Pour la Recherche n° 52

La Psychanalyse peut-elle encore être utile à la psychiatrie ?

Editorial - M Thurin
La psychanalyse peut-elle être encore utile à la psychiatrie. G Darcourt, JM Thurin
Discussion sur le thème
Le Manuel diagnostique psychodynamique
Hommage à Hervé Allain
abonnement
Comité de Rédaction et remerciements

Editorial - Monique Thurin

La Psychanalyse peut-elle encore être utile à la Psychiatrie ?

Cette question est aujourd’hui centrale. Elle constitue le titre de l’ouvrage que Guy Darcourt vient de publier. PLR a souhaité contribuer à la réflexion qu’il nous propose. C’est par un entretien avec l’auteur que nous ouvrons ce numéro. Plusieurs points majeurs y sont abordés, tels que la façon dont le DSM, utilisé hors de son champ de compétence, a privilégié l’approche de surface aux dépens de l’investigation clinique, ce que recouvre une approche psychiatrique psychanalytique, la situation actuelle de l’hystérie, de la perversion et des états limites. Une véritable et constructive discussion autour de la clinique.
Cinq autres cliniciens, qui ont également une charge d’enseignement auprès des futurs psychiatres ou psychologues, ont été sollicités pour aborder notre question thématique autour de trois axes privilégiés : la psychopathologie, la thérapeutique et la recherche. Aucun ne nie que la psychanalyse est « encore » utile à la psychiatrie, cependant ils ne parlent pas d’une seule voix pour le postuler.

Philippe Cialdella insiste sur la complexité de la psychiatrie et la nécessité d’apports multiples. La psychanalyse est l’un d’eux. Elle est un outil qui explique, mais dont l’efficacité ne lui semble pas assez visible dans le domaine des psychoses par exemple. Elle représente néanmoins un modèle pertinent pour écouter tous les types de demandes et de problématiques des patients reçus en libéral.
Pierre-Henri Castel, pense que le mouvement « anti » psychanalyse est en train de repartir dans l’autre sens, mais qu’il faudra compter avec une approche psychiatrique sociale, « lieu naturel d’interactions psychodynamiques fortes ».
Julien Daniel Guelfi répond aux trois questions en ciblant là où la psychanalyse est pour lui un outil pour penser, comprendre et qui permet d’aller au-delà des comportements et d’imaginer les mécanismes psychiques qui les sous-tendent.
Bernard Golse se sent irrité par la question même. Comment aborder la thérapeutique de l’enfant par exemple, en faisant l’économie de son histoire et de ses troubles ?
Nicolas Georgieff pose qu’il est essentiel de réfléchir aujourd’hui comment la psychanalyse s’articule aux autres approches dans une psychopathologie plurielle.
C’est un échange passionnant et ouvert aux réflexions d’aujourd’hui dans un climat devenu trop polémique (trop politique ?). Chacun prend sa place dans le débat à partir de son environnement clinique sans faire abstraction des progrès scientifiques.

Un deuxième volet de ce numéro concerne le tout nouveau « Manuel diagnostique psychodynamique » (Psychodynamic Diagnostic Manual- (PDM)). Il est une autre forme de réponse à la question de l’utilité de la psychanalyse pour la psychiatrie. Daniel Widlöcher fait une présentation générale du volume, François Sauvagnat en présente la partie dédiée à la psychopathologie de l’enfant et Jean-Michel Thurin celle qui porte sur la recherche


La psychanalyse peut-elle être encore utile à la psychiatrie ?

Guy Darcourt répond aux questions de Jean-Michel Thurin à propos de son dernier ouvrage

JMT - Guy Darcourt, comment l’idée d’écrire ce livre t’est-elle venue ? Pourquoi l’as-tu écrit, et pour qui ?

GD - Ce projet s’est développé en deux temps. Je voulais montrer que la théorie psychanalytique n’est pas seulement utile pour pratiquer la psychanalyse, mais qu’elle permet aussi de comprendre la clinique psychiatrique. J’avais écrit un certain nombre de textes dans ce sens, mais ils sont dispersés (dans des livres d’enseignement, des cours polycopiés, des chapitres d’ouvrages, des articles de
revues). J’avais envie d’en faire une synthèse pour les présenter en un tout cohérent et pour développer l’option théorique qui les sous-tend tous. Je me suis efforcé d’utiliser une terminologie simple et compréhensible et cela tout en maintenant la rigueur scientifique. C’était un défi qui m’a plu car je pense que, dans notre discipline, ce ne sont pas les discours les plus obscurs qui sont les plus profonds et que les notions les plus subtiles peuvent être présentées clairement si elles ont été bien élaborées.
Ce livre est donc destiné d’abord aux psychiatres et aux psychologues, qu’ils soient en formation ou qu’ils s’interrogent sur l’orientation actuelle de la psychopathologie ou même qu’ils aient abandonné toute référence à la psychanalyse. Il est, en même temps, accessible à un large public : malades ou familles à la recherche d’informations, ou intellectuels curieux de psychologie et intéressés par l’évolution des idées.

JMT - Il y a dans ton livre une solide critique du DSM. Tu y décris, en t’appuyant sur plusieurs exemples, comment, lorsqu’il est utilisé en dehors de son champ de compétence, il peut devenir un obstacle à la démarche d’investigation clinique, qui permet de comprendre le fonctionnement psychique et de disposer de concepts pour accueillir les symptômes. Peux-tu préciser ce point ?
GD - On peut dire des DSM-III, DSM-IV et de la CIM-10 ce qu’Esope disait de la langue. On peut en faire le meilleur et le pire des usages. En voici quatre exemples.

- Ces classifications sont destinées à sélectionner des cas non ambigus et pas à dénombrer toutes les formes de pathologie. Elles définissent, en effet, des entités cliniques bien caractérisées et d’une certaine gravité (entraînant « une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines ») et elles renvoient les autres à des catégories de « troubles non spécifiés » qui rassemblent des tableaux cliniques très divers. Le bon côté de la chose est que lorsqu’un auteur rapporte un cas clinique, les lecteurs de toutes cultures comprennent de quoi il s’agit. Mais il y a un mauvais côté dû à un mauvais usage. C’est l’utilisation de ces classifications pour des dénombrements (par exemple pour faire l’étude statistique d’une file active de malades). Soit on respecte les critères et on a une grande quantité de « troubles non spécifiés » ce qui est peu informatif, soit on prend des libertés pour faire entrer les cas peu typiques ou peu graves dans des catégories dont ils ne remplissent pas tous les critères et on manque de rigueur.

- Cette sélection est surtout destinée à la recherche (thérapeutique, biologique ou clinique) et elle peut apporter de la clarté. Mais cela suppose aussi que les cas sélectionnés - parce que caractéristiques et suffisamment sévères - soient représentatifs des cas moins typiques ou plus légers. C’est comme si on expérimentait les traitements anticancéreux uniquement dans les formes métastasées en estimant que ce qui convient pour elles conviendra pour les formes localisées, ce qui serait une erreur. Prenons l’exemple des TOC. Les critères diagnostiques exigés sont tels que peut-être la moitié des patients qui nous consultent pour des troubles obsessionnels n’ont pas leur place dans cette catégorie. Ils ont pourtant besoin de soins, mais est-ce les mêmes que ceux dont relèvent les vrais TOC ?

- Le fait que les critères diagnostiques soient les plus objectifs possible a permis d’établir un vocabulaire psychiatrique international admis et compris par tous, ce qui est bénéfique. Mais c’est réducteur et un usage sain de ces classifications justifie de compléter cette première évaluation par une autre plus profonde. Si un sujet reste cloîtré chez lui parce qu’il a peur de sortir, on diagnostiquera à juste titre une agoraphobie. Mais si on n’approfondit pas l’étude de ses peurs, on ne saura pas s’il redoute un malaise ou une agression, ou s’il a peur de perdre le contrôle de ses actes. On ne saura donc pas s’il est phobique ou obsessionnel. On voit dans la littérature des études de patients « laveurs » ou « vérificateurs » comme si ces groupes étaient homogènes. Si le DSM s’interdit, pour des raisons de consensus, d’explorer le préconscient, pourquoi les praticiens ou les chercheurs s’imposeraient-ils une telle limitation ? Le DSM n’est pas toute la psychiatrie, il en est le « minimum internationalement accepté ». Il est bon de le prendre comme base de départ, mais mauvais de s’y cantonner.

- Un des pires usages est sans doute de considérer que ce qui n’est pas dans le DSM n’existe pas. Prenons le problème des névroses. Les auteurs ont écrit qu’ils n’avaient pas retenu cette entité parce que « actuellement, il n’y a pas de consensus dans le champ de la psychiatrie sur la manière de définir la névrose ». Ils n’ont pas dit qu’elle n’existait pas. C’est un contre sens de le penser et encore plus de considérer que ce manuel le prouve.

JMT - Dans le contexte de la psychiatrie clinique et de l’utilité que peut avoir pour le clinicien la psychanalyse, quels sont selon toi les principaux concepts psychanalytiques qui restent essentiels et, de façon associée,  comment définirais tu une approche psychiatrique psychanalytique ?

GD - En reprenant les termes mêmes de ta question, il faut envisager « l’approche » des troubles et « les concepts » qui fournissent des modèles pour les comprendre et donc les traiter.
Ce qui me paraît la pierre angulaire d’une approche d’inspiration psychanalytique par un praticien non analyste est la distinction entre l’exploration de l’inconscient et celle du préconscient. Celle de l’inconscient est impossible en pratique clinique ou risque d’être une interprétation sauvage ou de rester générale et floue (comme, par exemple, la référence à la castration qui peut être utilisée quelque soit la pathologie, ce qui n’apporte donc aucune notion discriminante). Par contre l’exploration du préconscient est possible. Elle a été oubliée par de nombreux cliniciens car, rejetant l’interprétation de l’inconscient (à juste titre avons-nous vu) ils ont rejeté en même temps celle du préconscient. Paradoxalement, cela a été aggravé par les psychanalystes eux-mêmes car, étant intéressés en premier lieu par l’inconscient, ils ont négligé les textes de Freud concernant le préconscient et celui-ci est tombé dans l’oubli. Les seuls qui s’y intéressent sont les cognitivistes mais … ils ne citent jamais Freud !
Parmi les concepts freudiens utiles en clinique, la première place revient aux mécanismes de défense et surtout à ceux qui sont justement du domaine du préconscient. Il faut en effet distinguer le refoulement et les autres mécanismes de défense. Le refoulement est repérable dans la mesure où le clinicien perçoit bien qu’il doit y avoir chez son patient des choses profondes et cachées, mais les conditions de sa pratique ne lui permettent pas de les interpréter. Par contre, les mécanismes secondaires, qui interviennent pour protéger le sujet des rejetons de l’inconscient qui arrivent à affleurer à sa conscience, sont identifiables et interprétables. Ce sont le déplacement, l’inversion, la négation, la formation réactionnelle, l’isolation, le clivage, etc. Leur identification permet de comprendre l’économie psychique et ouvre des possibilités de traitement. Prenons l’exemple du modèle de la névrose obsessionnelle : selon Freud, il y a, à la suite d’une fixation au stade sadique-anal, un refoulement du sadisme qui n’est pas total et laisse revenir à la conscience certains rejetons contre lesquels vont intervenir les mécanismes d’inversion et de déplacement. Dans ce modèle, il y a à la fois une explication causale (la fixation) et la description d’un mécanisme (la lutte contre l’affleurement du sadisme à la conscience). Même si on conteste l’explication causale, on peut utiliser le modèle du fonctionnement car il aide à comprendre le fonctionnement psychique : si le sujet lutte contre une obsession impulsion, c’est bien parce qu’il redoute d’avoir envie de faire quelque chose de mauvais s’il relâche sa vigilance. Quand les cognitivistes disent que le sujet lutte par des compulsions contre des impulsions archaïques, ils analysent le même processus psychique et utilisent un modèle analogue, en remplaçant pulsion par impulsion et défense par compulsion. Or Freud l’avait déjà décrit en 1895 mais personne ne le dit.
Chaque syndrome psychopathologique est caractérisé par la présence ou l’absence de tel ou tel type de mécanisme de défense. Dans la phobie, on repère le déplacement, dans l’hystérie on perçoit la demande affective culpabilisée cachée derrière l’effort de séduction. Dans la perversion, la caractéristique est la carence des mécanismes de défense névrotiques, alors que, dans les états-limites, il existe un contraste entre la prédominance d’un mécanisme de clivage et l’absence de la compensation que pourraient apporter les mécanismes de défense névrotiques. Une telle compréhension nécessite une certaine subtilité, mais elle reste pleinement scientifique et est à la portée de tout praticien, même s’il n’a pas une formation analytique.

JMT - Ta présentation de l’hystérie fait bien apparaître le risque d’incompréhension majeure de la personne et de naturalisation de ses fonctionnements que peut représenter une lecture en surface de ses symptômes. Par exemple, considérer comme de l’égocentrisme ce qui est une demande maladroite d’affection et d’amour. Peux-tu préciser cet aspect ?

GD - Si les DSM et la CIM-10 présentent les hystériques comme dominateurs, exigeants, égocentriques, manipulateurs et ont choisi le terme péjoratif d’histrion pour les désigner, ce n’est pas sans raisons, mais ces raisons sont mauvaises. La première est qu’on n’utilise pas le modèle donné par Freud de la « névrose comme négatif de la perversion ». Alors qu’on l’applique facilement pour la névrose obsessionnelle et qu’on la considère comme le négatif du sado-masochisme, on n’a pas identifié une perversion qui serait le positif de l’hystérie. On parle d’hystérie perverse mais ce concept est flou et on ne le distingue pas de celui de l’hystérie névrotique. C’est ce que j’ai essayé de faire dans ce livre.
La deuxième raison est que, au premier abord, ces sujets évoquent plus la perversion que la névrose. Mais le spécialiste de la psychopathologie peut-il se contenter de ce premier abord ? Pourtant les classifications internationales ne l’incitent pas à aller plus loin. Elles décrivent des attitudes, mais ne cherchent pas à savoir à quoi elles sont dues. Elles signalent les comportements de séduction, mais ne posent pas la question de l’objectif de ce comportement. Si on approfondit l’observation, on voit bien qu’il s’agit d’une demande d’amour de type infantile. L’hystérique qui, voulant séduire par son charme et son exubérance, bascule souvent dans une position de plainte lorsqu’il constate qu’il échoue. Se disant incompris et mal aimé, il essaye toujours de séduire, mais cette fois en inspirant de la compassion. Ce qui est à la base de ces deux comportements opposés est la même demande affective intense. C’est bien le moins qu’un clinicien le perçoive ! Ces tentatives de séduction sont qualifiées d’inadaptées (ou d’inappropriées). Il est vrai que l’hystérique refuse que cela aboutisse à une relation sexuelle. Là aussi il convient de rechercher pourquoi. La cause n’en est pas le plaisir qu’a l’allumeuse perverse de se moquer du partenaire qu’elle a séduit, mais la fuite devant la perspective d’une relation génitale pour laquelle l’hystérique n’a pas la maturité. La grande suggestibilité témoigne que l’hystérique cherche à être comme l’autre souhaite qu’il soit. Pour attirer son intérêt ou son amour, il s’efforce de se conformer à ses désirs. C’est bien une manifestation de demande infantile de sollicitude. Le sujet est mal à l’aise dans les situations où il n’est pas au centre de l’attention d’autrui, dit le DSM qui s’arrête à cette constatation sans poser la question du pourquoi de cette attitude. Or elle est essentielle : chez l’hystérique, cette attitude n’est pas due à un besoin de dominer, mais à un manque de confiance en soi. De même, la CIM-10 signale une tendance à être facilement blessé, sans envisager l’origine de la blessure : or elle n’est pas due à une susceptibilité orgueilleuse, mais ici encore à un manque de confiance en soi. L’hystérie est un masque brillant qui cache une fragilité affective.

JMT - Ta différentiation des pseudo-psychoses hystériques des autres psychoses et leur rattachement à une forme de contenu onirique lié à un traumatisme est essentielle du point de vue du diagnostic différentiel et de l’approche clinique. Peut-on parler de conversions psychiques et quel en serait l’abord ?

GD - On peut qualifier les pseudo-psychoses hystériques soit de conversions psychiques et c’est le plus souvent le cas, soit d’une expansion de l’activité fantasmatique de l’hystérique. On peut en effet envisager une gradation avec au minimum une riche vie imaginaire, à un degré de plus la mythomanie, puis les états-seconds, les états de possession, le fameux syndrome de personnalité multiple et enfin le « délire ». Il y a dans tous ces états un déséquilibre entre l’efflorescence de fantasmes et le contrôle rationnel, mais le degré de déséquilibre varie. Peu importe d’ailleurs comment on modélise ce fonctionnement, l’important est d’abord de le connaître et de l’identifier quand on le rencontre.
Or les classifications internationales l’ignorent. Les seules possibilités de classement sont de les appeler « trouble psychotique bref (avec ou sans facteurs de stress marqués) » si elles durent moins d’un mois et « trouble psychotique non spécifié » si elles durent plus. Elles perdent ainsi toute individualité.
Les identifier a un double avantage : pratique et théorique. Pratique, car conduisant à une approche psychothérapique et théorique permettant de clarifier les débats sur l’efficacité des psychothérapies dans les psychoses. L’approche psychothérapique ne sera pas l’interprétation directe de ce délire qui a les caractères d’un rêve, mais la facilitation d’une perlaboration sur ce contenu. L’intérêt théorique est de comprendre les économies psychiques des divers types de délire : délire systématisé, schizophrénie, pseudo-psychose hystérique. Ces manifestations délirantes ne relèvent pas toutes des mêmes mécanismes et on ne peut généraliser à toutes ce qu’on constate avec l’une ou l’autre forme. Or on voit des publications qui portent sur la psychothérapie des « psychoses » sans préciser le type de psychose concerné et qui risquent donc d’utiliser un modèle spécifique à un type de délire pour une forme à laquelle il n’est pas adapté.

JMT - Comment expliquerais-tu la difficulté, du moins apparente, des psychiatres,  à s’intéresser à la perversion et à s’occuper des pervers ? Peut-on imaginer, si je me réfère à tes critères de définition [p 151], qu’il est particulièrement difficile ou impossible pour un psychiatre de se trouver dans la situation d’être dominé par un autre, ou a-t-il plus ou moins conscience d’être placé dans une situation structurellement indépassable ? Penses-tu, d’ailleurs, qu’elle le soit vraiment ?

GD - Je pense que la première cause de la méconnaissance de la perversion est la pression du « politiquement correct ». Les psychiatres - et peut-être les anglo-saxons plus que les latins - sont obnubilés par le sens péjoratif et moral qu’a le terme perversion dans le langage courant, et ils n’osent plus l’utiliser dans son sens psychopathologique. Ils auraient l’impression de porter un jugement moral sur leurs patients, voire de les injurier, en les qualifiant de pervers ! Bien d’autres termes de notre langage psychiatrique comme « dément, hystérique, masochiste, maniaque », ont dans la langue vulgaire un sens péjoratif et nous ne nous interdisons pas de les utiliser. Quelle culpabilité nous interdit de le faire pour la perversion ?
Il y a aussi une raison dont on a peu conscience : l’image paradigmatique du couple malade-soignant est celle du bon Samaritain secourant l’affligé et cela convient bien pour les maladies qui entraînent une souffrance. Or le malheur du pervers n’est pas de souffrir anormalement, mais de jouir anormalement et dans ce cas le symbole du bon Samaritain paraît inadapté. Pourtant il s’agit aussi d’une infirmité ; elle est certes différente, mais elle est une infirmité tout de même. Le DSM comme la CIM-10 ne voient de la pathologie que si un trouble est « à l’origine d’une souffrance cliniquement significative ou d’une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants ». La notion qu’un plaisir soit anormal est ignorée. Pourtant l’euphorie du maniaque n’est pas considérée comme un signe de santé, mais la psychiatrie a perdu l’habitude de porter le même jugement sur les conduites perverses.
Les facteurs que tu évoques, les difficultés contre-transférentielles et la conviction d’une inaccessibilité thérapeutique, doivent jouer un rôle mais ne sauraient suffire. Dans ce cas, en effet, les psychiatres identifieraient le trouble tout en le considérant impossible à traiter, comme on le faisait autrefois pour la maladie d’Alzheimer ou pour le délire paranoïaque. Il y a aussi peut-être une autre raison : ces sujets consultent peu et les psychiatres les rencontrent surtout à l’occasion d’expertises ou à la suite d’hospitalisations sans consentement, ce qui renforce l’impression de délinquance et d’incurabilité.
Cette méconnaissance est une sérieuse défaillance car de tels troubles ne sont pas rares. Certes les grandes perversions monstrueuses ne sont pas fréquentes, mais les tendances perverses le sont. Par ailleurs, il est paradoxal que les psychiatres soient les derniers à les identifier, alors que les écrivains et les cinéastes les connaissent bien et nous en présentent des analyses pertinentes.
La réconciliation des praticiens avec ce concept ne peut qu’être bénéfique pour la pratique psychiatrique. D’abord, en le définissant de façon précise, on peut distinguer avec cohérence des fonctionnements psychiques dont les manifestations sont proches, mais dont les économies sont différentes. Si un sujet se nuit à lui-même, le processus psychique sous-jacent n’est pas le même selon qu’il le fait par autopunition (processus névrotique) ou pour en jouir (processus pervers). Si une femme a une conduite de séduction sexuelle suivie de rupture quand elle a provoqué le désir, son économie psychique est différente si elle fuit parce que la réalisation génitale la panique (processus névrotique) ou si elle cherche à se moquer sadiquement de celui qu’elle a séduit.
Quant aux possibilités thérapeutiques, elles ne sont pas à envisager dans la seule perspective du fonctionnement pervers proprement dit. Aucun patient n’est totalement et exclusivement pervers. Ce fonctionnement est une dimension de son économie psychique et s’inscrit dans un contexte. Il peut être une réaction de défense, une décompensation, une tendance que le sujet cherche à contrôler, etc. Il ne faut pas oublier que nos modèles psychopathologiques sont toujours réducteurs et que les personnalités des patients sont toujours complexes et relèvent de l’intrication de plusieurs modèles. Même si les processus purement pervers résistent au changement, les divers processus auxquels ils sont associés résistent moins et leur évolution peut modifier l’équilibre de la personnalité.

JMT - Tu présentes, à propos des états limites et du narcissisme une discussion approfondie des classifications et des approches conceptuelles. Tu reprends les principaux modèles et décris comment deux voies de traumatisme précoce, par carence du monde extérieur ou par incapacité d’un moi immature à faire face à un assaut pulsionnel 
important, peuvent empêcher le moi de conquérir sa cohérence, conduisant la personne à réagir de façon instable et disproportionnée aux variations de l’environnement personnel. Tu termines ce chapitre en soulignant que la psychanalyse complète l’approche descriptive en lui donnant un sens, ce qui ne peut qu’aider le praticien à porter le diagnostic et à traiter son patient. Ne penses-tu pas qu’il y aurait là matière à un véritable chantier pour les cliniciens : préciser comment ils font pour avancer avec ces patients si difficiles ?
GD - Dans les modèles psychanalytiques des maladies psychiques il y a toujours deux volets : une explication « causale » et un modèle structural. Ces deux volets ne méritent pas la même discussion. On peut très bien contester l’explication causale tout en admettent le modèle structural sans que cela retentisse sur la pratique clinique. Les deux théories du traumatisme que tu rappelles, celle de la carence du monde extérieur et celle d’un assaut pulsionnel débordant les capacités de maîtrise du sujet ont chacune leurs défenseurs. La discussion reste ouverte sur ce point.
Par contre, il y a accord sur le modèle structural et c’est cela qui importe pour éclairer la clinique. Je me dois de préciser que  j’ai pris plus de liberté pour ce modèle structural que pour les modèles névrotiques et pervers. C’est un domaine que Freud n’a pas exploré, à propos duquel les psychanalystes ont encore des avis divers et qui est en pleine évolution. J’ai donné une vue assez générale des débats, mais j’ai surtout avancé mes choix personnels. Pour le narcissisme, la notion d’une estime de soi qui est fragile et oscille entre deux extrêmes : l’inflation et l’effondrement me paraît fournir le modèle le plus pertinent pour comprendre cette pathologie. Pour les états-limites, c’est la notion de clivage (clivage entre les représentations et les affects et entre les divers moments de la vie psychique) qui me paraît donner la clé de la compréhension. Le terme chantier me convient. Je suis prêt à argumenter ma position mais je ne prétends pas détenir la vérité. Ce chantier doit être autant théorique que pratique puisque les méthodes thérapeutiques dépendent des modèles sur lesquels on se repère.

JMT - Tu dis que les non analystes ont rejeté la psychanalyse, mais les psychanalystes n’ont-ils pas une responsabilité dans ce divorce ? Et d’autre part, comment expliquer que des modèles aussi « simples » que certains de ceux qui sont présentés comme une clé universelle par le cognitivo-comportementalisme ne soient pas davantage discutés ?

GD - Je ne suis pas aussi sévère que tu sembles l’être (du moins à travers la formulation de ta question) envers le cognitivo-comportementaliste. Ses concepts ne sont pas toujours simplistes et il aide un grand nombre de patients. Je lui reproche seulement deux choses : de ne pas reconnaître qu’il utilise un bon nombre de concepts déjà énoncés par Freud et de rejeter la psychanalyse alors qu’il est une technique qui a sa place à côté d’elle, mais qu’il ne la remplace pas et qui a des indications différentes.
Quant à la responsabilité des psychanalystes dans le divorce entre la psychiatrie et la psychanalyse, je la reconnais mais je n’ai par eu le cœur d’y insister ! Ce tort est venu, à mon sens de leur désintérêt pour la clinique psychiatrique … à la différence de Freud d’ailleurs. Les travaux des psychanalystes portent en général sur l’inconscient et la technique de la cure. C’est à juste titre, mais il est dommage qu’ils ne portent pas aussi sur le préconscient et sur les modèles que la psychanalyse peut découvrir pour enrichir la psychopathologie, et il est encore plus dommage de voir certains collègues rejeter avec force de telles démarches. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau. Je cite Anna Freud qui déjà en 1946 s’insurgeait contre les psychanalystes qui voulaient réserver le nom de psychanalyse à « la vie psychique inconsciente » et qui accusaient d’ « apostasie » ceux qui portaient intérêt au préconscient. Pourtant la clinique psychiatrique a encore besoin de la théorie freudienne du préconscient. Le narcissisme et les états-limites en sont un des plus récents exemples, les travaux psychanalytiques ont apporté des éléments de compréhension que l’approche strictement psychiatrique n’aurait pu découvrir. J’espère ne pas être traité à mon tour d’apostat, mais si cela se produit je l’assumerai volontiers car la psychiatrie ne peut que profiter de cette apostasie !

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Discussion sur le thème

Sur ce sujet, nous avons souhaité recueillir l’avis de personnes engagées dans le champ psychiatrique, ayant des profils assez différents, et qui nous ont semblé avoir témoigné de leur intérêt pour ce sujet.

Nous leur avons demandé d’essayer de répondre, selon leur propre point de vue et en l’argumentant comme ils le souhaitaient, à la question générale « La psychanalyse peut-elle encore être utile à la psychiatrie ? » en envisageant trois axes : celui de la psychopathologie (comme référence intervenant dans la compréhension et l’approche générale), celui de la thérapeutique (psychothérapie et/ou approche médicamenteuse) et celui de la recherche, avec la question de la relation avec les neurosciences

Philippe CIALDELLA
Le libellé de votre question laisse entendre que la cause serait presque perdue, mais la réalité de la situation est, bien entendu, complexe, et ma réponse sera parcellaire. La psychiatrie englobe de multiples apports, dont la psychanalyse, laquelle ne peut prétendre à l’exclusivité.
N’étant pas psychanalyste, et ayant une pratique plutôt biologique et de thérapie de soutien, auprès de patients où dominent les déprimés et surtout les bipolaires, j’utilise peu les notions psychanalytiques, qui me semblent mal adaptées à ces patients. Par exemple, je doute du rôle de la « défense maniaque », car la possibilité du virage maniaque dépend de multiples facteurs, certains étant biologiques (par exemple une prescription d’antidépresseur) et le rôle possible d’une intentionnalité inconsciente, qu’implique le concept de défense, me paraît insuffisant et parfois plaqué.
Plus généralement, j’ai toujours été gêné du décalage entre le pouvoir explicatif de la psychanalyse et le peu d’efficacité de ces explications, notamment sur les psychoses.
Toutefois, ayant été imprégné du discours analytique durant ma formation, il ne doit pas être totalement refoulé, et quand je crois faire de la thérapie de soutien, je m’appuie, même sans y faire appel de façon explicite, sur tout un ensemble de notions issues de la psychanalyse, notamment le transfert et le contre-transfert. Les modèles psychanalytiques sont ceux qui rendent le mieux compte de l’élément historique personnel et de la singularité de l’expérience humaine et, de fait, ils permettent d’écouter tous les types de demande et de problématique des patients reçus en libéral. La description des névroses classiques par Freud me paraît toujours utile, même si, dans mon approche de troubles où j’attribue un rôle central à l’apprentissage (par exemple les phobies), je fais appel à des éléments provenant des théories cognitives.
Quant à la pratique de mes collègues proches, une enquête récente (2006) de l’Union Régionale des Médecins Libéraux Rhône-Alpes montrait que la proportion de temps consacrée aux psychothérapies d’inspiration analytique (PIP) était de 32% chez les psychiatres libéraux, tandis que le temps consacré aux thérapies cognitivo-comportementales n’était que de 5%. Il y a donc encore une forte prééminence du modèle psychanalytique, qui s’estompera à l’avenir, du fait de la démographie et de la moindre attirance des jeunes psychiatres pour la psychanalyse, mais le changement mettra quelques années à se matérialiser.
Cet aspect chronophage des PIP explique en partie les longs délais de rendez-vous chez le psychiatre libéral, un problème d’actualité. De fait, si l’on s’en tenait strictement au critère temps, on dirait que la psychanalyse nuit à l’exercice de la psychiatrie, en empêchant une frange importante des patients d’accéder au soin psychiatrique, laquelle s’en retourne finalement vers son médecin généraliste ou va consulter des thérapeutes non médecins, hors du circuit psychiatrique. Mais le critère temps n’est pas le seul, et l’évaluation des résultats est ici fondamentale, ce qui est une toute autre question.
Philippe Cialdella est psychiatre libéral et dans le secteur médico-social à Lyon. 180 route de Vienne, 69008 LYON -
p.cialdella@free.fr

Pierre-Henri CASTEL
Je ferais volontiers la conjecture suivante : l’effacement progressif de la psychanalyse dans le champ psychiatrique français au cours de ces vingt dernières années a, à peu près, atteint son ampleur maximum. Quelques signes suggèrent que le balancier repart doucement dans l’autre sens, du même pas d’ailleurs qu’on sent dans le public un appel à des prises en charge individualisées, en tout cas pas uniquement « objectivistes », que divers scandales sanitaires font de nouveau sentir l’exigence d’une psychiatrie sociale (lieu naturel d’interactions psychodynamiques fortes) et que les alternatives thérapeutiques opposées à la psychanalyse, comportementales, pharmacologiques, marquent à leur tour le pas - qui est tout bêtement celui de ce qui « reste à soigner et sur quoi personne n’a prise ».
En même temps, je pense qu’on peut avec quelques raisons parier que le balancier n’ira pas rejoindre la position qu’il occupait dans les années 1980. La coupure restera, je suppose, définitive entre le prestige intellectuel de la psychanalyse (intéressant les psychologues) et le genre de scientificité neurobiologique qui désormais fera norme (et réglera la carrière des psychiatres). De même, peu de gens iront soutenir qu’il existe une sorte de contre-psychiatrie psychanalytique, avec sa clinique, sa nosographie, ses voies thérapeutiques radicalement autonomes, son « sujet » enfin, ou que des distinctions comme névrose/psychose pourraient retrouver le crédit que leur conférait l’osmose entre psychiatrie et psychanalyse à l’époque de Ey.
Mais ce dégraissage salutaire n’émousse sûrement pas la qualité spéciale que la psychanalyse a apportée et continue d’apporter à la réflexion sur les maladies mentales. Pour nombre de jeunes internes, la psychanalyse offre toujours le moyen de nommer et de penser ce que nul ne veut savoir en médecine mentale. Que les actes imprévisibles et catastrophiques, la perversion excitée chez les soignants par des patients sans défense, les conséquences paradoxales des bonnes intentions, que tout cela n’est pas pure contingence hors-sujet, mais un aspect essentiel de nos relations avec la folie. A cela s’ajoute la découverte que la condition impérative pour créer les liens fidèles et endurant que savent si bien reconnaître les patients, passe justement par la reconnaissance qu’en un sens dérangeant, ils disent avec leur maladie quelque chose de vrai sur eux-mêmes et sur la condition humaine, et que nous avons en commun les questions les plus graves. La psychanalyse reste un moyen de faire en sorte que ces considérations ne soient pas la philosophie humaniste que n’importe qui peut développer à côté de ses activités quotidiennes, mais un facteur de modification personnelle au contact clinique des patients. Comme en droit, il lui faut conquérir un statut d’opinion dissidente (même minoritaire).
Le point décisif est alors celui-là : la psychanalyse pourra-t-elle offrir un fil conducteur qui montre l’unité épistémologique de toutes les minuscules failles de la culture objectiviste en médecine mentale ? Pourra-t-elle en tant que discipline spécifique recueillir ce qui est rejeté par principe en science comme « subjectif », non-quantifiable, et qui relève en pratique du pari sur la signification et la vérité de symptômes psychiques traités comme de simples dysfonctionnements ? Car seule cette qualité épistémologique peut la préserver de dégénérer en supplément d’âme à l’âge des neurones-rois.
Pierre-Henri Castel est psychanalyste, chargé de recherches au CNRS et au CESAMES (CNRS-INSERM-Université Paris 5)
pierrehenri.castel@free.fr

Julien Daniel GUELFI
Un de mes maîtres d’internat me prédisait jadis la fin imminente de la psychanalyse et de la philosophie. Ces deux disciplines représentaient pour lui des exemples flagrants de fausses sciences pérennisant l’obscurantisme. Il manifestait une foi absolue dans l’avancement inéluctable des sciences qui aurait bientôt raison de tous les charlatanismes …
Quarante années après ces prévisions, et malgré la diminution de l’influence de la psychanalyse chez les jeunes psychiatres d’aujourd’hui, je pense que ce maître à la personnalité par ailleurs attachante et au talent littéraire incontestable, s’est lourdement trompé. Les sciences progressent plus par l’intégration des modèles théoriques passés que par leur rejet systématique.
Oui, ami Guy Darcourt, je pense comme toi que la psychanalyse peut encore être utile à notre discipline comme - de façon beaucoup plus générale - à la pensée de l’homme.
Comme toi je pense que l’écoute « de la vie fantasmatique profonde fait entrevoir des structures et des processus cachés à l’observation clinique..., permet d’aller au-delà des comportements et d’imaginer les mécanismes psychiques qui les sous-tendent ».
Sur le plan psychopathologique, la psychiatrie ne peut que s’enrichir d’une exploration méthodique du préconscient, de la notion de plaisir pathologique, de l’approche psychodynamique des déviations sexuelles, de celle de perte d’objet dans le deuil comme dans l’ensemble de la problématique dépressive, ou encore de l’organisation Borderline de la personnalité.
Cet avatar du développement psychologique garde aujourd’hui encore une grande part de son mystère ; il serait cependant difficile de nier le caractère  heuristique des travaux théoriques de Otto Kernberg, Hans Kohut, Jean Bergeret, Bela Grunberger, Daniel Widlöcher ou John Gunderson en la matière.
Sur le plan thérapeutique, la psychanalyse est en perte de vitesse dans le hit-parade des psychothérapies. Mais, dans ce domaine aussi, perte de vitesse ne signifie pas disparition. Les progrès réalisés en méthodologie de l’évaluation du résultat en psychothérapie joints à la participation active de certains psychanalystes acceptant le principe même d’une évaluation comme l’américain Glenn Gabbard permettront certainement de progresser dans les prochaines années à propos du choix des indications en matière de psychothérapie.
Enfin les rapports de la psychanalyse avec les neurosciences représentent une voie de réflexion en plein essor. En témoigne la publication de plusieurs livres sur ce sujet. Un des plus stimulants est sans doute celui de Bruno Falissard sur « Psychanalyse et cerveau ». Un grand merci à Guy Darcourt pour cet apport d’un psychanalyste à notre discipline.
Julien-Daniel Guelfi est professeur de psychiatrie, Clinique des Maladies mentales et de l’encéphale, Centre Hospitalier Saint-Anne. 75014 PARIS -JD.GUELFI@ch-sainte-anne.fr

Bernard GOLSE
Le fait même que la question puisse se poser à de quoi irriter, tant il est clair que la psychanalyse n’a pas fini de rendre des services à la pédopsychiatrie.
La psychanalyse a certainement eu, dans le passé, une influence plus grande qu’aujourd’hui sur la pédopsychiatrie, mais la cause est loin d’être perdue.
Il est possible que la deuxième partie du  vingtième siècle qui aura été le temps de la découverte du cerveau et du code génétique ait quelque peu, mais seulement transitoirement, éclipsé la première partie de ce siècle qui avait vu la naissance de la psychanalyse.

- La psychanalyse et le modèle psychopathologique
Le dialogue entre pédopsychiatres et psychanalystes est certes possible, mais il s’inscrit tout de même sur l’arrière-plan d’une confrontation entre des modèles épistémologiques distincts, peut-être pas totalement incompatibles, mais qui s’opposent tout de même point par point.
Le modèle pédopsychiatrique apparaît, aujourd’hui, comme à la recherche d’une position intermédiaire entre le modèle pédiatrique et le modèle psychanalytique.
• Le modèle pédiatrique est un modèle principalement linéaire, à visée d’efficacité rapide, et de nature déductive, en référence à une temporalité linéaire.
• Le modèle psychopathologique psychanalytique est un modèle non linéaire mais fondamentalement polyfactoriel, en référence à la notion classique de « série complémentaire » (S. Freud), nécessairement lent (en référence à la « capacité négative » décrite par W.R. Bion), et de nature inférentielle (en référence à une temporalité circulaire apte à prendre en compte les effets d’après-coup.
• Le modèle (pédo)psychiatrique apparaît aujourd’hui comme à la recherche d’un compromis entre les deux modèles précédents, en tentant d’introduire une temporalité circulaire au sein du modèle psychiatrique académique qui demeure de type médical. Nous avons ici à tenir compte, désormais, des effets désastreux du DSM III et surtout du DSM IV, peu à peu utilisé dans les facultés comme un Manuel de Psychopathologie en soi … alors même qu’il donne de la nosologie la conception la plus plate et la plus descriptive qu’on puisse imaginer.

- La thérapeutique
La thérapeutique ne peut faire l’économie de l’histoire du sujet et de ses troubles.
C’est tout l’honneur de la pédopsychiatrie que de chercher, sans relâche, à croiser l’axe synchronique et l’axe diachronique de l’approche de la psychopathologie. Si l’on néglige l’axe synchronique, on se situe dans une psychopathologie éthérée et désincarnée, mais si l’on néglige l’axe diachronique, on ne peut céder qu’aux mirages de l’évaluation et de l’idéalisation de l’instant « t » ! Il n’y a qu’à voir ce que donne la prise en charge seulement médicamenteuse et anhistorique des troubles obsessionnels avec provocation ou de l’hyperactivité par exemple, pour bien se persuader de tout ce que la compréhension psychanalytique des troubles peut encore apporter à l’efficacité des traitements.
On sait aujourd’hui qu’un traitement médicamenteux et psychothérapique de l’hyperactivité est plus efficace, et plus durablement efficace, qu’une prise en charge médicamenteuse ou psychothérapique isolée.

- La recherche
Il y a bien sûr des divergences de fond quant au concept même de recherche en psychiatrie et en psychanalyse.
Il n’en demeure pas moins qu’on voit se dessiner aujourd’hui des points de convergence fort intéressants entre psychanalyse et cognition, même si l’échelle des points de vue n’y est en rien la même (les mécanismes de l’oubli étudié par les cognitivistes ne se situent pas, par exemple, sur le même plan que les processus de refoulement étudiés par les psychanalystes !).
A la condition expresse d’un respect réciproque sans faille et d’une curiosité mutuelle suffisante, la psychanalyse peut proposer des thématiques d’étude aux neurosciences (le rêve, la mémoire, le désir …) et les neurosciences peuvent venir étayer ou invalider certaines des intuitions cliniques de la psychanalyse.
C’est tout l’axe de travail de la « Société de Neuro-Psychanalyse » fondée à Londres il y a quelques années, société qui s’avère très vivante et dont nous tentons actuellement de mettre en place la branche francophone avec D. Widlöcher, A. Braconnier et L. Ouss notamment.
A nous de ne pas oublier cependant que si l’objet des neurosciences est le fonctionnement du cerveau à ses différents niveaux, l’objet de la psychanalyse est l’étude du matériau co-créé en permanence par les deux psychismes de l’analyste et du patient.
Bernard Golse est professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Necker-Enfants Malades. 75015 Paris
bernard.golse@nck.aphp.fr

Nicolas GEORGIEFF
Tout dépend de ce que deviendront la psychiatrie comme la psychanalyse...
Du point de vue d’abord de la lecture clinique, la psychanalyse offre une approche descriptive originale et incomparablement fine des états et des processus mentaux, ainsi qu’une lecture fonctionnelle. Elle rend possible une sémiologie de niveaux d’organisation fonctionnels complexes (représentations de soi, mécanismes de régulation émotionnelle, processus intersubjectifs) peu accessibles à d’autres approches. Cette clinique guidée par la psychanalyse est nécessaire pour identifier des processus (deuil, identification, projection, anomalies de la conscience de soi) et des organisations pathologiques (troubles narcissiques, états limites) qui s’offrent ensuite à d’autres lectures, biologique, cognitive, épidémiologique.
Du point de vue de la pratique de compréhension d’autrui, tant que la psychiatrie impliquera une pratique clinique interpersonnelle, la psychanalyse lui sera utile en tant qu’elle propose une méthode et une théorie sans équivalent pour appréhender le psychisme d’autrui ainsi que son psychisme propre, et leur interaction. Elle constitue un modèle de référence pour diverses pratiques psychothérapiques applicables, à côté d’autres, dans divers cadres et à diverses pathologies, ainsi qu’aux organisations groupales en général. Sa spécificité est de prendre en compte la complexité de l’intentionnalité multiple des conduites, donc leurs déterminants internes au sujet, et l’interaction ou co-action psychique avec le thérapeute. Le cadre de la « cure type » devrait rester un outil de formation des professionnels, donc des psychiatres si ceux-ci restent des psychothérapeutes. Mais cette perspective est dépendante de la manière dont la psychanalyse, de son côté, saura étendre ses intérêts, au-delà la cure type, au champ plus large des psychothérapies.
En ce qui concerne la compréhension de la pathologie, la psychanalyse sera utile à la psychiatrie tant que celle-ci se référera à une psychopathologie générale, et il est essentiel aujourd’hui de réfléchir à la manière dont la psychanalyse s’articule, dans une psychopathologie plurielle, aux autres approches : neurobiologique et cognitive, anthropologique, sociologique, psychologique … La psychiatrie a la particularité de convoquer non pas une mais plusieurs sciences fondamentales, de la biologie moléculaire aux sciences humaines, qui offrent chacune une perspective sur un niveau d’organisation ou de complexité de son objet. C’est sa richesse. Mais dans ce cadre, la portée de la psychopathologie explicative extrapolée par Freud à partir de sa pratique doit être remise en question. La psychiatrie a d’ailleurs abandonné les explications causales exclusives quelles qu’elles soient. La psychanalyse propose un niveau d’explication dont l’intérêt est d’éclairer, avec d’autres approches, l’importance des déterminants intrapsychiques et environnementaux interhumains de la pathologie.
La psychiatrie s’appuie donc sur des systèmes de connaissance hétérogènes, et aujourd’hui cette diversité pose problème. Les représentations du psychisme issues de la psychanalyse reposent sur un mode particulier d’échange interpersonnel, et elles ne peuvent être mises sur le même plan, épistémologiquement, que les représentations issues de l’étude objective et de l’expérimentation. Pourtant l’un et l’autre point de vue sont nécessaires à la psychiatrie, et il faut comprendre leur cohérence. C’est en fait un cas particulier d’un problème crucial : le clivage qui se crée en psychiatrie entre les sciences cliniques fondées sur l’intersubjectivité, et les sciences expérimentales, donc entre chercheurs et cliniciens, comme en témoignent des polémiques récentes. Cette crise a pour origine un clivage idéologique entre les orientations théoriques qui doit être dépassé.
Ce point rejoint donc directement la question des relations entre psychanalyse et neurosciences, notamment la psychologie scientifique contemporaine (les sciences cognitives). Leur objet réel - le psychique ou la vie mentale - est nécessairement commun ; l’échange est donc possible et nécessaire pour le progrès de la connaissance, et les théories compatibles. Mais les points de vue sont si différents qu’il n’est pas possible de projeter un modèle sur l’autre, de faire se correspondre terme à terme les concepts, comme on l’a trop souvent fait. Un travail de traduction entre ces langues étrangères désignant les mêmes réalités est nécessaire pour définir les points de convergences : par exemple les systèmes de représentation de soi et d’autrui, les mécanismes d’empathie ou de co-psychéité, objets communs de la psychanalyse et des neurosciences « sociales ».  Ceci conduit d’ailleurs à envisager l’étude par les neurosciences de la psychanalyse elle-même, qu’il s’agisse du processus inter ou co-subjectif sur lequel repose sa pratique, ou des mécanismes neurocognitifs des processus de changement qu’elle induit.
Pour conclure, les oppositions passées et les différences fondamentales entre neurosciences et psychanalyse ne doivent pas faire oublier qu’elles sont les deux principales tentatives historiques menées pour développer une science de l’esprit, qu’elles inspirent les principales théories du psychique, et que leur alliance ouvre un champ de recherche d’importance majeure pour l’avenir de la psychiatrie, théorique et clinique.
Nicolas Georgieff est professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université Claude-Bernard Lyon 1, Hôpital du Vinatier 69677. BRON -nicolas.georgieff@univ-lyon1.fr

 

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Le Manuel Diagnostique Psychodynamique

Psychodynamic Diagnostic Manual - (PDM)

Du nosographique au psychopathologique
Daniel Widlöcher

Il est absurde de se complaire dans des polémiques contre les classifications psychiatriques internationales, et leur modèle américain, qui se sont développés au cours des dernières décennies. La question est de savoir délimiter l’opportunité de leur élaboration et le champ de leurs applications. La classification descriptive (nosographie) des troubles mentaux est une tâche que les psychiatres ont toujours tenue pour une nécessité : nécessité pratique pour rendre scientifiquement accessibles à tous les résultats d’une enquête épidémiologique ou ceux d’un essai thérapeutique ; c’est aussi une nécessité théorique dans la mesure où, de la classification des troubles mentaux, résulte une vue d’ensemble (nosologie) sur la nature de ces troubles. Indépendamment de ces principes nosologiques sur lesquels nous reviendrons, la nécessité de nature pratique demeure indiscutable. Nous avons besoin d’un langage commun, aussi réducteur et simplificateur qu’il paraisse.

Mais nous ne devons pas faire un mauvais usage de ce système. Classer empiriquement les données est une méthode, en dégager une compréhension d’ensemble de la pathologie mentale en est une autre. Passer d’une nosographie à une nosologie n’est pas une affaire simple. Les troubles mentaux que nous classons d’un point de vue résolument descriptif ne relèvent pas nécessairement d’un domaine homogène. Les causes des troubles sont variées, multiples souvent, relevant de facteurs psychologiques, sociaux et biologiques. Les mécanismes qui les engendrent se situent à plusieurs niveaux, depuis les bases neuronales jusqu’à la complexité des effets de l’environnement psychosocial. Les variations symptomatiques du comportement que nous tenons pour anormales doivent être comprises en comparaison avec les variantes de la normale. Notre intelligence de la pathologie mentale doit prendre en compte ces divers plans d’analyse. Ce sont eux qui vont guider nos stratégies thérapeutiques et orienter nos programmes de recherche. Si l’évaluation requiert des critères précis et simples, la recherche nécessite des hypothèses qui se situent sur un plan ou sur un autre et des méthodes de vérification appropriées.

Or, l’excellence descriptive des classifications nosographiques modernes, en particulier celle du DSM IV, ont paru suffire à la pratique psychiatrique. Et pourtant la consigne était claire : décrivez le cas de votre malade avec toutes les nuances que l’ensemble de la pathologie vous autorise à faire et ensuite pliez vous à la contrainte d’une classification purement descriptive. Si la classification DSM IV s’étaye sur des critères sémiologiques d’une précision remarquable, elle risque toujours d’appauvrir considérablement la pratique clinique et de stériliser la recherche.

C’est dans un souci, non de corriger, mais de compléter de DSM IV qu’a été conçu le « Manuel Diagnostique Psychodynamique » (« Psychodynamic Diagnostic Manual » - PDM). Il était difficile de construire un manuel qui traite de la totalité des dimensions étiologiques, pathogéniques et multifactorielles. Il fallait choisir. Et ce sont des cliniciens, praticiens et chercheurs du domaine de la psychanalyse, certes ouverts aux autres domaines, qui ont collaboré à la rédaction de ce manuel. Le terme « psychodynamique » doit être entendu en référence à la pratique et à la théorie psychanalytiques. Il s’est développé autour du principe qu’une classification cliniquement utile doit commencer par une compréhension du fonctionnement mental sain. La santé mentale implique davantage que la simple absence de symptômes ; elle prend en compte le fonctionnement général de l’esprit d’une personne, incluant ses relations, sa régulation affective, ses capacités d’adaptation et ses aptitudes à l’observation de soi-même. La compréhension du pathologique présuppose que nous puissions le situer en comparaison à l’éventail complet des capacités humaines cognitives, émotionnelles et comportementales. La tradition psychanalytique a une longue histoire d’examen du fonctionnement général de l’esprit dans une perspective de recherche et de compréhension, avec une approche à la fois dimensionnelle et contextuelle des processus mentaux. Toutefois, la précision diagnostique et l’utilité des approches psychanalytiques ont été doublement compromises. D’une part, dans le souci de saisir l’éventail complet et la subtilité de l’expérience humaine, les descriptions des processus mentaux ont été exprimées selon des théories concurrentes et des métaphores qui ont nui à tout effort de consensus. Ensuite, il y a eu beaucoup de difficultés à établir une distinction entre les hypothèses spéculatives et le repérage des faits.

Comment, dès lors, répondre à la dimension nécessairement réductrice de la classification DSM IV par des ajouts critiques complémentaires qui permettraient à la pratique psychodynamique de trouver sa place dans un champ conceptuel intermédiaire entre les contraintes descriptives élémentaires du DSM IV et les principes conceptuels et techniques qui guident la pratique psychanalytique ? C’est la tâche à laquelle se sont livrés un ensemble d’instituts psychanalytiques. L’Association américaine de psychanalyse, l’Association internationale de psychanalyse, la division de psychanalyse de l’Association psychologique américaine, l’Académie américaine de psychanalyse et de psychiatrie dynamique et le Comité pour la psychanalyse en « clinical social work » ont conjointement lancé un programme, à l’organisation duquel j’ai personnellement participé au titre de Président de l’Association psychanalytique internationale. Nous avons donc créé des groupes de rédacteurs en fixant des thèmes d’exposition. Ceux-ci ont, pour la plupart, été traités par des collègues américains et anglais, à l’exception de celui dont j’ai personnellement proposé la rédaction par un groupe de collaborateurs français sur le thème des entretiens préliminaires et de l’accessibilité au traitement psychanalytique.
Deux idées forces me semblent inspirer l’ensemble de l’ouvrage. La première est le continuum entre le fonctionnement psychique normal et le pathologique. En ce sens, le livre est un authentique manuel de psychopathologie. La seconde idée force est de se plier en un sens à la rationalité du DSM IV, non pour le partager mais, au contraire, pour y insérer l’autre rationalité qui inspire le PDM. Celle-ci ne se fonde pas sur la seule expérience clinique, elle prend en compte toutes les formes de recherche sur lesquelles s’appuie le développement actuel des pratiques psychanalytiques.

Le plan général de l’ouvrage illustre bien ces principes, cette rationalité propre au PDM. Trois grandes parties composent l’ouvrage. La première traite de la classification des troubles de la santé mentale des adultes et envisage successivement les troubles de la personnalité (comme modèle de continuum) puis un ensemble de profils du fonctionnement mental, et enfin seulement après elle reprend la classification des symptômes telle qu’elle figure dans le DSM IV en incluant pour chacun d’eux les apports spécifiques de la psychopathologie dynamique. La même force de présentation est reprise dans la seconde partie qui traite du sujet en développement, de la première enfance à l’adolescence. Elle envisage tout d’abord les profils du fonctionnement mental tout au long du développement en articulant de manière très originale le développement lui-même et ses altérations. Ensuite seulement est reprise la classification des troubles de la personnalité, propres à l’enfance et à l’adolescence, et enfin la révision des classes de symptômes. Une troisième partie traite des fondements conceptuels et des données de la recherche appliqués à cette classification « psychodynamique » et comporte des études historiques, des bilans critiques portant sur les relations avec les sciences voisines et les méthodologies de recherche.
L’ouvrage dans son ensemble constitue un remarquable manuel de psychopathologie « dynamique ». Certes, la teneur de la plupart des contributions est fortement marquée par l’origine nord-américaine des auteurs. Si on veut bien se garder de tout préjugé chauvin, on y trouvera des éclairages intéressants et des ouvertures à des perspectives nouvelles pour nous.

Ce manuel, fort peu onéreux du fait de sa publication dans une structure de non profit, intéresse certes les psychanalystes et tous ceux qui se réclament de la psychopathologie dynamique, mais devrait surtout intéresser l’ensemble des psychiatres. Ils y trouveront la contribution que les cliniciens et les chercheurs qui travaillent dans le champ de la psychopathologie dynamique peuvent apporter à une approche strictement descriptive et classificatoire de la psychiatrie, aussi bien pour guider leur pratique clinique que comme cadre conceptuel dans les domaines de la recherche.
Daniel Widlöcher
daniel.widlocher@psl.ap-hop-paris.fr

 

La psychopathologie de l’enfant dans le Psychodynamic Diagnostic Manual : quelques avancées et quelques impasses.
François Sauvagnat

Le PDM a constitué incontestablement un progrès par rapport au DSM dans le paysage états-unien de la psychiatrie. Par rapport aux DSM, qui ne retenaient en fin de compte que des critères comportementaux, praticiens et chercheurs inspirés par la psychanalyse et s’occupant particulièrement de psychopathologie infanto-juvénile pouvaient avoir le souci de promouvoir au moins cinq types d’améliorations :
u trouver des solutions satisfaisantes par rapport à l’envahissante question de la comorbidité, problème que les versions successives du DSM n’ont pu améliorer ;
- se rapprocher  du vécu intérieur des patients, intégrer la question de l’inconscient et des pulsions dans le diagnostic ;
u maintenir une approche réaliste en ce qui concerne la question de la causalité, et en particulier différencier les hypothèses de recherche en fonction de l’existence ou non de preuves clairement administrées ;
- décrire les particularités du vécu infantile et clarifier les différences entre pathologies infantiles, adolescentes, et propres aux adultes ;
- améliorer les pratiques de santé mentale dans un pays défavorablement classé par la recherche internationale (36e rang mondial pour l’efficacité des pratiques médicales OMS 2000 ; dernier rang des pays industrialisés en ce qui concerne la qualité de la vie des enfants UNICEF 2006).

Plusieurs stratégies étaient possibles : soit se focaliser uniquement sur certains aspects descriptifs (cela a été le cas de la CFTMEA, avec seulement deux axes principaux, diagnostic et facteurs associés, plus l’axe I « bébé », mais la CFTMEA n’est pas citée), ou au contraire envisager de façon globale le processus de diagnostic, en intégrant un plus grand nombre de dimensions, comme le propose l’Operationalisierte Psychodynamisches System en Allemagne (avec cinq axes distincts : axe1 : expérience de la maladie et préréquisits du traitement, axe 2 : aspects relationnels, axe 3 : conflits, axe 4 : structure, et axe 5 : syndrome et diagnostic selon l’ICD 10) ; l’OPD est d’ailleurs présenté dans un chapitre distinct de l’ouvrage. La stratégie choisie par les promoteurs du PDM a consisté  à conserver l’axe I du  DSM (sans modification), à enrichir considérablement l’axe des troubles de la personnalité  (qui passe de 11 à 24 items !), et surtout  à ajouter un axe de fonctionnement mental (partiellement inspiré par l’axe 4 de l’OPD).
En ce qui concerne la psychopathologie de l’enfant, trois ajouts sont notables dans le PDM : un chapitre spécifique aux troubles de l’enfant et de l’adolescent ; les trois axes ont été adaptés en fonction des spécificités propres aux enfants et aux adolescents ; un sous-chapitre concernant les particularités des nourrissons et jeunes enfants a été ajouté.

En ce qui concerne l’axe MCA (fonctionnement mental enfants et adolescents), les neuf dimensions relevées chez l’adulte (capacité de régulation, capacité de relation et d’intimité, qualité d’expérience interne, expériences affectives, capacités défensives, capacités de représentations internes, capacités de différenciation et d’intégration, capacité d’auto-observation, sens moral) sont  très légèrement modifiées pour tenir compte de l’acquisition progressive des capacités de fonctionnement en fonction de l’âge. Les difficultés et limitations par rapport à ces dimensions sont présentées selon une échelle (de MCA 201 à MCA 208) : degré  de flexibilité et d’intégrité optimal ; degré raisonnable ; conflits transitoires liés au développement ; constriction et inflexibilité légères, avec  des formations caractérielles  ou symptomatiques encapsulées ; constrictions et altérations du fonctionnement modérées ; constrictions et altérations majeures ; défauts de l’intégration, de l’organisation et/ou de la différentiation des représentations du self et de l’objet ; défauts majeurs dans les fonctions mentales de base. L’ensemble constitue un progrès par rapport à ce que propose le DSM, mais reste  très en deçà de ce que propose l’OPD. On a pourtant le sentiment que des indications sur l’engagement possible dans un processus thérapeutique, ou même sur les différents vécus idiosyncrasiques (indépendamment des symptômes) aurait été possible.
En ce qui concerne les patterns et troubles de la personnalité de l’enfant et de l’adolescent (PCA), quinze catégories sont retenues au total : craintif (schizoïde) ; soupçonneux (paranoïde) ; sociopathique ; narcissique ; impulsif-explosif ; autodestructeur ; dépressif ; somatisant (c’est-à-dire hypocondriaque) ; dépendant ; évitant, contraphobique ; anxieux ; obsessionnel-compulsif ; histrionique ; dérégulé ; mixte. Ces catégories sont présentées comme susceptibles de préfigurer les 24 types de personnalités propres aux adultes. Six sont totalement absentes du DSM (impulsif-explosif ; autodestructeur ; dépressif ; contraphobique ; somatisant ; dérégulé) et une catégorie du DSM n’est pas reprise (personnalité schizotypique), ce qui représente des modifications considérables. Cette proportion donne la mesure des efforts faits par les auteurs pour se libérer d’une vision trop linéaire de la psychopathologie. Néanmoins, on peut se demander si ces efforts, transformant de façon intéressante  en « patterns et troubles de la personnalité » ce que le DSM appelait « troubles de la personnalité et retard mental », ne restent pas un peu timides. Certes, il est courageusement  affirmé que troubles, patterns, voire style personnel sont à  situer dans une continuité, néanmoins, peu d’effort est fait pour encourager le clinicien à donner quelque consistance  à la chose. Rappelons qu’originellement, les « troubles de la personnalité » sont la version états-unienne des « types de caractère » décrits par S Freud, union de motifs inconscients et de défenses caractérielles ; c’est actuellement tout ce qui reste de l’inconscient freudien outre-atlantique.

En ce qui concerne les patterns de symptômes et l’expérience subjective des enfants et des adolescents, il s’agit d’un axe qui, comme chez l’adulte, ne modifie guère les catégories du DSM, sauf sur deux points :
- trois entités sont ajoutées, les troubles visuo-spatiaux, les troubles des fonctions exécutives et la tendance au suicide (suicidality).
- Un effort de classification est fait  pour ordonnancer les symptômes en huit groupes : 1) réponses de bonne qualité à des crises développementales ou situationnelles ; 2) troubles des affects (affects anxieux/humeur) ; 3) troubles disruptifs (où curieusement l’abus de toxiques est intégré sans explication claire) ; 4) troubles réactifs ; 5) troubles du fonctionnement mental, très vaste catégorie comprenant les troubles moteurs, les tics, les psychoses, les troubles neuropsychologiques (troubles visuo-spatiaux, les troubles de l’élaboration langagière et auditive, troubles de la mémoire, troubles de l’attention/hyperactivité, arriérations) et les troubles de l’apprentissage ; 6) les troubles psychophysiologiques (anorexie et boulimie) ; 7) la très vaste catégorie des troubles du développement (troubles de la régulation ; anorexie précoce ; troubles de l’élimination ; troubles du sommeil ; troubles de l’attachement ; troubles envahissants du développement) ; et finalement 8) les troubles d’identité de genre. 

On ne peut pas dire que le résultat soit ici enthousiasmant. A côté d’efforts intéressants pour mieux situer le sens de crises et traumas vécus par l’enfant, et de tentatives timides pour comprendre le « vécu du symptôme », on voit se maintenir sans proposition de solution un certain nombre de catégories problématiques propres au domaine états-unien :
u les troubles de l’attention-hyperactivité ne sont toujours pas mieux caractérisés, ils incluent toujours des formes de symptomatologies disparates (y compris anxieuses, malgré l’ICD 10), aucun effort n’est fait pour faire le point des recherches à ce propos (et notamment relativiser les « données neurologiques », toujours très hypothétiques), aucune critique des médications proposées localement en première intention n’est esquissée.
- les troubles envahissants du développement sont toujours isolés artificiellement des troubles psychotiques, et se retrouvent voisiner, sans explication, l’énurésie /encoprésie et les troubles de l’attachement … alors même que les enfants autistes sont réputés ne pas avoir de troubles de l’attachement !
- Les troubles bipolaires de l’enfant sont d’un côté présentés sans aucune critique alors même que ce diagnostic fait l’objet de débats intenses ; ils sont d’un autre côté présentés comme entièrement déconnectés des troubles psychotiques, alors même que les médications antipsychotiques sont maintenant la règle aux USA dans ces cas.
- L’abus de drogues est classé arbitrairement dans les troubles des comportements disruptifs, alors même que les auteurs notent la multiplicité des problématiques sous-jacentes possibles.
Un chapitre est consacré à la classification des troubles de la santé mentale chez le bébé et le jeune enfant (axe IEC, qui est en fait …multi-axial). S.I. Greenspan y propose d’envisager trois grandes catégories : les troubles interactifs (ID) ; les troubles de l’élaboration de la régulation sensorielle (RSPD); les troubles neurodéveloppementaux de la relation et de la communication (NDRC). Il est proposé une évaluation à partir de quatre axes :
1. capacités fonctionnelles, émotionnelles et développementales, selon une succession de phases de développement :attention et régulation conjointes de 0 à 3 mois ; engagement et relation de 3 à 6 mois ; signaux intentionnels affectifs et communicationnels  bilatéraux (6-9mois) ; chaînes de signaux co-régulés et solution de problèmes conjointe (9-18 mois) ; création de représentations (18-30 mois ; création de ponts entre les pensées et pensée logique (30-48 mois) ;
2. capacités d’élaboration régulatoires et sensorielles ;
3. patterns entre enfant et parent ;
4. autres diagnostics médicaux et neurologiques. 

S.I. Greenspan distingue alors 16 types de troubles interactifs, 7 types de patterns d’élaboration de la régulation sensorielle, et quatre niveaux de troubles neurodéveloppementaux.
L’ensemble  (qui reprend la logique de l’ICDL-DMIC, du même auteur) donne une impression de grande complexité, et semble davantage approprié à la recherche sur des processus de socialisation qu’à une approche minutieuse des vécus de l’enfant, même si Mme Greenspan s’est illustrée précédemment par une théorie émotionnelle de la génèse de l’autisme (« affect diathesis hypothesis »). Il vise bien entendu à élaborer des précurseurs des troubles infantiles tels que décrits dans le chapitre précédent.
En résumé, la partie « enfant et adolescent » du PDM constitue une contribution intéressante par rapport au DSM-TR, sur des sujets d’une actualité brûlante ; on peut néanmoins craindre que cette contribution soit un peu trop timide par rapport à ce qui apparaîtrait souhaitable pour réformer de façon convaincante les pratiques locales de soins psychiques.
François Sauvagnat est professeur de psychologie à l’Université de Rennes-II (psychopathologie)f.sauvagnat@wanadoo.fr

La recherche dans le Psychodynamic Diagnostic Manual : Un champ en activité.
Jean-Michel Thurin

Précédée de quatre chapitres consacrés aux Fondements conceptuels et historiques, la partie Fondements issus de la recherche du MDP représente plus de 300 pages sur les 857 de l’ouvrage, ce qui montre l’importance attribuée à ce domaine par les auteurs et la dynamique des travaux qui l’alimentent. Cette présentation comporte huit chapitres* centrés sur l’histoire, les questions méthodologiques et les résultats des recherches évaluatives en psychothérapies psychanalytiques.

 R Wallerstein distingue quatre générations de recherches psychanalytiques. La première commence en 1917 et s’étend sur la première moitié du siècle. Elle consiste en de simples énumérations rétrospectives de pourcentages de résultats d’amélioration (selon des critères non spécifiés) rassemblés par des praticiens ou par des centres de traitement dans les premiers instituts psychanalytiques. La seconde génération (1959-1984) cherche à surpasser la simplicité méthodologique flagrante de la précédente. Les études sont organisées suivant deux modalités : prospectives, agrégées en groupes, utilisant des définitions spécifiées, des critères opérationnalisés et des prédictions de résultats attendus ; individuelles systématiques   sur une série de patients. La troisième génération (1954-1986) est contemporaine de la précédente. Les deux types d’études sont combinés. L’objectif est à la fois d’évaluer les résultats d’un nombre significatif de cas et d’examiner comment ces résultats sont atteints à partir d’une étude longitudinale intensive de chaque cas. Par ailleurs, les résultats à la terminaison du traitement sont distingués de ceux du suivi, et les changements dans cette « phase post-analytique » sont analysés. La quatrième et actuelle génération d’études comprend des études de processus détaillées. Les programmes sont habituellement fabriqués pour combiner les différentes études de processus  avec les mesures de résultats établies. Le but est de réaliser une représentation théorique et opérationnelle, dans des termes proches, du fonctionnement et du caractère du patient, du processus de traitement et des résultats obtenus.

Blatt et al. démontrent que le résultat d’une psychothérapie dépend, pour une part très importante, de l’aptitude du thérapeute à apprécier l’organisation et la structure de la personnalité de son patient. Selon leurmodèle, cette organisation s’établit à partir de deux lignes fondamentales de développement. La première, relationnelle ou anaclitique, structure la capacité d’établir des relations interpersonnelles de plus en plus matures et mutuellement satisfaisantes ; la seconde, de définition de soi ou introjective, structure le développement d’une identité consolidée, réaliste, essentiellement positive, différentiée et intégrée. Dans une perspective favorable, les deux lignes évoluent au cours de la vie suivant une transaction réciproque ou dialectique qui permet à l’une et l’autre de se développer. Dans une perspective défavorable, elles donnent naissance à des personnalités plus ou moins pathologiques, qui contribuent au développement de troubles. Des troubles d’expression symptomatique semblable peuvent être ainsi très différents dans leur nature. C’est le cas de la dépression anaclitique centrée sur des sentiments de solitude, d’abandon et de négligence, et de la  dépression introjective centrée sur des questions de valeur de soi, des sentiments d’échec et de honte. Partant de populations constituées pour différentes études (Riggs-Yale Project, Projet de recherche de la clinique Menninger, Programme collaboratif sur la dépression), les auteurs ont étudié la variation des résultats en fonction de trois variables : le type de personnalité anaclitique ou introjectif (à partir de formulations cliniques étendues de cas, et d instruments tels que le Rorschach et le TAT), l’alliance thérapeutique et la modalité d’approche psychothérapique. Les variations observées ont permis de différencier les approches qui marchent de celles qui ne marchent pas en fonction de la personnalité du patient, du problème central de son développement auquel sa personnalité/pathologie est liée et bien entendu de l’ajustement du thérapeute à cette configuration.

Shedler et Westen présentent la SWAP, une procédure d’évaluation dimensionnelle du changement portant sur la structure de la personnalité en psychothérapie. Cet instrument fonctionne sur le principe d’une série de propositions descriptives de traits de personnalité auxquelles l’utilisateur attribue un score de 0 à 7 en fonction de leur adéquation avec l’appréciation clinique du patient. Il peut être appliqué à toutes les psychothérapies, quelle que soit leur approche et est destiné à être utilisé par les cliniciens qui souhaitent évaluer les évolutions de structure susceptibles d’accompagner une psychothérapie. L’exemple qui est présenté montre l’évolution du profil des traits de personnalité dans les dix troubles de l’axe II chez une jeune patiente au début et à deux ans de traitement. Cette évolution apparaît dans la comparaison des deux courbes qui récapitulent les scores pour chacun des « troubles » devenus axes de personnalité. Pour maintenir la continuité de l’approche dimensionnelle de la SWAP avec le système catégoriel du DSM, le score de 60 est suggéré comme point d’équivalence avec le diagnostic de trouble de la personnalité et celui de 55 pour celui de « traits ». Une échelle de « fonctionnement sain » de la personnalité est adjointe. La comparaison des deux courbes montre que la patiente n’est plus « borderline avec traits antisociaux et histrioniques » comme au départ, mais que ses scores les plus hauts se situent plutôt dans le registre obsessionnel sans atteindre un seuil de traits ou de trouble. L’aspect dynamique et dimentionnel de l’organisaation de la personnalité apparaît ainsi clairement. La SWAP a bénéficié de la collaboration de centaines de cliniciens, psychiatres et psychologues et les résultats de validité soutiennent la possibilité  de développer une classification dimensionnelle des troubles de la personnalité et de produire un « langage » de description des cas à la fois riche cliniquement et empiriquement rigoureux. La SWAP peut être testée sur Internet à l’adresse suivante : http://www.swapassessment.com/

Dahlbender et al. présentent l’axe IV, brièvement nommé « structure psychique », du système des Diagnostics Psychodynamiques Opérationnalisés (OPD). L’OPD est une approche psychodynamique multiaxiale opérationnalisée basée sur quatre axes  : « expérience de la maladie et conditions préalables pour le traitement », « relations interpersonnelles », « conflits » et « structure psychique ». Il s’y ajoute un cinquième axe « troubles psychiques et psychosomatiques » qui permet au diagnostic OPD d’être mis en relation avec les classifications descriptives CIM et DSM. L’objectif de l’OPD est de proposer un complément majeur à la CIM et au DSM dont la focalisation sur les symptômes de surface conduit à négliger des aspects de la psychopathologie essentiels pour la préparation et la direction du traitement psychothérapique. La structure psychique et le fonctionnement mental forment ainsi un concept central du diagnostic, aux côtés des configurations interpersonnelles et des conflits. Se constituant au cours de l’enfance précoce, leur fonctionnement à l’âge adulte apporte également une perspective développementale au diagnostic. L’évaluation se fait suivant six dimensions recouvrant 24 sous-dimensions qui peuvent être détectées dans les interactions présentes et passées, en particulier avec le thérapeute.
- Perception de soi : réflexion sur soi, image de soi, identité, différenciation des affects.
- Régulation de soi : tolérance des affects, estime de soi, régulation des pulsions instinctuelles, anticipation.
- Défenses : type, résultat, stabilité, flexibilité des mécanismes de défense.
- Perception de l’objet ; différenciation sujet-objet, empathie, perception de l’objet comme un tout, affects concernant l’objet.
- Communication : contact, compréhension des affects des autres, communication de ses propres affecs, réciprocité.
- Lien (Attachement) : internalisation, détachement, variabilité de l’attachement.
Le manuel de la présentation développée de l’axe IV et sa passation est intégralement reproduit dans ce chapitre.

Westen, Novotny et Thomson-Brenner présentent une analyse critique extrêmement détaillée de la base scientifique des « thérapies validées empiriquement » (ESTs) et proposent des méthodologies alternatives lorsque les hypothèses sous-jacentes à la méthodologie EST ne sont pas valides.  Ils suggèrent que la recherche expérimentale se déplace sur les stratégies d’intervention et les théories du changement, aspects essentiels que les cliniciens pourront intégrer dans les thérapies informées empiriquement. Ce texte, initialement publié dans le Psychological Bulletin a suscité un grand débat par publications interposées sur le statut empirique des psychothérapies soutenues empiriquement. Plusieurs auteurs très renommés, dont Ablon, Goldfried, Crits-Christoph et Weisz y ont participé. L’ensemble permet de bien comprendre les différents arguments.

P Fonagy s’est beaucoup impliqué dans les recherches expérimentales d’efficacité des psychothérapies partant des classifications traditionnelles DSM que le MDP s’est donné pour objectif de transcender. Une partie de son texte présente donc l’actualité des résultats des recherches portant sur les psychothérapies psychanalytiques menées dans le cadre du schéma DSM depuis 10 ans. Cette revue porte essentiellement sur les psychothérapies brèves. Nous renvoyons sur cette question aux chapitres 5 et 6 de l’expertise collective Inserm et à sa mise à jour sur techniques psychothérapiques : http://www.techniques-psychotherapiques.org/resultats/

Mais une autre partie concerne sa vision de l’évolution de la recherche. Elle peut se résumer ainsi : la preuve fondée sur la pratique est aujourd’hui nécessaire pour établir de façon complète une pratique basée sur la preuve. Quel serait le programme de recherche idéal ? Se référant à Kazdin (1998), il propose de partir d’une analyse fonctionnelle du trouble et de sa dynamique pour construire une approche thérapeutique qui lui soit cohérente. Cette approche sera conceptualisée et spécifiée, testée de façon globale, puis à partir des processus de traitement et ce qui les affecte. Les corrélations trouvées seront seulement alors complétées par des études expérimentales. Enfin, le champ d’application du traitement sera établi en relation aux caractéristiques du patient et de son environnement. On remarquera que cette approche constitue un véritable renversement de la perspective classique. Sa mise en œuvre s’appuie sur des études pragmatiques (quasi-expérimentales) se déroulant dans le champ clinique et portant sur des questions que les cliniciens se posent dans leur pratique.

Cette série de chapitres se termine par une revue des méta-analyses d’études de résultats de la psychothérapie psychodynamique par Leichsenring. Après avoir rappelé la nécessité d’une réévaluation des rôles respectifs des études expérimentales (ECRs) et des études naturalistes, il résume sa revue méta-analytique de 2001 sur la dépression en discutant au passage la critique qu’en a faite Fonagy, ce qui montre que les discussions ne concernent pas que des groupes d’orientation théorique différente, puis celle de 2003 concernant les troubles de la personnalité. Dans sa discussion, il insiste sur les difficultés de comparaison des psychothérapies « globales » étant donnée la variabilité entre cliniciens de leur application et l’absence de définition précise sur des ingrédients qui définissent les différentes approches, jusqu’aux travaux de Ablon, Jones, Blagys et Hilsenroth. Sa conclusion porte sur la nécessité de travaux portant sur les psychothérapies psychodynamiques longues pour lesquelles les protocoles d’ECRs sont difficilement  appropriés.
* 1) Histoire de la recherche sur la thérapie psychanalytique (R Wallerstein) ; 2) Évaluer l’efficacité potentielle, réelle et les facteurs de changement dans les psychothérapies psychodynamiques (S. J. Blatt, J. S. Auerbach, D. C. Zuroff, and G. Shahar.) ; 3) Diagnostic de personnalité à partir de la SWAP (J Schedler et D Westen) ; 4) Diagnostics de structure psychique et de fonctionnement mental à partir de l’OPD (R. Dahlbender, G. Rudolf, et le groupe opérationnel de l’OPD) ; 5) Panorama de la base empirique de l’approche DSM basée sur le symptôme à la classification diagnostique (A Herzig et J Licht) ; 6) Statut empirique des psychothérapies soutenues empiriquement : présupposés, résultats et rapports dans les ECRs (D Westen, C Novotny et H Thompson-Brenner) ; 7) Psychothérapies psychodynamiques fondées sur la preuve (P Fonagy) et 8) Revue des méta-analyses d’études de résultat de la psychothérapie psychodynamique (F Leichsenring) 
Jean-Michel Thurin jmthurin@internet-medical.com

Le PDM est présenté sur Internet : http://www.techniques-psychotherapiques.org/Documentation/Ouvrages/MDP/default.html

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Hommage à Hervé ALLAIN

Il va nous manquer ! Les lecteurs de Pour la Recherche connaissent bien Hervé Allain. Il nous a quitté récemment et c’est une grande tristesse. Scientifiquement ouvert et humainement disponible, il était toujours prêt à réfléchir à un sujet proposé. Il avait la plume rigoureuse et critique sans oublier à chaque fois une note d’humour qu’il savait fort bien manier. « Bonjour les amis » disait-il lorsqu’il poussait la porte en montrant un visage souriant. C’est celui que nous gardons dans notre esprit en pensant à lui.

Médecin, neurologue et pharmacologue, Hervé Allain rejoignit très tôt, alors qu’il était encore interne, le Laboratoire de Pharmacologie de la Faculté de Médecine de Rennes, alors dirigé par le Professeur Jean Van Den Driessche. Il contribua avec énergie et enthousiasme à développer un axe de recherche en neuropsychopharmacologie, tant fondamentale que clinique, en particulier dans les domaines des médicaments des maladies neuro-dégénératives, maladie de Parkinson puis maladie d’Alzheimer.
Le Professeur Allain était devenu le référent français en matière de Pharmacologie Expérimentale et Clinique des médicaments des troubles démentiels. Il était l’auteur d’un grand nombre de publications de recherche dans ces domaines mais aussi de nombreux articles d’information scientifique et de chapitres de livres. Sa notoriété était internationale et il était invité à donner des conférences dans le monde entier. L’activité débordante d’Hervé était plurielle. En parallèle de sa charge de chef de service du laboratoire hospitalo-universitaire de pharmacologie, enseignant, chercheur, clinicien, il fut le concepteur et créateur d’un des premiers centres français de Pharmacologie Clinique chez le volontaire sain, Biotrial.

C’était aussi le Directeur du Centre Mémoire Ressources Recherche et du Centre de PharmacoVigilance de Rennes, cherchant à confronter les données expérimentales ou de notification spontanée aux approches pharmacoépidémiologiques, pharmacogénétiques et de Pharmacologie Sociale qui le fascinaient. Il était également membre de multiples sociétés savantes, de comités et conseils scientifiques ou d’administration. Il était consultant pour des laboratoires pharmaceutiques et expert auprès des Agences française et européenne du médicament. Hervé était passionné d’idées et de technologies nouvelles. Chaleureux, il aimait communiquer avec ses collaborateurs proches ou aux quatre coins de la planète.
Marié, il était père de quatre enfants. Il n’avait que 56 ans.

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contact : Monique Thurin



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