Pour la Recherche n° 44

Outils actuels de la recherche sur les psychothérapies

Editorial - Comité de rédaction
Le changement de paradigme dans la recherche en psychothérapie. JM Thurin
Le journal d'études de cas, annoncé par la proposition de Fishman en 2000, vient d'être mis en ligne. X. Briffault
L'infant Observation selon E. Bick. F. Jardin et al.
Recherche sur les processus : variables et présentation de trois instruments. B. Lapeyronnie et M. Thurin
Recherche sur le processus psychothérapique : l'exemple du modèle de l'adéquation. Y. Roten et al.
Les essais randomisés dans la recherche en psychothérapie. P Richardson
Un consensus atypique. F Chapireau
Abonnement
Comité de Rédaction et remerciements


Editorial - Comité de rédaction -

Ce numéro est le troisième volet décrivant l'état de la recherche à propos des psychothérapies. Après le numéro 41 qui abordait la médecine factuelle (evidence based medicine), et le numéro 42, consacré aux méthodes qualitatives, voici une présentation détaillée de la problématique d'actualité et des outils correspondants.

Les travaux actuels ont dépassé les questions longtemps débattues pour établir que les psychothérapies sont plus efficaces que l'absence de traitement. La recherche consacrée aux psychothérapies a changé de paradigme. Il ne s'agit plus d'évaluer les méthodes dans des conditions restrictives, ni d'en comparer plusieurs dans l'absolu, mais de mieux comprendre concrètement quelle psychothérapie sera la plus indiquée pour tel patient dans les conditions de la pratique naturelle. Pour cela, il convient de préciser les modalités et les mécanismes à l'œuvre. Le processus psychothérapique restait jusqu'alors marginal dans le champ de la recherche. Souvent, il n'était abordé que de manière très indirecte, par l'évaluation d'un résultat, et encore ce dernier se limitait- il souvent aux seuls symptômes, constatés à la fin du traitement ou après un court délai. Plusieurs recherches importantes sont désormais engagées à propos du processus psychothérapique, de ses diverses modalités selon les méthodes employées, et des mécanismes par lesquels les résultats sont obtenus.

Ce numéro présente ces recherches, en portant une attention particulière aux méthodes et aux outils employés. Des références bibliographiques détaillées complètent ces informations.

Depuis plus de trente ans, la méthode d'observation des nourrissons d'Esther Bick a montré que la présence d'un observateur peut contribuer non seulement au progrès de la connaissance des interactions précoces entre le bébé et les adultes, mais aussi au développement de l'enfant observé, dès lors que la démarche s'inscrit dans un cadre soigneusement élaboré. De la même façon, l'un des enjeux des recherches en cours ou à venir à propos des techniques psychothérapiques est la construction des conditions d'une observation attentive et neutre : l'évaluation quantifiée peut sans doute introduire un élément perturbant la dynamique psychothérapique, mais cela n'est pas inéluctable. Même si le point de vue normatif est actuellement très actif (comme le montrent dans ce numéro l'expérience de la Tavistock Clinic ou une récente conférence de consensus en France), il appartient aux chercheurs de déterminer eux- mêmes les instruments les plus appropriés. C'est à quoi ce numéro souhaite contribuer.


Le changement de paradigme dans la recherche en psychothérapie

Jean- Michel Thurin

L'expertise collective Inserm 2004 [Inserm, 2004] a fait apparaître le déficit important des recherches évaluatives portant sur les psychothérapies des troubles complexes et chroniques. Ce constat est cohérent avec les choix méthodologiques de la recherche évaluative sur les psychothérapies au cours de la période 75- 90. Il était alors essentiel d'affirmer l'efficacité des psychothérapies en comparaison à l'absence de traitement. De ce fait, l'effet potentiel était en lui- même à prouver et le moyen pour le faire était l'utilisation des essais contrôlés randomisés, considérés comme « l'étalon or » des preuves de l'efficacité potentielle d'un traitement dans le contexte général de la recherche (Guthrie, 2000). Depuis une dizaine d'année, se pose la question du transfert des données de la recherche sur les psychothérapies à la clinique. Cette perspective a mis en lumière les limites des essais contrôlés dans ce domaine et a ouvert de nouvelles voies de recherche.

La plupart des études, (essais contrôlés randomisés (ECRs)) dont l'expertise collective a fait la revue, portent sur des troubles isolés. De ce fait, la grande majorité des patients qui recourent à la psychothérapie en pratique clinique s'en trouvent exclus, sauf ceux qui présentent des troubles graves de la personnalité et chez lesquels on admet, par la force des choses, qu'ils puissent présenter des troubles associés. La littérature internationale précise ainsi que les ECRs testent plutôt l'effet d'un traitement spécifique « manuelisé » (c- a- d associé à l'utilisation d'un manuel par le thérapeute), prodigué pendant une durée brève sur un trouble unique « pur », chez des personnes réparties de façon aléatoire entre un groupe « traitement étudié » et un groupe « contrôle » [p.e., Leichsenring, 2004 ; Lutz, 2002, Guthrie, 2000, Seligman, 1995]. Ce protocole vise à s'assurer que c'est bien le traitement qui est responsable du changement mais cette « validité interne » de l'étude se fait au détriment de la « validité externe » (dans les conditions naturelles). En effet, la rigidité du protocole de traitement est très éloignée de la flexibilité clinique adaptée à des patients réels caractérisés par le fait qu'ils présentent généralement plusieurs troubles et qu'ils choisissent leur traitement. En outre, leur problématique clinique ne peut être simplement identifiée aux symptômes principaux qu'ils ont en commun et dont la sévérité peut être très différente [Blatt, 1998, 2000 ; Wilczek, 1997 ; Luborsky et al, 1993].
L'expertise collective a ainsi confirmé l'efficacité intrinsèque d'actions psychothérapiques dans des contextes variés (pédagogiques et de santé), sans pour autant répondre vraiment aux questions essentielles qui se posent en pratique clinique pour les praticiens et les patients. Ces questions concernent également directement les décideurs responsables des choix de santé pour des populations réelles.

Cette situation n'a pas été soulignée qu'en France. Elle a fait l'objet d'un important débat au sein de l'Association américaine de psychologie (APA) [Chambless, 2001]. L'APA a soutenu le mouvement d'information sur les « thérapies validées empiriquement », sans doute pour sauver les psychothérapies qui étaient très menacées, mais sans en mesurer toutes les conséquences indirectes. L'une d'entre- elles a été une restriction des prises en charge par les assurances maladies aux seules psychothérapies validées, au détriment des psychothérapies psychanalytiques et relationnelles, peu évaluées sur ces critères. Mais ce choix s'est lui- même heurté à la difficulté de faire accepter les recommandations qui en découlaient, tant de la part des cliniciens que des patients [Sanderson, 2002]. Il s'est ainsi avéré que le transfert de ces données partielles de la recherche au champ clinique se faisait mal. C'est dans ce contexte, à la fois scientifique et sanitaire, que l'effort de la recherche sur l'évaluation des psychothérapies s'est concentré sur la conception d'un nouveau paradigme qui permette d'élargir les limites du précédent, tout en préservant une validité interne du même ordre que celle des essais contrôlés « anciens » [Fishman, 2000 ; Guthrie, 2000 ; Margison et al, 2000 ; Parry, 2000 ; Gabbard, 2002 ; Leichsenring, 2004 ; Castelnuovo, 2004, Blatt, 2005]. Le cahier des charges pour la « nouvelle génération » de recherche en psychothérapie que l'on retrouve ainsi partout dans la littérature est le suivant : études en conditions cliniques naturelles, avec les patients réels des files actives, et prenant en compte les variables intermédiaires intervenant dans le processus (essentiellement les caractéristiques du patient et du thérapeute, leurs interactions en relation à des ingrédients techniques et dans un cadre donné). Les populations cliniques étudiées sont caractéristiques des traitements psychothérapiques, plutôt que de simplement répondre aux catégories isolées du DSM, et les principales modalités de leurs prises en charge par des cliniciens expérimentés sont définies. Ces recherches vont alors avoir pour objectif de répondre à la question suivante : Quel est le traitement pertinent pour ce patient spécifique, suivant quelles modalités, et par quels mécanismes peut- il agir ?.

Le changement est important. Le modèle précédent reposait sur deux hypothèses implicites : 1) les symptômes permettent de caractériser ce dont souffre un patient et 2) le type de traitement est le facteur fondamental du processus thérapeutique. Sur ces bases, il devait être possible de déterminer le « bon traitement » pour le patient en lui administrant un traitement type associé à une théorie générale, et en mesurant la différence de résultats. Or il s'est avéré que même dans ce cadre contrôlé au prix d'une réduction drastique mettant en jeu la validité clinique, les différences de résultats n'étaient pas patentes. Dans un premier temps, cela a été considéré comme une énigme qui arrangeait tout le monde (« Tout le monde a gagné »), puis c'est la méthode elle- même qui a été interrogée. Les deux hypothèses ont ainsi été reprises, tant en ce qui concerne le diagnostic que le traitement.

La grande étude du NIMH (National Institute of Mental Health) sur la dépression a été un terrain très apprécié pour ce réexamen car elle a été menée avec une grande rigueur, associant un enregistrement des séances à une investigation très poussée par divers instruments. L'hétérogénéité des résultats d'un site à l'autre a d'abord conduit à leur ré- analyse puis, selon les recommandations d'Elkin elle- même qui avait coordonné le programme [Elkin, 1996] à se tourner vers les facteurs d'interaction entre le thérapeute et le patient. Les études de Blatt en particulier, ont montré que le facteur relationnel était celui qui intervenait de la façon la plus importante dans les résultats (1996a). Mais il dépendait aussi des caractéristiques de personnalité du patient (1999), et de l'expérience du thérapeute (1996b). En fait le trouble « dépression » est susceptible d'évoluer très différemment suivant les traits principaux de personnalité des patients qui en souffrent (différentes études montrent que deux grands groupes pourraient être distingués : les souffrances liées aux « liens d'attachement » et à la « représentation de soi »). Si l'on récapitule de façon un peu caricaturale « un patient déprimé souffrant profondément de troubles d'attachement, qui s'accorde bien dès le départ avec un psychothérapeute expérimenté et humainement souple a bien davantage de chances de s'améliorer à court et à long terme qu'un patient déprimé qui est dans le contrôle et la représentation de soi, en psychothérapie avec un psy directif et rigide, notamment si la durée du traitement est fixée de façon arbitraire ». En plus, ce second patient sera ultérieurement moins résilient au stress que le premier. Barber (1996) a différencié de son côté les patients suivant leur personnalité obsessionnelle ou évitante et leur « style » de réponse (internalisée ou externalisée). Il a également fait apparaître des différences dans la réponse à l'un ou l'autre des traitements proposés (TCC ou IP). Ces deux exemples montrent qu'une recherche qui ne prend en compte que les symptômes de surface en leur appliquant une technique sans que l'on sache rien des caractéristiques de personnalité du patient et de la façon de faire du thérapeute ne peut conduire qu'à des pseudos résultats qui n'apportent aucune information sur ce qui s'est passé.
La même analyse peut être faite à propos des thérapies. Il existe en effet non seulement une différence entre la théorie à laquelle le praticien se réfère et la technique qu'il adopte dans la pratique [Najavits, 1997], mais il a été démontré que, même dans des études avec manuel, les cliniciens modifiaient la technique qu'ils étaient censés utiliser en fonction de leur expérience et des caractéristiques des cas traités [Ablon et Jones, 2002, Blagys et Hilsenroth, 2001], pour le plus grand bien de leurs patients [Rounsaville et al, 1988] et suivant la phase de la psychothérapie [Howard, 1996]. Ces constatations ont été faites à partir de plusieurs instruments d'analyse des processus, dont le Psychotherapy Process Q- sort (PQS), qui permet la description neutre d'une séance de psychothérapie à différents moments de son processus, ce qui permet à la fois d'en situer les caractéristiques et l'évolution.

Les conséquences de ces observations sont apparues clairement : l'homogénéité des groupes et l'identité des thérapies n'étaient que très relatives dans les études précédentes, il était indispensable de revenir au singulier si l'on voulait disposer de données véritablement pertinentes. Il n'était pas question pour autant de se contenter de vignettes cliniques, mais de redonner au cas - précisément décrit - sa capacité d'inférence pour des cas analogues.
La démarche s'est dessinée naturellement, d'une part, mieux décrire le patient, suivant différents angles et dimensions, et d'autre part « déglobaliser» la psychothérapie pour que ses différents ingrédients puissent être pris en compte.
Chaque cas est ainsi appréhendé en prenant en compte sa complexité à travers une description plus complète, dans le double registre qualitatif et quantitatif [Castelnuovo 2004 ; Blatt, 2005 ; Guthrie, 2000], que celle que l'on trouve dans les études classiques qui se limitent à des critères d'inclusion et d'exclusion. Cette description apporte des informations sur le patient lui- même, son contexte et son évolution en psychothérapie en prenant en compte les modifications de ses symptômes, de son fonctionnement et de ses capacités, à différents moments et dans différentes configurations psychothérapiques. Elle permet également son appariement avec d'autres cas analogues (par ex., configuration interpersonnelle du comportement, situation contextuelle, caractéristiques de personnalité) du fait de la possibilité actuelle de standardiser le recueil des données sur des bases analogues et de les intégrer à une base de données.
Cette mise en relation de « types de patients », dont la communauté est plutôt celle des problèmes cliniques que celle des catégories diagnostiques, devrait permettre de comparer les résultats en fonction des modalités de prise en charge qui leur conviennent le mieux, d'en situer les similitudes et d'en relever des différences. L'origine de ces différences pourra être examinée en prenant en compte le contexte, les phases du traitement, sa durée, ainsi que les principaux ingrédients déterminant et leurs variations.

Les études peuvent être focales (comme celles de Blatt et Barber que nous avons citées) ou plus générales. Ainsi, Margison, Barkham, Evans, & al. (2000), parlent de « preuves basées sur la pratique » à partir de l'examen des résultats de la psychothérapie dans des configurations naturalistes. Les traitements psychothérapiques, de durée variable, sont mis en oeuvre avec une plus grande flexibilité permettant aux thérapeutes d'exercer une influence plus clinique et un rôle actif. Les mesures de résultat devraient prendre en compte non seulement la réduction du ou des symptômes, mais également des « constructions telles que le fonctionnement, les handicaps et la qualité de vie ».

La relation de ces études naturalistes avec les études expérimentales a été précisée par Morrison et al. (cité par Castelnuovo, 2004) suivant deux possibilités : « démarrer par des essais d'efficacité potentielle et tester ensuite les traitements présentant des résultats prometteurs en laboratoire en utilisant des échantillons de la communauté plus larges ; ou démarrer à partir de la pratique clinique quotidienne, examiner les patterns de co- variation entre des interventions spécifiques et des résultats à des intervalles de suivi cliniquement significatifs avec des échantillons divers et écologiquement valides, et utiliser ces données pour générer des prototypes de traitement qui puissent être utilisés pour guider la future génération d'études expérimentales » [p. 109, Morrison et al., 2003].

En résumé, étudier les différents facteurs qui permettent de prévoir quel serait le meilleur traitement pour un patient donné représente un immense chantier. Pourtant la tâche ne semble plus impossible [Gabbard, 2002]. L'approche repose sur deux principes : d'une part, interroger les données concernant le patient et le processus clinique à partir d'instruments validés dans des dimensions à la fois qualitatives et quantitatives ; d'autre part, réunir ces cas et/ou les mettre en relation avec une base de données qui permet un appariement plus pertinent que celui des symptômes isolés. Il devient alors possible de dépasser les limites de la juxtaposition d'expériences individuelles mémorisées par chaque clinicien.
Le nouveau paradigme place la complexité du cas et sa relation au processus psychothérapique au centre de la recherche qui repose pour une part essentielle sur la clinique dans des conditions de pratique habituelle. La recherche expérimentale reprend sa place naturelle qui est de tester des prototypes de traitements ou d'interventions.

Une dynamique est lancée, ouverte sur une approche plus ciblée des facteurs de changement. Elle devrait s'exprimer dans une intense activité du champ des psychothérapies dans les années qui viennent.

Références

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Blatt S J, Zuroff D C. Empirical evaluation of the assumptions in identifying evidence based treatments in mental health (à paraître, 2005).

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Sanderson W C. Why We Need Evidence- Based Psychotherapy Practice Guidelines. Medscape General Medicine. 2002.
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les modèles d'effet- dose et de phase en psychothérapie

Le modèle de Howard et al (1986) illustre les relations entre les « doses » de psychothérapie (une dose équivaut à une séance) et l'amélioration. Utilisant une méthode de méta- analyse, les auteurs ont trouvé qu'approximativement 50% des patients montraient une amélioration à la 8ème séance, 75% à la 26ème et 85% à la 52ème.

Howard et al ont également trouvé que des patients avec différents syndromes diagnostiques (par exemple, personnalité borderline et dépression) requéraient différentes « doses » de psychothérapie pour atteindre des niveaux d'amélioration similaires. Ultérieurement, la recherche s'est tournée vers des symptômes ou des syndromes plus précis, ainsi que vers les problèmes interpersonnels.

Une approche complémentaire a consisté à différencier différentes étapes de changement en psychothérapie. Le modèle de « phase » décrit ainsi une phase d'amélioration des sensations de bien- être, suivie d'une phase de réduction de la détresse liée aux symptômes, à laquelle succède une phase de réaménagement où les fonctions de vie commencent à s'améliorer.

Ces phases sont relativement indépendantes. Les visées thérapeutiques sont différentes au cours de chacune des phases et, par conséquent, le choix de variables d'évaluation différentes. Il sera également approprié de choisir des interventions différentes pour les différentes étapes de la thérapie.

Howard et al proposent une approche exploratoire systématique, quasi- naturaliste, résultante de la méthode des cas cliniques. Cette méthode des cas suppose le recours systématique à des données objectives, à l'évaluation continue, à un modèle de stabilité de problème, à des échantillons de patients divers et hétérogènes, et suppose la preuve évidente d'un effet mesurable en grandeur, utilisé pour adapter les procédures de traitement. (JMT)

Howard K I, Orlinsky D E, et Lueger R J. Clinically relevant outcome research in individual psychotherapy. New models guide the researcher and clinician. British Journal of Psychiatry,1994 ; 165 : 4- 8.

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Le journal d'études de cas, annoncé par la proposition de Fishman en 2000, vient d'être mis en ligne

Xavier Briffault

Quatre ans après la publication de son article programmatique [1], Daniel B. Fishman crée la revue d'études de cas pragmatiques en ligne qu'il annonçait [2], première étape pour la mise en œuvre opérationnelle d'un nouveau paradigme de recherche en psychothérapie. Il en décrit les objectifs et les modes de fonctionnement dans son éditorial.

Pour le psychologue de Rutgers, le cas est l'unité fondamentale de la pratique psychothérapique, et le praticien est en prise avec la singularité d'une personne donnée, insérée dans son contexte. Son objectif, en créant cette nouvelle revue, PCSP, est de promouvoir l'étude de cas systématique comme une méthode légitime dans le champ de la recherche scientifique en psychothérapie. Les principaux buts du journal [3] sont, d'une part, que ces cas puissent constituer une source de référence pour les cliniciens ; et d'autre part, que la base de cas puisse être utilisée par les chercheurs et théoriciens pour la recherche quantitative et qualitative sur les processus de changement et la mise en relation de différentes approches thérapeutiques appliquées à des faits cliniques du même ordre.

La revue regroupe et organise des études de cas structurées de façon précise : présentation du paradigme théorique du psychothérapeute, analyse conceptuelle des liens fonctionnels entre les différents éléments de l'étude ; description détaillée (historique, psychologique, sociale, organisationnelle...) du cas, limites de celui- ci, analyse critique des instruments de mesure, définition des relations fonctionnelles entre les variables d'intervention et les résultats de la thérapie, ainsi que des relations entre les différents éléments du cas, critères de généralisation, reproductibilité, analyse de résultats, indicateurs de performance et de suivi, discussion...

Elle a la structure d'une « roue », avec des « rayons ». Le « moyeu » est constitué (a) d'articles à vocation épistémologique, théorique, méthodologique, logistique, politique, éthique... (b) d'analyses de groupes de cas constitués de cas individuels précédemment publiés dans la revue. Chaque « rayon » est une base de données de cas d'un type particulier (par exemple thérapie TCC d'un patient de ville souffrant de troubles anxieux, thérapie psychodynamique d'un trouble dépressif...). Le développement du nombre de rayon et de cas dans chaque rayon autorisera ainsi progressivement des analyses comparatives multi- critères « quasi- expérimentales ».
Des outils de recherche sur la base (par mots- clés, sur texte plein...) permettent de mettre en relation des études de cas de patients ayant un problème central, des objectifs de traitement ou des modes d'intervention similaires [4].
L'approche, qui permet de respecter la complexité du cas tout en en extrayant les lignes de force, est ainsi un peu semblable à celle des bases de jurisprudences en droit.

L'initiative de Daniel B. Fishman est intéressante, et pour le moment unique en son genre. La mise en œuvre actuelle n'est toutefois pas véritablement à la hauteur du projet envisagé initialement. L'étude de cas fournie en illustration est par exemple un peu décevante par le peu de développements qu'elle propose. L'outil de recherche dans la base, pourtant critique pour ce type de démarche, n'est pas très convaincant, et ne semble pas capable de soutenir de véritables recherches dans une base réelle. On aurait espéré également une organisation (beaucoup) plus fine pour la description des cas, et la possibilité d'intégrer des instruments validés. Les commentaires critiques de Martin Seligman sur le projet initial restent pertinents.

Pour résumer, Daniel B. Fishman a ouvert une piste intéressante sur les plans méthodologiques, épistémologiques et programmatiques, mais la mise en œuvre est encore insuffisante. De nouveaux travaux sont nécessaires pour arriver à un niveau opérationnel et véritablement utile pour la recherche et la pratique clinique.

Références

1. Fishman D B. Transcending the Efficacy Versus Effectiveness Research Debate: Proposal for a New, Electronic "Journal of Pragmatic Case Studies". Prevention and Treatment, may 2000.
http://journals.apa.org/prevention/volume3/pre0030008a.html (traduction française sur http://www.techniques-psychotherapiques.org/Documentation/Articles/FishmanPresentation.html)

2. Pragmatic Case Studies in Psychotherapy
http://pcsp.libraries.rutgers.edu/

3. http://pcsp.libraries.rutgers.edu/about.php

4. On en trouvera un exemple dans Thurin JM, Briffault X, « Distinction, limites et complémentarité des recherches d'efficacité potentielle et d'efficacité réelle : nouvelles perspectives pour la recherche en psychothérapie », L'Encéphale, (Sous Presse), 2005

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L'« Infant Observation » selon Esther Bick : nouvelle perspective de recherche pour la clinique et la prévention

Françoise Jardin*, Régine Prat** et Jacqueline Tricaud***

Introduction

Les extensions et approfondissements issus de l'approche psychanalytique des troubles psychiques les plus graves et/ou les plus précoces ont conduit un courant de la psychanalyse d'enfants, celui des kleiniens et post kleiniens, à ouvrir des pistes de recherche à partir d'une méthode rigoureuse d'observation du bébé dans sa famille.
L'utilisation approfondie pendant plus de 30 ans de l'observation de bébés dans leurs familles selon la méthode d'E.Bick (Infant Observation, en abrégé IO) a permis le développement d'hypothèses prometteuses ouvrant des perspectives importantes dans les prises en charge thérapeutiques et la prévention.

I. Présentation de la méthode

La fondatrice de cette méthode, Esther Bick [1] (1902- 1983), élève et collaboratrice de Mélanie Klein a fondé en 1948, à la Tavistock Clinic de Londres un cursus de formation des psychothérapeutes d'enfants pour lesquels elle a imaginé la méthode d'observation du nourrisson dans sa famille.

L'Observation du nourrisson comporte trois étapes indissociables :

- l'observateur, qui a rencontré les parents avant la naissance et s'est entendu avec eux, se rend au domicile, une heure par semaine, pendant les deux premières années de l'enfant, pour assister au premières étapes de son développement. Il doit tenter de faire table rase de ses connaissances et éviter d'interférer avec la situation observée (ni commentaires, ni conseils, ni questions), mais rester dans une attitude de réceptivité attentive et bienveillante ;

- l'observateur (qui ne prend pas de notes pendant l'observation) rédige ensuite un compte- rendu précis, détaillé et concret de tout ce qu'il a observé dans le comportement du bébé et ses interactions avec son entourage. Il note en parallèle ses impressions personnelles et ses associations ;

- l'observateur lit ses compte- rendus dans un séminaire de supervision animé par un psychanalyste formé à la méthode. Tous les éléments observés sont étudiés de façon approfondie dans une discussion de groupe, objet d'un compte- rendu détaillé.

II. Résultats

Au cours de ce travail poursuivi par les élèves d'Esther Bicki à partir de 1977 dans une trentaine de groupes en France, les constatations importantes suivantes ont été faites [2].

1. Compréhension des premières interactions et de leurs effets sur le premier développement

L'IO permet de percevoir, de façon très précise et fine, les interactions entre le bébé et sa mère dès la période néonatale. Elle a permis de progresser dans une compréhension fine du premier développement de l'enfant par rapport à :

- l'organisation progressive du moi corporelii à travers des étapes précises et repérables. (cf. travaux de G.Haag [3]).

- la perception, la description et la compréhension des angoisses archaïquesiii que tout bébé connaît à certains stades de son développement. Il s'agit d'un apport important au traitement des enfants autistes [4] car ces mêmes angoisses se retrouvent chez eux et chez les enfants psychotiques sur un mode dramatique et envahissant. Or, nous constatons au cours des psychothérapies analytiques de ces enfants que leur progression est consécutive à l'analyse de ces angoisses et qu'elle s'accompagne alors d'une réorganisation profonde du moi corporel, selon les mêmes étapes traversées normalement par le bébé.

2. Effet dynamique sur le développement de l'enfant

- Indirect : en s'identifiant à l'observateur, la mère et le père développent leurs capacités d'attention à l'enfant et leur intérêt pour sa vie psychique, ce qui leur permet de contenir les angoisses précoces et le premier développement émotionnel (Winnicott, Bion).

- Direct : les enfants observés sont à 2 ans, dans la majorité des cas, des enfants calmes et attentifs reconnus par les parents et l'entourage comme particulièrement observateurs.
On peut faire l'hypothèse que la première année de développement de l'enfant constitue un moment très privilégié pour intérioriser des capacités d'attention, et d'auto- contenance psychique, qui favorisent la construction du Je et les processus de séparation. A une phase où l'activité orale est prédominante, le cadre de l' IO permet un processus d'appropriation par le bébé des regards attentifs dont il beneficie ; ce processus est aux frontières de l'incorporation, de l'imitation et des premières identifications projectives normales.

3. Applications thérapeutiques

Il s'est dégagé de multiples applications psychothérapiques, parmi lesquelles nous pouvons citer en France :

- Consultations thérapeutiques ou psychothérapie centrée sur une observation conjointe du bébé et les associations qu'elle entraine.

- Observations thérapeutiques, à domicile ou en milieu collectif, dans des cas de difficultés relationnelles graves parents- enfants, notamment dans des contextes psychiatriques ou socialement en difficultés [5].

- Dépistage et traitement de troubles autistiques précoces [6].

- Groupes de thérapie analytique d'enfants autistes ou polyhandicapés avec des aspects autistiques [7]..

- Groupes thérapeutiques parents- enfants, pour des enfants sans langage [8].

La plupart de ces applications thérapeutiques sont relatées dans les Actes des Congrès internationaux [9].

III. Perspectives

1. Prévention

Cette méthode est un outil de prévention souple et efficace utilisable dans des domaines particulièrement préoccupants aujourd'hui en particulier :

- l'hyperactivité et l'instabilité de l'attention ;

- les troubles de l'apprentissage et l'échec scolaire ;

- la violence et la tendance aux passages à l'acte.

Cette prévention très précoce peut être réalisée par des groupes d'observation de bébés avec leurs mères ou des groupes parents- enfants, en association éventuelle avec une observation thérapeutique pour les familles très en difficulté.

2. Recherches

- Des études de validation de nos hypothèses semblent maintenant indispensables et possibles par une enquête systématique et rigoureuse sur le devenir des enfants observés à l'âge de latence, à l'adolescence et à l'âge adulte (dans le prolongement de celles réalisée par A. Watillon [10] et F. Jardin [11]).
- La méthodologie de l'IO permet d'ouvrir une perspective de recherches prenant en compte des critères qualitatifs. Elle concilie la rigueur du cadre et la précision du matériel de l'observation avec un élargissement du champ des critères observés (aspects qualitatifs, liés à la riche dynamique des expériences émotionnelles vécues, tels que l'impact de la qualité de l'attention et des modifications profondes concernant les positions parentales).

- Un questionnaire international permettant une classification du champ de la formation et des applications est en cours d'étude et devrait permettre d'étendre cette recherche à tous les pays où s'est développée une pratique de l'observation de bébé selon cette méthode [12].

En conclusion

Le partage des acquis de la pratique de la méthode E. Bick entre praticiens nationaux et internationaux, aussi bien pour la formation de l'observateur que pour la connaissance des premiers temps de l'organisation somato- psychique, a entraîné de multiples applications en thérapies parents- enfants, petits groupes thérapeutiques parent- enfants, et prises en charge à domicile. La présence d'un observateur formé à la méthode permet lorsque le jeune enfant met en scène ce qu'il vit en famille, en le projetant sur le professionnel présent, de favoriser les transformations nécessaires à une élaboration psychique aussi bien pour l'enfant que pour ses parents et le professionnel.

Nous pouvons d'ores et déjà affirmer que de nombreux troubles de l'enfant peuvent être classés comme des troubles de l'attention à des degrés divers. Dans de nombreux cas observés, ils semblent être la conséquence d'une impossibilité de bénéficier d'un regard attentif dans les premières expériences relationnelles et s'inscrire d'une façon plus générale dans la difficulté psychique à symboliser ou secondariser les éléments de l'expérience émotionnelle interne. Cela peut être lié à des carences de l'environnement d'origines diverses, mais aussi à des difficultés congénitales de l'enfant.
Dans les deux cas la présence régulière d'un observateur spécifiquement formé, aussi bien dans la famille que dans divers contextes institutionnels (crèches, écoles, hôpitaux), s'est avérée être un outil de premier plan, tant d'un point de vue thérapeutique pour des troubles installés, que du point de vue de la prévention, dans les situations à risque d'évolution pathologique.

La formation à cette méthode renforce, de façon souvent très importante, les capacités contenantes thérapeutiques des professionnels travaillant auprès d'enfants en grande difficulté : cela constitue les bases d'un dispositif de prévention et de soin particulièrement efficace et d'un coût social modéré.

*psychiatre- psychanalyste ; ** psychologue- psychanalyste
*** psychologue- psychanalyste
Membres de la Société Psychanalytique de Paris
Membres de l'AFFOBEB (Association des Formateurs Francophones à l'Observation de Bébé selon Esther Bick) CMP 2O Villa Compoint 75017 Paris cmp.compoint@wanadoo.fr

Notes

i. Tavistok Clinic, GERPEN : Groupe d'Etudes et de Recherches Psychanalytiques pour le Developpement de l'Enfant et du Nourrisson, AFFOBEB : Association des Formateurs Francophones à l'Observation de Bébé selon Esther Bick.

ii. le moi corporel se dégage progressivement du sentiment d'unité vécu par l'enfant qui ressent corporellement des moments d'intégration et de désintégration en fonction de sa maturation neurologique et des caractéristiques de sa relation à l'objet.

iii. ce terme recouvre des d'angoisses telles que celle qui surviennent au début de la vie accompagnées d'un éprouvé corporel intense de liquéfaction, de chute dans le vide, de morcellement...

Références

1. Bick E. Notes on infant observation in psycho- analytic training.International Journal of Psycho- Analysis, 1964 ;45 (4) : 558- 566 ; Remarques sur l'observation de bébé dans la formation des analystes . Journal de psychanalyse de l'enfant, n°12 ; Bayard Edition ; 1992. Notes sur l'observation de bébé dans la formation du psychanalyste ; in Williams M.H. : Les écrits de Martha Harris et Esther Bick ; trad. J & J.Pourrinet éd. du Hublot, Larmor- Plage (Morbihan), 1998 : 279- 294.

2 Une bibliographie ainsi que des informations complémentaires seront bientôt disponibles sur le site du Gerpen www.gerpen.com

3. Haag G. Nature de quelques identifications dans l'image du corps, Journal de Psychanalyse de l'Enfant, 1991 ; 10 : 143- 155.

4. Haag G. et coll.(1995). Présentation d'une grille de repérage clinique des étapes évolutives de l'autisme infantile traité, Psychiatrie de l'enfant, 1995 ; 38 (2) : 495- 527.

5. Jardin F. (1994). Une stratégie de soins précoces du bébé et de la parentalité. Apport de l'observation analytique du bébé en crèche à des fins thérapeutiques. Devenir, 1994 ; 6 (2) : 87- 103.

6. Houzel D. Une application thérapeutique de l'observation des nourrisson in Les liens d'émerveillement, 1995, érès.

7. Haag G, Ferrey M.C.,Seringe H., Urwand S. Processus groupal et enveloppes psychiques au travers de psychanalyses groupales avec des enfants psychotiques et déficitaires in: Privat P. (dir.), Les psychothérapies de groupes d'enfants au regard de la psyParis, Clancier- Guénaud 1989 ; 71- 93.

8. Tricaud J. Un groupe thérapeutique parents- jeunes enfants sans langage in les liens d'émerveillement, 1995, érès.

9. Congrès de Bruxelles, (1994) : L'observation du nourrisson et ses applications ; Césura Col. L'enfant./Congrès de Toulouse (1995) ; Les liens d'émerveillement ; L'observation du nourrisson selon E. Bick et ses applications ; érès /Congrès de Barcelone (1998) : L'autonomie des bébés ; Césura, col. L'enfant/ Congrès de Cracovie (2004) : Create bonds ; Vol. 1 ; Wydawnictwo ; radamsa.

10. Watillon- Naveau A. L'impact de la méthode d'observation sur les mères et leurs bébés in Sandri R. (dir.). L'observation du nourrisson selon Esther Bick et ses applications, Meyzieu, Césura 1994 ; 25- 36.

11. Jardin F. (ex Médecin- Directeur), A. Dumaret, V. Picchi (2005). L'étude du devenir des enfants et des familles suivis à l'Unité de Soins spécialisée à domicile pour jeunes enfants » à paraître, 2005 ; in Annales Médico- Psychologiques.

12. Prat R. (2005). Panorama de l'Observation de bébé selon la méthode Esther Bick dans les pays francophones, Devenir, 2005 ; 1.

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Recherche sur les processus : variables et présentation de trois instruments

Brigitte Lapeyronnie et Monique Thurin

Pour évaluer l'efficacité d'une psychothérapie, deux types de démarches ont vocation à se compléter. L'une porte sur les résultats, l'autre sur les processus.
La première, centrée sur les résultats, permet d'apprécier l'évolution d'un cas et, dans certaines conditions, d'effectuer des comparaisons entre les thérapies. Elle utilise des instruments dans une large mesure centrés sur le patient, par exemple, sur ses symptômes avant, pendant et après la thérapie. Les instruments les plus intéressants ne portent pas uniquement sur les symptômes stricto sensu (comme peut le faire le DSM IV) mais aussi sur les capacités fonctionnelles et adaptatives du sujet. C'est par exemple l'Echelle Santé Maladie (ESM) de Luborsky ou l'échelle de Hoglend.

La seconde, centrée sur les processus, permet d'identifier les facteurs au cours de la thérapie qui sont associés au résultat. Elle permet ainsi d'approcher ce qui est à l'origine du changement. Elle est particulièrement intéressante pour tenter de saisir ce qui relève des facteurs dits « non spécifiques », c'est- à- dire communs à toutes les psychothérapies (par exemple l'alliance thérapeutique) et ce qui relève des facteurs « spécifiques », c'est- à- dire les techniques particulières à un modèle thérapeutique.
Un autre grand intérêt est de repérer la variation des techniques suivant les problématiques du patient et les moments de la thérapie, c'est- à- dire comment le thérapeute va adapter sa technique au patient particulier et en relation avec lui.
Ainsi la recherche portant sur les processus permet de saisir les modalités d'un changement qui se produit dans une psychothérapie donnée, mais aussi de mieux cerner la pratique réelle de la thérapie qui se déroule. Elle a également l'avantage de prendre en compte la nature complexe de la relation thérapeutique, notamment les interactions à tous les niveaux du processus thérapeutique.

Au cours d'une recherche portant sur les processus, plusieurs variables sont pertinentes.
De nombreux auteurs, cités par Wiger [1] se sont penchés sur ces variables. Ainsi :
- Orlinski, Grace et Parks [2] (1994) ont identifié quatre processus fondamentaux qui affectent le résultat thérapeutique :
1. la qualité de la relation thérapeutique
2. la compétence du thérapeute
3. le niveau de coopération du patient
4. la longueur du traitement.

- Walborn [3] (1996) a identifié quatre variables processus qui relient les différentes écoles de pensée et comprennent :
1. la relation thérapeutique
2. l'insight et le changement cognitif
3. les émotions dans la thérapie
4. les attentes du patient.

- Goldfried [4] (1980) a mis en avant deux variables processus qui seraient communes à toutes les thérapies :
1. le patient acquiert de nouvelles expériences correctives
2. le patient reçoit des feedbacks directs.

- Bergin et Garfield [5] (1994) fournissent une revue minutieuse du rôle que les variables de processus jouent dans la psychothérapie.

La méthodologie d'une recherche sur les processus devrait tenir compte de toutes ces variables.

Le problème évident est de faire face à la grande quantité de données produites par chaque traitement et de s'en servir d'une manière qui traduise la subtilité et la complexité du phénomène clinique, tout en saisissant l'essentiel et ce qui est pertinent.

Plusieurs outils existent. Nous allons en présenter un, qui prend en compte un maximum de critères, le Psychotherapy Process Q- Sort (PQS) de Jones [6] en chantier depuis 1985 et qui a subit différentes modifications pour aboutir en 2000 à un outil utilisant 100 items.

L'histoire de l'outil est intéressante car elle montre la complexité de l'approche évaluative de critères issus d'une psychothérapie. Cet outil, panthéorique, a également été pensé pour la thérapie psychanalytique. Comme le dit son auteur : « Il a semblé que l'étude directe du processus analytique serait facilitée par un système de classification complet, une méthode qui décrirait et définirait le processus et qui formerait la base d'une recherche issue de l'observation. Après avoir beaucoup réfléchi à ce qui devrait constituer un tel système, et selon quels principes il devrait être construit, j'ai développé le processus de psychothérapie (PQS) pour fournir un langage de base à la description et la classification des processus d'intervention sous une forme appropriée à l'analyse quantitative. »
Les versions successives ont testé les différents items. Certains ont été éliminés s'ils étaient redondants ou avaient une faible fiabilité interjuge. D'autres ont été ajoutés si des facettes importantes du processus thérapeutique semblaient manquer.
Les 100 items ont été élaborés en essayant d'éliminer un langage trop abstrait : par exemple le terme « mécanisme de défense » connote un fonctionnement mental et c'est une notion relativement abstraite. Les juges peuvent avoir des difficultés à se mettre d'accord sur la présence ou la nature d'un mécanisme de défense. On ne leur demande donc pas de chercher un mécanisme de défense chez le patient mais de remarquer si l'analyste fait ou non une interprétation des défenses du patient. Ainsi, les items sont liés à un comportement observable qui peut être identifié dans une transcription, ce qui renforce la fiabilité de l'instrument.

Les 100 items du PQS décrivent trois types d'interaction qui se produisent dans les différentes séances de psychothérapie : 1. les éléments décrivant l'attitude et le comportement ou l'expérience du patient ; 2. les éléments reflétant les actions et les attitudes du thérapeute ; 3. les éléments essayant de cerner la nature de l'interaction de la dyade, le climat ou l'atmosphère de la séance.
Un manuel de codage fournit les items et leurs définitions avec des exemples pour réduire le plus possible des interprétations potentiellement variables. Ces 100 items sont cotés sur une échelle allant du « très caractéristique » au « pas du tout caractéristique » en passant par un champ "neutre".
La méthode est conçue pour être appliquée à une transcription enregistrée en audio ou vidéo ou à une transcription in extenso de séance. Plutôt que de se concentrer sur de petits segments, l'évaluation des items porte sur une séance entière de thérapie laissant aux cotateurs une plus grande possibilité de cerner les éléments importants.
S'il est impossible de classer dans l'absolu 100 items selon leur valeur propre, cet exercice ne devient réellement possible qu'à partir du moment où l'on peut considérer qu'un item est plus ou moins caractéristique et qu'on le situe par rapport à ceux qui sont les plus proches. C'est ce mode de classement qui a été retenu.
Des cotateurs externes sont requis pour observer l'interaction entre le patient et le thérapeute.
Cet outil, dont l'utilisation nécessite préalablement une formation et une véritable appropriation, est non seulement intéressant pour décrire le processus de psychothérapie à un moment donné, mais aussi pour appréhender le déroulement d'une psychothérapie dans son ensemble, par l'utilisation répétée de cet instrument.

Plusieurs études ont été réalisées avec le PQS.

Jones et Windholz [7] ont étudié six ans de thérapie psychanalytique d'une patiente (Mme C). Toutes les séances d'analyse ont été enregristrées. Des segments de dix séances ont été sélectionnées chaque année à des intervalles réguliers. Le but de cette méthode a été de permettre l'examen du processus analytique dans un cadre longitudinal et d'identifier ainsi le changement et la variation dans le processus analytique au cours du temps. L'étude donne le récapitulatif des items les plus et les moins caractéristiques à différents stades de la thérapie. Les résultats permettent de saisir les changements épisodiques et les développements dans le processus analytique. Les données ont aussi permis de caractériser des périodes particulières au cours de l'analyse. Certains items ont clairement émergé. Au cours de la quatrième année par exemple, il y a eu des items en faveur de l'apparition d'une névrose de transfert, notamment les éléments montrant le renforcement chez Mme C des résistances et de certains affects comme la culpabilité, la méfiance, l'émergence d'une hostilité envers l'analyste, etc. Les données de la fin de la thérapie suggèrent une résolution des résistances signalées par une conscience accrue de la patiente pour ses désirs, sentiments, fantasmes et son besoin d'intimité et parallèlement un soulagement significatif de ses sentiments d'infériorité, de culpabilité et d'anxiété.

Saulo Sirigatti et al [8] ont utilisé le PQS pour décrire les processus thérapeutiques pour évaluer la relation entre processus et résultat et pour analyser la nature des processus de changement au cours du temps. Cette étude a comparé trois approches : la thérapie systémique relationnelle, la thérapie cognitive et comportementale et la thérapie brève stratégique. Elle a permis de saisir des spécificités techniques aux trois approches. De même certains processus ont été repérés comme indicateurs de forte probabilité d'une évolution positive de la thérapie. Enfin ces auteurs ont identifié des différences et des similitudes dans les processus suivant les troubles répertoriés des patients étudiés. Par exemple, pour les patients qui souffrent de troubles de l'humeur et pour lesquels la thérapie a évolué positivement, certains items ont été très caractéristiques comme « le thérapeute est directement rassurant » (item 66), « le thérapeute suggère au patient d'accepter la responsabilité de ses problèmes » (item 76), « le thérapeute commente les changements d'humeur et les émotions du patient » (item 79) « la discussion se centre sur des thèmes cognitifs » (item 30), etc. Dans leurs conclusions, Sirigatti et al soulignent que le PQS est un instrument panthéorique important, sensible pour identifier les différences de processus qui caractérisent les diverses approches psychothérapiques.

Gabbard et al. [9] « tentent d'intégrer des développements provenant de l'intérieur et de l'extérieur de la psychanalyse, afin de proposer un modèle de travail pour les processus multiformes impliqués dans l'émergence du changement en psychanalyse et en psychothérapie psychanalytique ». Ils décrivent le PQS comme un outil basé sur l'observation clinique et l'analyse empirique systématique des transcriptions des séances suivant un modèle intégratif qui tient compte à la fois de l'interprétation et de l'interaction qui se produit dans la relation (ce qu'ils nomment structure réitérée d'interaction). Les auteurs concluent ainsi leur article : « avec de nouvelles technologies pour mesurer ce qui se produit réellement en heures de traitement (Jones et Pulos, 1993 ; Ablon et Jones, 1998) et pour évaluer la structure de personnalité (Westen et Shedler, 1999a, 1999b), nous sommes maintenant en position de découvrir et mesurer quels cliniciens sont efficaces, ce qui change et quelles sont les voies du fonctionnement associées à de meilleurs résultats ».

D'autres outils existent, notamment les Analytic Process Scales (APS), mises au point par S. Waldron et al [10]. L'APS évalue trois dimensions : la contribution de l'analyste, celle du patient et les caractéristiques interactionnelles de la relation émergente, explorées par l'étude des séances divisées en segments cohérents d'un point de vue psychanalytique (voir ci-dessous).
Le POAMS [J. Lowry, 2003 11] utilisé plutôt dans une perspective de prédiction du déroulement de la psychothérapie dans le temps, est présenté page 10.


Références

1. Wiger D.E., Solberg K.B. Tracking mental Health Outcomes : A therapist's guide to measuring client progress, analysing data and improving your practice, New York, 2001.

2. Orlinski, D.E., Grawe, K., & Parks, B.K. Process and outcome in psychotherapy- noch einmal. In : A.E. Bergin & S.L. Garfield (Eds.), Handbook of psychotherapy and Behavior Change, 1994 ; 4 th ed. New York, Wiley.

3. Walborn, F.S. Process variables. Four common elements of counseling and psychotherapy. Pacific Grove, CA : Brooks/Cole Publishing Company, 1996.

4. Goldfried, M.R. Toward the delineation of therapeutic change principles. American psychologist, 1980 ; 35 : 991- 999.

5. Bergin & S.L. Garfield (Eds.), Handbook of psychotherapy and Behavior Change, 4 th ed., New York, Wiley.

6. Jones, E. E. Therapeutic Action. A Guide to psychoanalytic Therapy( Appendix). Jason Aronson Inc. 2000.

7. Jones E.E., Windholtz M. The Psychoanalytic Case Study : Toward a Method for Systematic Inquiry. Journal of the American Psychoanalytic Association, 1990 ; 38 : 985- 1015 (APA).

8. Sirigatti S. Application of the Jones' Psychotherapy Process Q- Sort. Brief Stratégic and Systemic therapy European, 2004, Review n°1.

9. Gabbard G O, & Westen D. Rethinking Therapeutic Action, Int. J. Psychoanal, 2003 ; 84 : 823- 841.

10. Waldron, S. Analytic process scales (APS), version 2001.

11. Lowry, J. Overview of the Psychotherapy Outcome Assessment and Monitoring System in Psychotherapy, 2003 ; 38 (3) : 16- 19

Sherwood Waldron, Robert D. Scharf, David Hurst, Stephen K. Firestein, Anna Burton. What happens in a psychoanalysis ? A view through the lens of the analytic process scale (APS), International journal of psychoanalysis, 2004 ; 85, 2 : 443- 466.

Un groupe d'analystes expérimentés a développé des échelles et un manuel de codage illustré d'exemples cliniques pour évaluer des psychanalyses et des thérapies psychodynamiques enregistrées. L'APS évalue trois dimensions : 1. la contribution de l'analyste : aidant à développer la relation dans laquelle il peut fournir une clarification et une interprétation du transfert et de la résistance ; 2. la contribution du patient : à travers la communication de son expérience, l'expression de ses sentiments et de l'information qu'elles fournissent au sujet de ses besoins, désirs et conflits, accompagnés par la réflexion sur soi ; 3. les caractéristiques interactionnelles de la relation émergeante, explorées par l'étude des séances divisées en segments cohérents d'un point de vue psychanalytique.

Une étude préliminaire de neuf séances a établi que les variables évaluées par l'APS peuvent être cotées de manière fiable. L'étude des contributions de l'analyste a précisé leur structure variée et complexe. Des différences importantes ont émergé parmi les trois paires analyste- patient qui ont été étudiées, et des changements au niveau des scores qui ont suivi les développements dans le travail analytique au cours du temps, ce qui devrait impliquer des résultats de traitement différents. L'APS apparaît être un instrument fiable facilitant l'étude systématique des psychanalyses.

« Notre étude représente la première démonstration de ces types de relation à partir de données analytiques enregistrées. Nous sommes capables d'évaluer de façon fiable, pour la première fois, le degré avec lequel un patient répond immédiatement aux techniques psychanalytiques essentielles, telles que la clarification, l'interprétation et l'analyse du transfert et de la résistance. De plus, nous pouvons évaluer l'effet du travail du patient sur celui de l'analyste. L'APS nous fournit les moyens d'étudier systématiquement une série de patients et les phases des traitements, et de les mettre en perspective les unes avec les autres sur les variables patient, analyste et interaction patient/analyste. En résumé, nous avons trouvé que l'APS fournit une description détaillée, fiable et systématique des aspects essentiels du processus psychanalytique, tel qu'il est largement compris par les psychanalystes d'aujourd'hui, et qu'il établit une distinction entre des processus psychanalytiques différents aux différentes phases du traitement. Il promet par conséquent d'étendre grandement notre connaissance sur les processus des psychanalyses et des psychothérapies psychanalytiques, et sur la relation entre les processus et les résultats... ».

Les objectifs exprimés par les auteurs pour les années à venir sont les suivants :

1. Mieux explorer les domaines que nous avons déjà considérés :

- déterminer les segments centraux utiles pour caractériser le processus ;

- déterminer les différences dans le processus d'une phase à l'autre et pour chaque patient (et leurs implications dans le résultat) ;

- déterminer les relations, pour chaque phase et chaque patient, entre les interventions de l'analyste et le travail du patient dans leur processus d'interaction, ainsi que les caractéristiques spécifiques du travail de chaque paire patient- analyste.

2. Explorer la validité concurrente de nos variables par la comparaison (corrélation) de nos scores avec ceux du PQS. Le degré avec lequel ces deux instruments généraux servant à évaluer le processus psychanalytique et psychothérapique présentent un chevauchement et une continuité, fournira un support pour la validité des deux instruments.

3. Faire une enquête pilote des hypothèses liées au travail analytique du patient et du thérapeute et aux progrès réels réalisés.

4. Déterminer si nous pouvons utiliser l'APS pour coter de manière fiable les séances entières tout comme les segments, et si de telles cotations peuvent être transposées par les cliniciens plus jeunes avec une fiabilité comparable à celle qu'obtiennent les cliniciens plus anciens.

5. Développer un réseau de cliniciens intéressés dans la cotation des séances et/ou l'enregistrement des séances.

Évaluation de résultats de psychothérapie et système de supervision du processus (POAMS)

Les modèles de « dose » et de « phase » (Howard et al) ont conduit Jenny Lowry et Mark Kopta à développer le système d'évaluation et de suivi des résultats de la psychothérapie (POAMS® ; Kopta et Lowry, 1997). Il s'agit d'une méthode complète permettant d'évaluer le progrès et les résultats de la thérapie de patients adultes. Une grande partie de la recherche sur le modèle de « phase » et la caractérisation du patient a été conduite en utilisant le système COMPASS® (voir Sperry, Brill, Howard, et Grissom, 1996) dont le POAMS contient les variables critiques qui ont fait son succès.
Plus bref que le COMPASS, le POAMS évalue les dimensions essentielles qui ont été validées comme permettant de prévoir et d'améliorer les résultats du traitement : bien être, symptômes, fonctionnement de vie, préparation à la psychothérapie, et lien entre le thérapeute et le patient.
Le POAMS a été développé pour être un outil efficace et complet aidant les cliniciens à mieux comprendre les besoins de leurs patients, le déroulement du traitement, et à mesurer comment les patients répondent à la psychothérapie. Il peut également être employé avec des méthodologies dose/effet et autres pour exécuter des analyses de coût- avantage et coût- efficacité.

Les Echelles du POAMS

L'échelle de bien- être évalue quatre éléments : le sentiment de détresse générale, la satisfaction de la vie, l'énergie et/ou la motivation, et l'émotionnel.

L'échelle de symptômes est composée de 29 items qui évaluent une batterie de 9 symptômes, tels que la dépression, l'anxiété, les pensées/comportements obsessionnels compulsifs, les oscillations d'humeur, l'hostilité, la somatisation, les expériences psychotiques, les problèmes de drogue et/ou d'alcool, les troubles du sommeil.

L'échelle de vie évalue 9 domaines, tels que travail/école, amitiés, rapports intimes, rapports avec des enfants, fonctionnement sexuel, plaisir de la vie, santé physique, gestion de soi, gestion de l'argent.

L'échelle globale santé- maladie : les scores des trois échelles précédentes peuvent être utilisés séparément pour suivre les progrès des patients suivant les étapes du modèle de phase, et/ou associés pour déterminer le score global de santé maladie, qui est une vue d'ensemble (un instantané) du fonctionnement global du client.

L'échelle de psychothérapie évalue cinq items concernant le besoin perçu par le patient du traitement, la chronicité des problèmes, l'expérience antérieure de traitement (si c'est approprié), ainsi que la confiance pour surmonter les difficultés qui ont conduit le patient à la thérapie. Ces types d'éléments se sont avérés contribuer à prévoir avec succès des réponses au traitement des patients (voir Leon et al, 1999 ; Lutz et al, 2001).

L'échelle du lien thérapeutique évalue six items concernant les perceptions par le patient, de son thérapeute sur des facteurs tels que son intérêt, sa compréhension et l'acceptation qu'il a de lui. La recherche a prouvé que le lien thérapeutique est une variable utile pour prévoir le progrès du patient dans la thérapie (par exemple, Saunders, 2000).

L'échelle de contrôle de résultats est composée de 13 éléments. Elle évalue le bien- être, les symptômes psychologiques choisis, et quatre zones de fonctionnement de la vie. L'échelle contient également une question qui demande au patient l'avantage qu'il a perçu de sa psychothérapie jusqu'ici. L'échelle des résultats a été conçue pour être utilisée à des moments spécifiques des séances pendant le traitement et pour permettre d'ajuster le processus psychothérapeutique. Utilisée seule ou en même temps que l'échelle de lien thérapeutique, l'information obtenue à chaque séance peut être comparée aux données de base du départ pour suivre les gains thérapeutiques, fournir des données sur le traitement et ainsi améliorer ses résultats et son efficacité.

L'échelle de satisfaction du patient comprend 12 éléments que les patients sont invités à remplir. Les domaines évalués incluent la satisfaction globale d'un patient du service, la probabilité de recommander ces services à un ami, le degré avec lequel il s'est senti « aidé » avec ses problèmes, aussi bien que les questions logistiques, telles que la facilité de prendre des rendez- vous, etc... qu'il a rencontrées. Ces types de données peuvent être salutaires aux cliniciens en termes d'identification des forces et des domaines problématiques afin d'améliorer les services rendus.

L'information psychométrique. Les échelles de POAMS sont des auto- questionnaires adressés au patient. Les échelles demandent en général une vingtaine de minutes pour être remplies par le patient.

La seule forme du POAMS est la graduation – toutes les échelles et les éléments utilisent le même continuum « Likert- type » de 0 (détresse extrême/fonctionnement pauvre) à 4 (aucune détresse/excellent fonctionnement). Par conséquent, il est commode de comparer les scores du patient au moyen d'échelles sans exécuter aucune conversion mathématique. Pour des buts interprétatifs, des scores de 3 ou plus suggèrent que les patients fonctionnent dans l'intervalle « sain », alors que les patients avec un score de moins de 2 sont symptomatiques, ou dans la détresse, pour ces éléments et/ou échelle. (BL & MT)

- Lowry, J. (2003). Overview of the Psychotherapy Outcome Assessment and Monitoring System in Psychotherapy, 2003 ; 38, 3 : 16- 19

Les références du texte sont issues de cet article que vous pouvez télécharcher sur Internet à l'adresse
www.divisionofpsychotherapy.org/ bulletins/VFall2003383.pdf

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Recherche sur le processus psychothérapique : l'exemple du Modèle de l'Adéquation

Yves de Roten*, Luc Michel, Jean- Nicolas Despland

Dans le champ de la recherche sur le processus psychothérapique, le concept d'alliance thérapeutique est l'un des plus étudiés. Parmi les facteurs communs associés à la plupart des formes de psychothérapie, l'alliance thérapeutique - définie globalement comme la collaboration mutuelle entre patient et thérapeute (Gaston & al., 1998) - a émergé comme un prédicteur robuste et consistant des résultats positifs pour différentes formes de psychothérapies et différents types de patients. Cependant, si l'influence de l'alliance sur les résultats semble solidement établie, les éléments qui permettent son établissement ou son rétablissement après les inévitables moments de ruptures (Safran & Muran, 1996) sont encore peu clairs.
La réflexion clinique, comme la recherche empirique, sont parties d'une explication unidimensionnelle en déterminant, chez le patient ou chez le thérapeute, les éléments les plus favorables - ou défavorables - à l'établissement et au maintien d'une bonne alliance. Les développements les plus récents insistent davantage sur le contexte spécifique de la relation qui unit un thérapeute et son patient et sur la nécessité de considérer à la fois le thérapeute et le patient dans leur mode de collaboration.
D'un point de vue clinique et psychanalytique, les interventions du thérapeute ne visent pas l'alliance en première intention. Elles se modèlent en fonction d'une double exigence : (1) éclaircir le fonctionnement du patient en montrant comment certaines caractéristiques psychodynamiques génèrent des difficultés dans son existence ; (2) déjouer la résistance générée par ces mêmes caractéristiques dynamiques sur l'écoute que peut faire le patient de ce que lui dit le thérapeute.
Le modèle empirique de l'adéquation représente l'opérationnalisation de critères observables concernant la compatibilité entre les interventions du thérapeute et deux caractéristiques dynamiques du patient : les mécanismes de défenses et les conflits relationnels centraux. L'hypothèse de base qui sous- tend ce modèle est que plus la forme et le contenu des interventions du thérapeute sont proches du problème exprimé par le patient et de son mode de fonctionnement, plus la collaboration entre les partenaires est renforcée, ce qui conduit également à des résultats plus favorables de la thérapie. A partir de la revue de la littérature et de nos propres travaux, nous avons définis les 4 critères que l'on peut décrire sommairement de la manière suivante :

En rapport avec les mécanismes de défense du patient

1. Ajustement (Despland & al., 2001). Suivant le fonctionnement défensif manifesté par le patient à un moment donné, le thérapeute tend à adapter la proportion d'interventions d'exploration et de soutien. Nous avons construit un ratio d'ajustement qui compare le fonctionnement défensif global du patient lors d'une séance avec le niveau moyen d'exploration - soutien de l'ensemble des interventions du thérapeute.
2. Précision (Junod, de Roten, Martinez, Drapeau, Despland, 2005). Parmi les différentes formes d'interventions, certaines sont clairement en rapport avec un mécanisme de défense en confrontant le patient avec sa manière d'éviter ou de déformer certains affects ou représentations. Par précision, nous entendons la correspondance entre le type de défense spécifique pointé par le thérapeute et les défenses manifestées par le patient au cours d'une séance.

En rapport avec les conflits relationnels centraux du patient

3. Précision. Ce critère évalue la correspondance entre le contenu des interprétations du thérapeute et le conflit relationnel central du patient tel que mis en évidence par la méthode du 'Thème Relationnel Conflictuel Central' (Luborsky et Crits- Christoph, 1998). Il correspond au degré de focalisation du thérapeute sur le conflit central exprimé par le patient.

4. Conflictualisation. La qualité des interventions psychodynamiques ne dépend pas uniquement de ce qui est similaire à ce que dit le patient (critère de précision), mais aussi de la capacité du thérapeute d'amener à la conscience les conflits sous- jacents entre les différents éléments évoqués mais non reconnus par le patient. En d'autres termes, le thérapeute n'a pas seulement pour tâche d'être empathique (dans le sens le plus large) ; il doit également confronter le discours du patient dans le but de favoriser le changement de ses schémes habituels.
Nous renvoyons le lecteur intéressé aux articles originaux pour une description complète de la méthode utilisée. A titre d'exemple, nous allons présenter des résultats concernant uniquement l'un de ces critères.

L'ajustement

L'organisation défensive du patient affecte- elle l'émergence de l'alliance ? Vaillant (1992) par exemple, relève que les défenses par l'agir (l'hypochondrie, l'agressivité passive et le passage à l'acte) incitent le patient à croire que la source de ses difficultés est extérieure à lui. La conscience d'un éventuel conflit interne se trouve ainsi écartée. Un sujet qui fonctionne avec ce type de défenses a tendance à déformer la réalité ; il risque par conséquent de voir des adversaires chez des gens qui au départ pourraient être d'éventuels alliés. Par ailleurs, certaines défenses plus matures, telles que l'intellectualisation, la formation réactionnelle ou la rationalisation, peuvent également interférer avec la capacité à s'engager avec confiance dans une démarche introspective si elles sont utilisées de manière rigide.
Tenir compte des défenses du patient paraît essentiel afin que le thérapeute ne heurte pas le patient, mais au contraire l'aide à développer un sentiment de confiance. Une étude de Foreman & Marmar (1985) montre, chez des patients qui présentent une alliance initialement basse, une nette amélioration de l'alliance lorsque les thérapeutes s'adressent activement aux défenses du patient. Ce constat est contredit par une étude de Crits- Christoph, Cooper & Luborsky (1988) dans laquelle il est souligné qu'interpréter les défenses du patient ne contribue pas à assurer une évolution positive. Plus récemment, certains travaux (Winston et al., 1994) ont mis en évidence l'importance de l'interaction entre les défenses du patient et les interventions du thérapeute : plus le thérapeute s'adresse aux défenses, notamment aux défenses intermédiaires et immatures, meilleure serait l'issue thérapeutique.
Les recherches menées jusqu'à présent ont surtout privilégié l'étude du contenu des interprétations en rapport avec les mécanismes de défense du patient ; par contre, l'influence de l'attitude générale du thérapeute sur l'alliance a été moins explorée. On admet avec Gabbard (1994) que les thérapeutes d'orientation psychodynamique font toutes sortes d'interventions qui peuvent se ranger dans un continuum allant de l'exploration au soutien. On peut dès lors penser que l'équilibre ou le dosage entre interventions d'exploration et interventions de soutien du thérapeute au cours d'une séance doit être ajusté au niveau de fonctionnement défensif global du patient et que cet ajustement joue un rôle dans la construction d'une alliance thérapeutique solide avec le patient.
Notre hypothèse de base est que dans la perspective du développement de l'alliance thérapeutique, le thérapeute devrait se montrer davantage soutenant lorsque le patient présente un niveau de fonctionnement défensif bas, et davantage orienté vers l'interprétation lorsque le patient présente un niveau de fonctionnement défensif plus élevé.

Méthode de calcul de l'ajustement

L'ajustement correspond formellement à la façon dont le thérapeute ajuste le dosage de ses interventions d'exploration et de soutien en fonction du niveau de fonctionnement défensif du patient. Pour le calculer, nous utilisons deux instruments de cotation validés empiriquement : les 'Defense Mechanism Rating Scales' (DMRS), et la 'Psychotherapy Intervention Rating Scale' (PIRS). Le calcul se décompose en trois étape:

1. Evaluation du Niveau de Fonctionnement Défensif Global (NFDG) du patient. Le DMRS (Perry, Guelfi, Hanin, Despland, 2004 pour la version française) permet de repérer dans la transcription d'une séance de thérapie toutes les apparitions de 30 mécanismes de défense différents. Ces défenses sont hiérarchisées en 7 niveaux suivant leur degré de maturité, comme le montre la figure 2. Le NFDG correspond à la moyenne de tous les mécanismes de défenses d'une séance pondérée par leur niveau. L'indice varie ainsi de 1 (niveau des défenses par l'agir, les défenses les plus immatures) à 7 (le niveau des défenses de maturité, les défenses par définition les plus matures).

2. Evaluation du Niveau d'Exploration- Soutien (NES) du thérapeute. Chaque intervention du thérapeute est d'abord codée à l'aide du PIRS (Cooper & Bond, 1996). Le NES correspond à la moyenne de toutes les interventions, pondérée par leur niveau dans l'échelle d'exploration- soutien et qui correspond au continuum décrit par Gabbard (1994). L'indice varie de 1 (le plus soutenant) à 7 (le plus exploratoire).

3. Ajustement. Il se calcule à l'aide de la formule (NFDG/NES). Plus l'indice est petit, plus le thérapeute s'est montré soutenant par rapport au fonctionnement défensif du patient, plus l'indice est élevé, plus le thérapeute s'est montré explorant (interpétatif).

Dans une étude pilote, l'application de cette méthode à des séances d'intervention psychothérapeutique ultra- brève en 4 séances nous a permis de mettre en évidence une relation entre ajustement et alliance (Despland et al., 2001). Plus précisément, alors que ni le niveau de fonctionnement défensif, ni le niveau d'exploration- soutien du thérapeute sont corrélés avec l'alliance thérapeutique, l'ajustement à la première séance permet de prédire le niveau d'alliance atteint à la fin de l'intervention (R2 = .172).

Psychothérapie psychodynamique limitée dans le temps
Dans cet article, nous cherchons à compléter ces données en étudiant l'ajustement au cours d'une forme de psychothérapie psychodynamique brève (Gilliéron, 1997) limitée dans le temps (environ 40 séances, fréquence hebdomadaire). L'échantillon comprend 14 cas (âge moyen = 24.5, s = 5.1), tous de jeunes adultes étudiants à l'université présentant un trouble de l'adaptation avec humeur anxieuse ou dépressive (avec ou sans trouble de la personnalité) selon le DSM- IV. A la fin de chaque séance, le patient a rempli un questionnaire d'alliance thérapeutique ('Helping Alliance questionnaire' de Alexander et Luborsky, 1986). On peut ainsi suivre l'évolution de l'alliance séance par séance tout au long du processus. Pour chaque cas, nous avons sélectionné 4 séances : une séance où l'alliance est particulièrement basse, la séance avec l'alliance la plus basse, la séance avec l'alliance la plus haute, ainsi que deux séances fixées a priori (les séances 5 et 15) sans contrôle de l'alliance. L'ajustement a été calculé pour chacune des 56 séances (14 cas x 4 séances).

Ajustement et alliance thérapeutique

Les analyses de régression montrent qu'avec une régression linéaire R2 = .079 alors qu'avec un modèle de régression quadratique R2 = 232. C'est donc ce dernier modèle qui explique le mieux les données. On remarque en effet que l'alliance basse est liée soit à un ajustement bas (< .80) soit au contraire un ajustement très haut (> 1.20), alors que l'ajustement moyen (= 1.00) correspond à une alliance haute.
Si l'on distingue les séances extrêmes des séances fixées (séances 5 et 15), R2 = .261 pour les séances extrêmes et R2 = .093 pour les séances fixées avec le modèle quadratique.
L'ajustement étant un ratio entre deux critères, le Niveau d'Exploration- Soutien (NES) du thérapeute et le Niveau de Fonctionnement Défensif Global (NFDG) du patient, on peut se demander également quelle est la relation avec l'alliance pour chacun de ces critères pris séparément. Les résultats de l'analyse de régression (modèle quadratique) indiquent que c'est l'ajustement qui est le seul prédicteur de l'alliance thérapeutique.

Discussion

Les résultats confirment notre hypothèse. Les caractéristiques individuelles du patient (son niveau de fonctionnement défensif) ou du thérapeute (le dosage entre exploration et soutien dans ses interventions) ne sont pas directement en relation avec l'alliance thérapeutique. Par contre, la combinaison de ces deux critères, définie en termes d'ajustement des interventions du thérapeute au fonctionnement défensif du patient, permet de prédire le niveau d'alliance thérapeutique au cours d'une séance de psychothérapie psychodynamique.
Les conséquences pour la compréhension du processus thérapeutique sont nombreuses. Tout d'abord l'alliance thérapeutique apparaît non pas comme un phénomène commun et non- spécifique de toutes les formes de psychothérapies, comme cela est le plus généralement décrit dans la littérature, mais au contraire comme un phénomène très spécifique. C'est en effet lorsque le thérapeute applique ses techniques d'intervention en fonction de critères propres à son modèle théorique (la théorie des défenses dans ce cas), qu'il crée une relation particulière avec son patient dont l'une des caractéristiques est l'alliance thérapeutique. La collaboration du patient au traitement dépend de l'application rigoureuse par le thérapeute de techniques issues de son modèle.
Par ailleurs, le dosage entre exploration et soutien des interventions du thérapeute n'est pas en relation avec l'alliance. Si tel avait été le cas, cela aurait indiqué que le thérapeute tend à adapter ses interventions directement en fonction de l'alliance. Lorsque celle- ci est élevée, il confronte et interprète davantage les conflits et les angoisses du patient, et lorsqu'elle est faible, il soutient davantage le patient dans le but de se montrer empathique et rassurant pour tenter de renforcer une alliance défaillante. Dans le modèle psychanalytique, l'alliance n'est pas une variable à traiter er en première intention et comme le suggère Winnicott (1955), les techniques de soutien ne peuvent pas être considérées comme des substituts des techniques d'interprétation : « dans ce cadre... il n'y a rien de plus que l'interprétation, juste, pénétrante et dite au bon moment » (p. 35).
Du côté du patient enfin, on voit que l'alliance n'est pas reliée directement au niveau de fonctionnement défensif. En prenant le même type de raisonnement que pour le thérapeute, si tel avait été le cas, cela aurait signifié que l'alliance était uniquement le fait du patient, confirmant l'idée qu'il y a des bons et des mauvais patients pour la psychothérapie, particulièrement la psychothérapie psychodynamique. Nos résultats ne confirment pas du tout ce point de vue et montrent plutôt que c'est l'interaction entre la technique du thérapeute et les caractéristiques du patient qui importe. L'alliance est une propriété de la relation et pas - ou pas seulement - une caractéristique propre au patient ou au thérapeute.

* Université de Lausanne - yves.deroten@inst.hospvd.ch

Bibliographie

- Alexander L B, Luborsky L. The Penn helping alliance scales. In L. S. Greenberg & W. M. Pinsof (Eds.), The psychotherapeutic process: A research handbook, 1986 ; pp 325- 366. New York: Guilford Press.

- Crits-Christoph P, Cooper A, Luborsky L. The accuracy of therapists' interpretations and the outcome of dynamic psychotherapy. Journal of consulting and clinical psychology, 1988 ; 56 (4) : 490- 495.

- Despland J N, de Roten Y, Despars J, Stigler M & Perry J C. Contribution of patient defense mechanisms and therapist interventions to the development of early therapeutic alliance in a brief psychodynamic investigation. Journal of Psychotherapy Practice and Research, 2001 ; 10(3) : 155- 164.

- Foreman S A, Marmar C R. Therapist actions that address initially poor therapeutic alliances in psychotherapy. American Journal of Psychiatry, 1985 ; 142 : 922- 926.

- Gabbard G O. Psychodynamic psychiatry in clinical practice. The DSM- IV edition. 1994, Washington, DC: American Psychiatric Press.

- Gaston L., Thompson L., Gallagher D., Cournoyer L. G., & Gagnon R. Alliance, technique, and their interactions in predicting outcome of behavioral, cognitive, and brief dynamic therapy. Psychotherapy Research, 1998 ; 8 (2) : 190- 209.

- Gilliéron E. Manuel de psychothérapies brèves. 1997, Paris, Dunod.

- Junod O., de Roten Y., Martinez E., Drapeau M., & Despland J. N. How to address patients' defenses : A pilot study on the accuracy of defense interpretations and alliance. Psychology and Psychotherapy: Theory, Research and Practice, 2005 ; 71 : 1- 17.

- Luborsky L, Crits- Christoph P. Understanding transference. The core conflictual relationship theme method (2nd Ed.). 1998, Washington, DC: American Psychological Association.

- Perry J.C., Guelfi J.- D., Hanin B. & Despland J.- N. (eds). Echelle d'évaluation des mécanismes de défense. Traduction et adaptation française du Defense Mechanism Rating scales de J.C. Perry. 2004, Paris, Masson.

- Safran J D, Muran, J C. The resolution of ruptures in the therapeutic alliance. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 1996 ; 64 : 447- 458.

- Vaillant G. E. Ego mechanisms of defense: A guide for clinicians and researchers. 1992, Washington, DC: American Psychiatric Association.

- Winnicott D. Metapsycholigical and clinical aspects of regression within the psycho- analytical set- up. International Journal of Psychoanalysis, 1955 ; 36 : 16- 42.

- Winston B, Winston A, Samstag, L. W., Muran J C. Patient defense/therapist interventions. Psychotherapy, 1994 ; 31 : 478- 491.

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Les essais randomisés dans la recherche en psychothérapie : l'exemple de la Tavistock Adult Depression Study

Phil Richardson*

Conduire une recherche sur l'efficacité de la psychothérapie psychanalytique selon les critères des essais randomisés pose de nombreux problèmes qu'il ne faut pas minimiser. Cependant, face à une pression toujours plus importante des différents acteurs de la santé, nous avons décidé de relever le défi. Nous souhaitons dans le texte qui suit vous présenter les différents choix méthodologiques que nous avons retenus dans le cadre de l'étude menée actuellement à la Clinique Tavistock sur des patients adultes déprimés.

Quel traitement ?

La première question que se pose tout chercheur souhaitant évaluer une méthode de traitement est de savoir si la psychothérapie qu'il souhaite tester est suffisamment définie pour permettre de savoir clairement ce qui va être évalué dans la recherche. Il est admis par les praticiens de la psychanalyse que chaque clinicien développe son propre style. Cela étant posé, si les différences dans l'application de la méthode psychanalytique par différents cliniciens sont trop importantes, il est impossible de déterminer quelle méthode psychanalytique est évaluée. Dans ces circonstances, notre recherche porterait sur des cliniciens pris individuellement et non sur une méthode de traitement. Aussi, nous avons demandé aux thérapeutes de déterminer si la pratique de chacun avait des caractéristiques suffisamment communes pour que l'on puisse identifier un modèle de soins susceptible d'être évalué dans un protocole formalisé.
Suite à ces discussions, nous avons rédigé deux manuels. Le premier se compose de deux parties : une présentation du modèle psychopathologique de la dépression chronique élaboré au sein de la Tavistock Clinic (par les psychanalystes de l'étude) et une explicitation de quelques principes techniques psychanalytiques, pour certains très généraux et pour d'autres plus spécifiques, du traitement de la dépression chronique.

Le second manuel s'inspire du premier, mais il est utilisé uniquement pour contrôler la pratique des thérapeutes, afin de s'assurer que « les thérapeutes font bien ce qu'ils disent qu'ils font », à savoir une thérapie psychanalytique. Il se présente sous la forme d'une liste d'items, élaborée à partir des remarques de nos collègues thérapeutes, mais aussi des manuels utilisés dans d'autres recherches. Il doit pouvoir être compris et utilisé par des évaluateurs externes (pas nécessairement thérapeutes). Le manuel comprend aussi des descriptions de techniques proscrites, qui ne relèvent pas de la psychanalyse comme par exemple, la prescription de « devoirs à la maison » (habituellement rencontrées dans les thérapies cognitivo- comportementales).
Pour contrôler « l'adhésion » des praticiens au manuel, l'ensemble des consultations sont enregistrées (en audio) afin de pouvoir être écoutées par un observateur extérieur. L'enregistrement des séances fut l'objet de nombreuses discussions entre les cliniciens, mais il a été finalement accepté.
Il est à noter dès à présent que nous concentrons notre contrôle sur le respect par les thérapeutes des consignes pratiques répertoriées dans le manuel. Rien ne nous permet de juger de la qualité des interventions. Par exemple, le fait de noter la présence au cours d'une séance de nombreuses interprétations du transfert, ne juge en rien de leur qualité.

La durée du traitement est approximativement de 18 mois, à raison d'une séance hebdomadaire.

Pour quels patients ?

L'étude porte sur des patients souffrant de dépression chronique ou récurrente ayant déjà été soumis précédemment à au moins deux autres traitements comme par exemple : un traitement médicamenteux et une psychothérapie non psychanalytique. Pour tous les patients inclus dans la recherche, un diagnostic de dépression majeur a été porté selon les critères du DSM. Par ailleurs, pour justifier de la durée importante du traitement (une durée de 18 mois est considérée comme longue par les tutelles anglaises), il a été ajouté comme critère d'inclusion : troubles de la personnalité ou troubles de l'adaptation sociale (incapacité à travailler, ...) ou allocation pour handicapés... Dans les faits, tous les patients inclus actuellement dans la recherche souffrent d'un trouble de la personnalité. Sont exclus de l'étude, les patients psychotiques, les abuseurs de substance et toutes les personnes actuellement en psychothérapie.

Afin de pouvoir effectuer une analyse statistique de nos données, il a été décidé de constituer deux groupes de 60 patients (psychanalyse versus groupe contrôle).
Les patients du groupe contrôle reçoivent ce que l'on pourrait appeler un « traitement habituel » prescrit par leur médecin généraliste : traitement médicamenteux, etc.
La randomisation, obligatoire dans ce type de protocole, risque d'induire un biais important. C'est un aspect méthodologique qui a peu à voir avec la pratique clinique quotidienne. Les patients qui ont donné leur consentement éclairé pour participer à une recherche avec randomisation, peuvent de fait être considérés comme atypiques car il est d'usage pour un patient de choisir le traitement qui lui correspond le plus. Cependant, la randomisation reste un argument majeur pour constituer la preuve d'un lien de causalité entre un traitement et les résultats et tout particulièrement en Angleterre, où les tutelles tiennent absolument à cet aspect méthodologique. Nous avons donc décidé, dans ce contexte, d'effectuer une randomisation par minimisation avec stratification hiérarchique. Cette procédure permet d'attribuer de façon aléatoire chaque patient à un groupe mais aussi de s'assurer que les deux groupes ne se différencient pas sur des variables comme par exemple : la gravité ; la consommation de médicaments ; etc.

Pour quel changement ?

Pour mesurer l'évolution des patients, nous avons utilisé des échelles standardisées, dont les qualités psychométriques ont fait l'objet de nombreuses validations. Différents domaines sont explorés : la symptomatologie dépressive ; la qualité de vie ; la symptomatologie générale ; les relations interpersonnelles ; la dynamique intra- psychique (relations d'objets), les troubles de la personnalité [1].

Il est vain d'espérer un protocole en double aveugle dans le cadre d'une évaluation d'une psychothérapie. Comment imaginer que le patient ne sache pas quel type de traitement il reçoit ou que le thérapeute ne sache pas quel type de traitement il réalise ? Les attentes du patient et du thérapeute concernant le traitement sont des biais difficilement contrôlables. Nous avons pour cette recherche recruté des chercheurs relativement indépendants (dont on peut espérer une certaine neutralité) pour effectuer, en plus des auto évaluations, des hétéro évaluations, afin de constituer une triangulation : point de vue du patient, du thérapeute et de l'évaluateur externe.


Par ailleurs, dans de nombreuses études, les patients sont évalués à la fin de leur prise en charge mais aucune information n'est recueillie, par la suite, concernant leur devenir. Nous avons souhaité évaluer les patients durant deux années après la fin de leur suivi (à 6 mois, 1 an et deux ans).

Pour quel coût ?

Réalisée, aussi, suite à une demande pressante des tutelles, nous avons inclus dans notre recherche un volet médico- économique. Pour ce faire, nous avons sollicité l'aide d'une équipe indépendante d'économistes en santé mentale. A intervalles réguliers le patient décrit l'ensemble de sa consommation de soins : visite chez le médecin de famille ; hospitalisation ; consommation de médicaments ; allocation [2].
La recherche a commencé en 2000. Soixante huit patients ont été recrutés à ce jour. Nous espérons pouvoir communiquer nos premiers résultats en 2007 et prouver ainsi qu'il est aussi possible, malgré les contraintes imposées par les protocoles contrôlés, d'effectuer des recherches empiriques dans le champ des pratiques psychanalytiques.

* Phil Richardson, Professeur de Psychologie Clinique Université d'Essex, Directeur de l'Unité de Recherche sur l'Evaluation des Psychothérapies de la Clinique Tavistock à Londres
Prichardson@tavi- port.nhs.uk

1.Beck. Depression Inventory (BDI, Beck, AT, Rush, AJ, Shaw, BF & Emery, G (1979). Cognitive therapy of depression. New York: Guildford Press.) ; Quality of Life and Enjoyment Questionnaire (Q- LE Q, Endicott, J., Nee, J., Harrigan, W. & Blumenthal, R. (1993). Q- LES Q : Quality of life, enjoyment and satisfaction questionnaire. A new measure. Psychopharmalogical Bulletin, 29(2) : 321- 326) ; Clinical outcomes in routine evaluation (CORE Evans, C., Mellor Clark, J, Margison, F., Barkham, M., Audin, K., Connell, J & McGrath, G (2000). Clinical outcomes in routine evaluation (CORE): A measure of clinical effectiveness and for practice based evidence. Journal of Mental Health, 3 : 247- 255) ; Persons Relating to Others Questionnaire – Version 2 (PROQ2, Birtchnell, J. (1999). Relating in psychotherapy: The application of a new theory. Prager Publishers, CT, USA) ; Hamilton Rating Scale for Depression (HRSD, Hamilton, M (1967). Development of a rating scale for primary depressive illness. British Journal of Psychiatry, 6, 278- 296 ; Shedler- Westen Assessment Procedure (SWAP II, Westen, D. & Shedler, J. Revising and assessing Axis II. Parts I and II. American Journal of Psychiatry, 1999 ; 156(2) : 258- 28).

2. Client Service Receipt Interview (CSRI, Beecham, J. & Knapp, M. (1992). Costing psychiatric interventions. In Measuring Mental Health Needs (Eds. Thornicroft, G., Brewin, C.R. & Wing, J.) American Psychiatric Press Inc.Inventory).

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Un consensus atypique

François Chapireau

Les 24 et 25 novembre 2004, s'est tenue, sous l'égide de la Fédération hospitalière de France (FHF), une conférence de consensus sur le thème : « Liberté d'aller et venir dans les établissements sanitaires et médico- sociaux, et obligation de soins et de sécurité ». L'argument, consulté sur le site de la FHF, explique l'organisation d'un débat public, tel que le permet une conférence de consensus, par « un dilemme délicat : d'une part le respect du principe fondamental de la liberté d'aller et venir des usagers qui ne s'arrête pas aux portes des établissements sanitaires et médico- sociaux, d'autre part les obligations professionnelles, déontologiques et organisationnelles qui peuvent impliquer des exceptions ou des restrictions à ce principe ».

Les recommandations (textes court et long) sont disponibles sur les sites de l'Anaes1 (devenue HAS, Haute autorité de santé) et de la FHF. Les rapports des experts seront réunis dans un ouvrage à paraître dans les prochains mois aux éditions ENSP. Les présentations orales des experts peuvent être visionnées depuis le 14 février sur la chaîne Colloques et Conférences de l'université Louis Pasteur à Strasbourg2.
Le champ couvert par la conférence est important. Les établissements sont divers : soins aigus, soins spécialisés, notamment en psychiatrie, soins et hébergement des personnes âgées, hébergement des personnes handicapées. La question posée est large : la liberté d'aller et venir d'une personne doit être entendue « comme la possibilité pour elle de mener une vie ordinaire dans l'établissement qu'elle a elle même choisi. Cette liberté s'interprète de manière extensive ». Ainsi, par exemple, le jury est conduit à écrire que « la première liberté d'aller et venir dans un établissement est celle d'y être admis et que le manque de places constitue une impossibilité d'accès à cette liberté » De plus, « l'accueil fait par le milieu ordinaire participe de cette liberté d'aller et venir et le témoignage d'un élu rapportant les pétitions d'opposition qu'il recevait récemment encore de la part des riverains d'une future unité d'accueil pour malades psychiques rappelle le chemin qui reste à parcourir ».
Face au dilemme énoncé dès l'argument de la conférence, les recommandations du jury indiquent que « les réponses aux questions posées tendent clairement vers un objectif qui n'est pas celui de la restriction des libertés des patients ou de la sécurité, mais, à l'inverse, à l'établissement de protocoles garantissant fermement la liberté et la sécurité des patients ». Dans cet esprit, les recommandations effectuent un tour d'horizon détaillé des personnes concernées, des situations critiques, et des moyens à mettre en œuvre pour élaborer et appliquer des protocoles appropriés. Le document fera date pour sa tentative de formuler une problématique générale et particulière de la question. Le jury constate que « notre société en effet n'a pas suffisamment pensé les moyens nécessaires au respect de la liberté d'aller et venir et ses corollaires dans les établissements ». L'objectif des recommandations peut s'énoncer ainsi : « il s'agit clairement de donner un cadre à l'exercice de la liberté des personnes ». L'élévation du point de vue est telle que le jury ne renonce pas à proposer des évolutions importantes de la loi, des règlements, et des usages.
Des notions absentes des textes officiels, comme celle du droit au risque, sont ici mises en valeur. Le jury fait part des (vifs) désaccords en son sein à propos de la nécessité éventuelle de légiférer à propos des admissions sans consentement dans les établissements pour personnes handicapées et pour personnes âgées. En effet, le seul cadre législatif existant concerne les admissions en soins psychiatriques sans le consentement des personnes, ce qui n'empêche pas, ailleurs, de nombreuses autres d'être hors d'état de consentir en raison de leur discernement altéré.
En adoptant ce point de vue élevé, le jury a choisi une approche atypique. Selon le document de l'Anaes « Les conférences de consensus : base méthodologique pour leur réalisation en France », cette méthode permet de « synthétiser les informations disponibles » et, sur cette base, d'élaborer des « recommandations médicales et professionnelles ». Dans ses recommandations, le jury va au delà de ce cadre.
Conformément à l'énoncé des cinq questions auxquelles il avait à répondre, et qui portaient sur « les restrictions au principe fondamental d'aller et venir », et sur les « restrictions aux libertés », le jury a centré son attention sur l'interdiction. En adoptant ce point de vue normatif, il a fait un choix parmi les personnes qui n'exercent pas leur liberté d'aller et venir. L'ampleur de ce choix apparaît dans les chiffres. Dans le préambule aux recommandations, le jury écrit : « L'enquête HID réalisée auprès de personnes vivant en établissement avec hébergement a révélé que 120 000 personnes n'avaient pas le droit de sortir ou les moyens d'exercer leur liberté de sortir, et 100 000 ne sortaient en aucun cas. Mais, il n'est pas possible de préciser à partir de cette enquête s'il s'agissait d'une interdiction de sortir ou d'une impossibilité du fait de difficultés motrices ou d'absence de toute aide humaine ».
Cette présentation des chiffres peut prêter à confusion ; de plus elle ne correspond pas aux données disponibles. Les journaux l'Express, daté du 10 janvier 2005, et Le Monde, daté du 12 sont plus exacts ; citons le premier : « en pratique, parmi les 660 000 personnes concernées 240 000 sont confinées à l'intérieur du bâtiment où elles résident, 45 000 sont cloîtrées dans leur chambre, et 11 000 dans leur lit ! Au total, à peine une personne sur 2 peut sortir de l'établissement et moins de 1 sur 5 le fait "seule et assez souvent" ». Qu'est- ce à dire ? C'est que, dans le champ de l'enquête Handicaps Incapacités Dépendance de l'Insee, il y a, fin 1998, 120 000 personnes qui n'ont pas le droit de sortir, parmi lesquelles 100 000 ne sortent en aucun cas de l'enceinte de l'établissement (les autres ne sortant que si elles sont accompagnées). Mais ces personnes font partie du groupe plus large des 296 000 qui ne sortent pas, et dont la presse a donné le détail. Il convient égalent de citer les 164 000 personnes qui, ne sortant jamais sans aide, exercent moins souvent leur droit de sortir que les 129 000 qui sortent seules, assez souvent et sans aide. Le total de 660 000 est atteint en incluant les 71 000 personnes qui sortent seules et sans aide, mais rarement. En résumé, tout en minimisant par erreur la signification des résultats, le jury a donné la priorité aux cas nombreux dans lesquels une interdiction est formulée, et a laissé au second plan ceux, beaucoup plus nombreux, où en l'absence d'interdiction, les personnes exercent peu ou pas leur liberté d'aller et venir.
Le jury s'est heurté à une autre difficulté dans le paragraphe consacré à la préservation de la liberté d'aller et venir. Après l'énoncé selon lequel « la réponse à la déambulation et au risque de sortie inopinée doit être de préférence humaine [...], organisationnelle [...] et architecturale [...] », nous lisons que « le jury recommande que la Haute autorité de santé élabore des recommandations de bonne pratique sur les alternatives à la fermeture des services et des lieux de vie ». Le jury s'est arrêté au niveau général des principes normatifs : ces recommandations de bonne pratique n'étaient elles pas précisément celles qu'il était chargé d'élaborer ?
Cette priorité donnée au point de vue normatif mérite réflexion. La mission assignée à une conférence de consensus est complexe : d'une part, il s'agit de faire le point sur l'état des connaissances, c'est à dire de réunir les informations acquises à propos de ce qui se passe effectivement ; d'autre part, il convient d'en tirer des recommandations, à propos desquelles l'Anaes dit qu'elles « peuvent être utilisées pour établir des références médicales » c'est à dire des normes. L'équilibre n'est pas donné d'emblée entre la description de ce qui est effectif et la prescription de ce qui sera normatif. Cet équilibre est assez facile à atteindre lorsque la question porte sur des gestes ou des actes techniques dont la description précise peut donner lieu à des comparaisons simples. Plus on s'éloigne de ce cas de figure, et plus le risque est d'aborder sur le plan des pratiques professionnelles des questions qui se posent en fait à d'autres niveaux. Ce faisant, on risque de demander aux professionnels « de terrain » de résoudre des problèmes qui ne sont pas de leur ressort. S'il faut, comme le demande le jury (dans le paragraphe cité ci- dessus à propos de la préservation de la liberté), « maintenir le contact à tout prix avec la personne, accompagner son déplacement, trouver un sens à son déplacement », l'amélioration des pratiques professionnelles suffira- t- elle à atteindre cet objectif ? Les professionnels seront- ils critiquables s'ils ne mettent pas toujours en pratique cette réponse énoncée par le jury ? Ne s'agit- il pas aussi de décisions à prendre au niveau politique, décisions impliquant des choix majeurs dans l'allocation des ressources appropriées en personnel compétent ?
Ces risques dépassent le simple cas des conférences de consensus. Ainsi, l'Agence nationale pour l'accréditation et l'évaluation en santé (Anaes) est devenue en janvier 2005 la Haute autorité de santé. L'accréditation et l'évaluation, processus essentiellement pragmatiques, sont désormais effectuées par un organisme indépendant à caractère scientifique. La volonté d'une démarche plus normative qu'auparavant est soulignée par l'appellation de Haute autorité.
Le parti atypique adopté par la conférence sur la liberté d'aller et venir annonce- t- il l'entrée dans une période où les experts, parlant au nom de la science, seront de plus en plus appelés à « dire le droit » dans leur domaine ? Une telle évolution comporterait le risque de sous estimer une large part des difficultés effectives et d'introduire une confusion entre des niveaux de décision distincts.

1. http://www.has- sante.fr/anaes/anaesparametrage.nsf/Page?ReadForm&Section=/anaes/anaesparametrage.nsf/accueilnouveautes?readform&Defaut=y&

2. http://www.canalc2.tv




Dernière mise à jour : 27 Avril 2005 16:18:38

Monique Thurin




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