomment de scientificité. En effet, le problème essentiel en recherche qualitative du point de vue scientifique est celui de la validité par les autres, la crédibilité, et la possibilité de généraliser des résultats ». La science « ne serait pas familiarisée avec les démarches qualitatives et ses méthodes, il faut donc, au préalable, convaincre le lecteur scientifique du bien fondé de sa démarche, démontrer la pertinence de l'étude et préciser l'adéquation de la méthode choisie au sujet étudié... Le choix des échantillons n'obéit pas non plus aux mêmes lois que celles de la recherche quantitative et il faut donc toujours expliquer dans le détail la raison de ce choix ».

Le contexte de l'étude et le rôle des chercheurs doivent être clairement décrits, compte tenu du fait qu'en recherche qualitative la compréhension approfondie des phénomènes ne peut se faire en dehors du contexte dans lequel ils s'inscrivent. Concrètement, le lecteur doit trouver des informations significatives sur les caractéristiques du milieu et des personnes qui y sont impliquées. On doit aussi pouvoir se représenter le lien que le chercheur entretient avec le milieu, étant entendu que l'un et l'autre s'influencent inévitablement. Ce lien fait toute la spécificité de cette recherche clinique qui revendique sa subjectivité.

En bref la recherche qualitative doit tenter de répondre au plus près aux exigences de la recherche quantitative en expliquant, à chaque fois, tout ce qui fait qu'elle s'en écarte en particulier par l'implication du chercheur et les critères non mesurables qui y sont étudiés. Il est cependant encore difficile de savoir si la recherche qualitative peut s'appliquer à la psychanalyse et si les conseils de lecture d'un article peuvent s'appliquer aux écrits de Freud et aux études de cas unique. Cette question reste ouverte.

1. Coté L, Turgeon J. Comment lire de façon criticle les articles de recherche qualitative en médecine, Pédagogie médicale 2002 ; 3 : 81-90

Rowan M, Huston P. Articles en recherche qualitative : information aux auteurs et aux paris-examinateurs, CMAJ 1997 ; 157

Stiles W. Evaluating qualitative research, EBMH notebook, 1999, vol 2 ; 4




Dernière mise à jour : 27 otobre 2004 16:18:38

Monique Thurin




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