Pour la Recherche n° 52

Recommandations de la commission d'audition de l'Expertise Psychiatrique pénale

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Questions posées aux experts
Communication de presse

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Comité de Rédaction et remerciements

Promoteurs et Comités

Audition Publique « Expertise Psychiatrique Pénale - 25 et 26 janvier 2007
Ministère de la santé et des solidarité - Paris

Promoteur : Fédération Française de Psychiatrie
              
         Avec le partenariat méthodologique et le concours
         financier de la Haute Autorité de Santé

        Avec le soutien de la Direction Générale de la Santé

Comité d’Organisation : G. ROSSINELLI, président : psychiatre, Toulouse, P. DOSQUET : méthodologie HAS, Saint-Denis La Plaine, M. GROHENS : psychiatre, Poissy, C. PAINDAVOINE : méthodologie HAS, Saint-Denis La Plaine, J-C. PASCAL : psychiatre, Antony,
N. RICHARD : Direction générale de la santé, Paris, J-L. SENON : psychiatre, Poitiers, M. THURIN : psycholinguiste, Paris

Membres de la commission d’audition :  J-L. SENON, président : psychiatre, Poitiers, M. BELONCLE : psychiatre, Nantes, G. BENHAMOU : journaliste, Paris, G. CHANTRAINE : sociologue, Guyancourt, A. CIAVALDINI : psychologue, Grenoble, F. DOUCHEZ : avocat, Toulouse,            J-M. ELCHARDUS : psychiatre, médecin légiste, Lyon, A. FERRAND-RICQUER : directeur d’hôpital, Antony, D. FRÉMY : psychiatre, Besançon, D. LEGUAY : psychiatre, Angers, O. LEHEMBRE : psychiatre, Valenciennes, P. LEMAIRE : procureur de la République, Lille, L. LETURMY : maître de conférences, faculté de droit, Poitiers, G. MASSÉ : psychiatre, Paris, T. PERRIQUET : vice-président chargé de l’instruction au tribunal de grande instance de Toulouse, Toulouse, P. POTTIER : sous-directeur adjoint de l’administration pénitentiaire, Paris, J. RENAUD : Union nationale des amis et familles de malades psychiques, Poitiers, M. ROY : psychiatre, Périgueux, M. SAPANET : médecin légiste, Poitiers, F. THIBAUT : psychiatre, Rouen

Experts : É. ARCHER : psychologue clinicien, psychiatre, expert près la cour d’appel de Douai, Lille, S. BARON LAFORET : psychiatre, praticien hospitalier, Paris, A. BLANC : président à la cour d’assises de Paris, Paris, R. COUTANCEAU : psychiatre, Paris, P. DELPLA : médecin légiste, psychiatre, expert près la cour d’appel de Toulouse, Toulouse, G. DUBRET : psychiatre, expert près la cour d’appel de Versailles, Pontoise, B. DURAND : pédopsychiatre, expert près la cour d’appel de Paris, Créteil, P. FAUCHER : ancien juge de l’application des peines, vice-président placé auprès du premier président de la cour d’appel de Bordeaux, Bordeaux, F. FEVRE : procureur de la République, Poitiers, M-F. GISSELMANN-PATRIS : psychiatre, expert près la cour d’appel de Colmar, Brumath, B. GRAVIER : psychiatre, service de médecine et psychiatrie pénitentiaires, département de psychiatrie du CHUV, Lausanne, C. JONAS : psychiatre, docteur en droit, médecin légiste, expert près la cour d’appel d’Orléans, Tours, J-P. KAHN : psychiatre, Nancy, X. LAMEYRE : magistrat, chargé de formation et de recherche, École nationale de la magistrature, Paris, P. LAMOTHE : médecin-chef de SMPR, psychiatre, expert agréé par la Cour de cassation, Lyon, B. LAVIELLE : vice-président chargé de l’instruction au tribunal de grande instance de Fort-de-France, Fort-de-France, C. MANZANERA : psychiatre, Angoulême, F. MILLAUD : psychiatre, Institut Pinel, Montréal, C. PAULET : psychiatre, secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire, Marseille, A. PÉNIN : psychologue, Toulouse, J. PRADEL : ancien juge d’instruction, professeur émérite de droit pénal, Poitiers, A. RIDE : procureur général, président de la conférence des procureurs généraux, Limoges, F. ROUILLON : psychiatre, Paris, M. SCHWEITZER : pédopsychiatre, expert près la cour d’appel de Paris, Paris, L. VILLERBU : Institut de criminologie et sciences humaines, Rennes, J-M. VILLON : psychiatre, expert près la cour d’appel de Rouen, Sotteville-lès-Rouen, D. ZAGURY : psychiatre, expert près la cour d’appel de Paris, Bondy

Groupe Bibliographique : J-P. CANO : psychiatre, Tours, L. GOTZAMANIS : psychiatre, Poitiers, M. HUMEAU : psychiatre, Poitiers,N. JAAFARI : psychiatre, Poitiers, F. JUAN : psychiatre, Nantes, É. LEGAY : psychiatre, Tours


Questions posées aux experts

Introduction - Comité de rédaction de PLR

Eclairant classiquement le juge sur la responsabilité pénale, la punissabilité et la dangerosité psychiatrique des personnes dans le cadre des procédures judiciaires, l’expert a vu, dans les conditions d’exercice difficiles qui sont les siennes, un élargissement de ses missions à l’évaluation de la dangerosité criminologique et à l’examen des victimes.

Une audition publique s’est tenue les 25 et 26 janvier à Paris, centrée sur l’abord des problématiques concernant la formation, le recrutement, les conditions et perspectives d’exercice qui relèvent d’une implication partagée de la santé et de la justice. La question portant sur la responsabilité pénale des personnes présentant des troubles psychiatriques a été au centre des préoccupations.

La commission qui s’est réunie à l’issue de cette Audition Publique a publié un rapport et a établi des recommandations autour de cinq questions majeures.

 

Question 1.

Quelle est la place dans la procédure pénale de l’expertise psychiatrique pénale et quels sont les enjeux ?

La réponse à la question posée conduit immanquablement à interpeller le législateur à l’interface de la santé et de la justice, l’expertise jouant de fait un rôle de régulateur entre la prison et l’hôpital. Les recommandations ne peuvent être destinées aux seuls psychiatres. La commission d’audition s’est donc intéressée au volet sanitaire comme à ce qui pourrait être une évolution souhaitable du droit pénal, sans prétendre dicter sa conduite au législateur.
L’expertise remplit de moins en moins le rôle de filtre visant à repérer les malades afin de leur donner des soins appropriés, du fait de la conjonction de facteurs multiples :
- célérité attendue de la justice dans le sillage des recommandations européennes rendant difficile pour l’officier de police judiciaire et le parquet de se dégager des faits à juger pour prendre en compte l’éventuelle pathologie du justiciable, et pour le médecin, éventuellement réquisitionné dans le cadre de la garde à vue, de procéder à une évaluation clinique satisfaisante ;
- multiplication des obligations d’expertises prévues dans le Code de procédure pénale (CPP) ;
- développement de l’expertise de dangerosité ;
- et, par contraste, démographie décroissante des experts psychiatres, certaines cours d’appel, avec une inégalité de répartition sur le territoire national, n’ayant plus d’experts.

Dans le respect des missions qui incombent au législateur, la commission d’audition suggère :
- d’éviter de prévoir de nouveaux cas réglementaires ou législatifs de recours à l’expertise psychiatrique ;
- de privilégier les missions d’expertise à visée diagnostique et thérapeutique sur l’expertise de dangerosité, de façon à répondre à la mission première du psychiatre, c’est-à-dire donner des soins au malade mental.

Les psychiatres exerçant en milieu pénitentiaire et les rares données épidémiologiques françaises comme internationales disponibles suggèrent que la prévalence des troubles mentaux est très supérieure parmi la population pénale par rapport à la population générale, malgré le recours à l’expertise psychiatrique de responsabilité. La commission d’audition établit un lien entre ces éléments et deux facteurs essentiels :
- la désinstitutionnalisation psychiatrique que connaît notre pays, comme tous les pays européens, visant à responsabiliser le patient dans ses soins et prônant une psychiatrie de plus en plus ambulatoire ;
- la réécriture du Code pénal (CP) en 1994, introduisant deux niveaux dans l’analyse du discernement, l’abolition et l’altération, l’altération du discernement ne conduisant plus systématiquement à une atténuation de la peine. De ce fait, il a été signalé, notamment par les rapports d’inspection générale, que les malades mentaux considérés par les experts comme ayant un discernement altéré étaient souvent condamnés à des peines plus longues que celles qu’ils auraient pu encourir s’ils n’étaient pas malades mentaux. Bien qu’il ne soit pas possible de le confirmer par des données statistiques, la commission d’audition se fait ici l’écho des avis d’experts et des échanges nombreux au cours de l’audition.

Dans le respect des missions qui incombent au législateur, la commission d’audition suggère une réécriture de l’alinéa 2 de l’article 122-11 du CP. Cette nouvelle rédaction devrait permettre à la personne atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes de bénéficier d’une atténuation réelle de responsabilité avec minoration de peine, par exemple sous la forme d’une excuse atténuante de responsabilité partielle. La peine privative de liberté prévue ne pourrait être supérieure à la moitié de la peine encourue, la durée restante donnant lieu à une obligation de soins fixée et réévaluée en fonction de l’état clinique.

Les personnes condamnées au titre du 122-1 alinéa 2 et présentant des pathologies psychiatriques avérées connaissent peu d’aménagement de peine du fait d’une difficulté d’accès à la libération conditionnelle, en général soumise par le juge d’application des peines à l’engagement d’un secteur de soins psychiatriques dans une prise en charge adaptée. La commission d’audition recommande une meilleure coordination entre les acteurs sanitaires, sociaux, pénitentiaires et judiciaires permettant à ces malades de ne pas être exclus des aménagements de peine prévus par le CPP.

La commission d’audition estime indispensable que soient développées des recherches associant santé et justice ayant pour objet de corréler la pathologie psychiatrique constatée avec l’histoire clinique et la trajectoire pénale, en prenant en compte notamment l’existence ou non d’une réquisition dans le cas où une expertise a été pratiquée, la pathologie retrouvée par l’expert et ses conclusions, ainsi que les modalités du jugement et de l’application des peines.
La commission d’audition recommande qu’à l’échelle de chaque département les équipes de secteur intervenant en prison informent régulièrement les commissions médicales d’établissement et les conseils d’administration des établissements hospitaliers dont ils relèvent afin :
- de les mettre au courant des pathologies psychiatriques qu’elles rencontrent dans la prison ;
- de maintenir et promouvoir des structures hospitalières fermées susceptibles de recevoir des patients psychotiques chroniques et de préparer leur sortie au mieux pour éviter les ruptures de soins pouvant être à l’origine de passage à l’acte.

Question 2.

Quels sont les incidences, les problèmes et les débats actuels autour de la clinique expertale dans les différents temps judiciaires ?

I. Quels sont les problèmes rencontrés par le magistrat du parquet dans l’enquête préliminaire et quelles sont les attentes de ce magistrat face au psychiatre ?
Prenant acte :
- de la surreprésentation et de la surpénalisation des malades mentaux en milieu carcéral ;
- des difficultés judiciaires, sanitaires et pénitentiaires qui imposent une vigilance particulière quant au repérage le plus en amont possible des personnes susceptibles d’être prioritairement orientées vers un dispositif de soin ;
- de la nécessité d’exercer cette vigilence dès la phase de garde à vue ;
- du fait qu’actuellement nombre de malades mentaux en garde à vue ne font pas l’objet d’un diagnostic psychiatrique ;

et rejoignant des conclusions du rapport de la commission Santé-Justice2, présidée par J-F. Burgelin, la commission d’audition recommande :
- que toute personne gardée à vue et susceptible d’être incarcérée fasse l’objet lors de son examen médical prévu par le CPP d’une attention particulière à la clinique psychiatrique
- qu’en cas de besoin soit diligentée une réquisition d’un psychiatre qui répondrait aux seules questions suivantes :

1. La personne mise en cause présente-t-elle une pathologie psychiatrique ?

2. Cette pathologie nécessite-t-elle des soins immédiats et, si oui, selon quelles modalités ?

3. L’état psychique de la personne justifie-t-il la réalisation à distance d’une expertise psychiatrique ?

- de travailler entre hôpital et tribunal les modalités d’organisation permettant de réaliser dans de bonnes conditions des expertises en réquisition.
Cet examen doit être considéré comme un examen psychiatrique de premier contact ayant essentiellement un but diagnostique et non comme une expertise psychiatrique approfondie. Il doit être strictement contextualisé (lieu et circonstances de la rencontre), relever la symptomatologie présente et rester prudent dans ses conclusions, sans chercher à restituer la dynamique de l’apparition des troubles et leur relation avec les faits reprochés, qui relèvent eux d’une expertise psychiatrique ultérieure.

Cet examen doit pouvoir être réalisé dans des conditions matérielles satisfaisantes. À cet égard, la commission d’audition rappelle l’actualité des recommandations de la conférence de consensus de 2004 sur l’intervention du médecin en garde à vue3, selon lesquelles « l’entretien du médecin avec la personne gardée doit être réalisé dans les délais les plus brefs, dans une langue réciproquement comprise, dans la confidentialité, la confiance et la sécurité ». La mise en place d’unités de psychiatrie médico-légale, telles qu’elles existent sur certains sites, peut avoir un intérêt quand elles vont dans le sens d’une organisation contractualisée entre parquet et hôpital.

II. Comment discuter l’abolition du discernement face aux évolutions récentes de la clinique et de la thérapeutique psychiatrique ?
L’expertise psychiatrique, à travers l’identification de l’abolition du discernement, a pour objet de donner des soins à la personne malade plutôt que de l’exposer à la sanction pénale prévue par la loi.
L’abolition du discernement concerne toutes les situations cliniques et médico-légales dans lesquelles l’expert peut mettre en évidence un lien direct et exclusif entre une pathologie psychiatrique aliénante au moment des faits et l’infraction commise. Le champ de l’abolition du discernement garde toute sa pertinence et n’est en rien amputé par celui de l’altération du discernement.
Dans aucun pays il n’a été possible de lister tous les états pathologiques conduisant a priori à une proposition d’abolition du discernement et donc à une irresponsabilité pénale, même si entrent dans ce cadre, pour la plupart des experts, les psychoses schizophréniques, les psychoses paranoïaques chroniques, les bouffées délirantes, les épisodes aigus des troubles bipolaires et les troubles dépressifs sévères ou les troubles confusionnels. Dans tous les cas, il s’agit d’étudier l’incidence de la pathologie diagnostiquée sur le passage à l’acte au moment des faits.
Dans l’hypothèse d’une récidive contemporaine d’une rechute liée à un arrêt de traitement, la discussion médico-légale doit prendre ce facteur en compte, sans que l’on impute au malade son inobservance, qui est fréquente dans les premières années d’évolution des psychoses schizophréniques quand l’alliance thérapeutique avec l’équipe de soins n’est pas encore solide.

III. Comment évaluer la dangerosité dans le cadre de l’expertise ?
L’expertise de pré-libération a pour objet l’évaluation de la dangerosité et l’appréciation du risque de récidive. Dans ces deux cas, il s’agit bien d’apprécier le risque de dangerosité et de récidive dans l’évolution clinique de la pathologie identifiée chez le malade et à travers l’observance thérapeutique que l’on peut attendre de lui. Pour autant, cette analyse clinique prospective ne donne en aucune façon une valeur prédictive absolue, le clinicien doit rester prudent et modeste. En outre, il convient d’éviter l’amalgame entre risque de rechute d’une pathologie psychiatrique et risque de récidive de l’acte délictueux.
Les experts de l’audition s’accordent pour considérer qu’il ne faut pas confondre dangerosité et maladie mentale. En première analyse, il convient toujours, en l’état des connaissances actuelles, de distinguer :
u la dangerosité psychiatrique : manifestation symptomatique liée à l’expression directe de la maladie mentale ;
u la dangerosité criminologique : prenant en compte l’ensemble des facteurs environnementaux et situationnels susceptibles de favoriser l’émergence du passage à l’acte.
L’évaluation de la dangerosité doit veiller à ne pas stigmatiser le « malade mental ». Elle doit différencier plusieurs points : la situation dangereuse, les facteurs de risque, le niveau de risque, les dommages causés. Il s’agit d’une démarche qui applique au sujet non seulement la recherche de facteurs cliniques (psychoses, troubles de la personnalité, etc.), mais aussi de facteurs biographiques et de facteurs contextuels, en sachant que ces derniers peuvent être soit favorisants, soit avoir une valeur de protection.
La notion de dangerosité est une notion infiltrée de subjectivité qui ne se réduit pas à une analyse psychiatrique et qui nécessite une perspective pluridisciplinaire : en ce sens on peut  parler de psychocriminologie.
Des instruments d’évaluation ont été proposés. La commission d’audition recommande la prudence quant à leur utilisation, qui doit toujours être réservée à des professionnels de santé confrontant les résultats de l’échelle utilisée à l’examen clinique.
Des travaux de recherche sont indispensables pour créer des échelles ou adapter les échelles anglo-saxonnes actuellement disponibles au contexte français.

IV. Expertise aux assises
Principes généraux
Il est recommandé aux experts, quelle que soit la nature des expertises demandées, que la rédaction tant du rapport que des conclusions soit faite dans un langage clair, précis et communément partageable par toutes les parties.

Possibilité d’une seconde expertise
Du fait de la temporalité particulière de la procédure criminelle, il peut s’écouler en moyenne 2 ans entre la commission des faits et leur jugement en cours d’assises. Durant ce laps de temps, la position du mis en examen vis-à-vis des faits peut avoir varié, les caractéristiques de sa personnalité évolué, et on a pu voir apparaître ou disparaître des troubles psychopathologiques. Il peut être souhaitable dans les cas particulièrement difficiles d’avoir recours à une seconde expertise dans les semaines précédant le jugement d’assises :
celle-ci pourrait avoir pour avantage de permettre une mise en perspective diachronique de l’évolution du justiciable et de sa position par rapport aux faits. L’article 283 du CPP permet, avant le procès d’assises, au président de diligenter une nouvelle expertise.

Documents nécessaires à l’expert
Il est indispensable que l’expert puisse disposer dans un délai compatible avec sa mission de toutes les pièces nécessaires pour documenter les antécédents de la personne examinée, en particulier les éventuels rapports d’expertise antérieurs et le dossier médical si le sujet en demande par écrit la communication ou si il semble à l’expert indispensable que le dossier soit saisi par le magistrat d’instruction.

Articulation des expertises psychiatriques et des examens médico-psychologiques
Trois niveaux d’expertise sont proposés, ainsi que l’articulation suivante entre l’expert psychiatre et l’expert psychologue (cf. tableau 1).
En outre le psychologue clinicien dispose d’outils spécifiques permettant d’évaluer certaines caractéristiques de la personnalité (épreuves projectives) et de mesurer les compétences cognitives.
Il ne semble pas souhaitable que, lorsque le magistrat demande une expertise psychiatrique et un examen médico-psychologique, un même professionnel réalise les deux missions.


Expertise conjointe
Bien que certains experts auditionnés aient souligné l’intérêt de l’expertise conjointe, en particulier au regard de la notion de lien victimologique, la commission d’audition recommande que ce soient deux experts différents qui assurent les expertises auprès de la victime et de l’auteur.

Expertise contradictoire
La récente loi du 5 mars 20074 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale introduit des éléments de procédure contradictoire dans la réalisation de l’expertise pénale. La commission d’audition estime que l’application de la loi ne sera pas simple, notamment dans les cours d’appel où le nombre des experts est très réduit ou quand ceux-ci sont peu expérimentés.

Tableau 1. Articulation des expertises psychiatriques et des examens médicopsychologiques

Expertise psychiatrique Examen médico-psychologique

Niveau 1 :
- identification d’une pathologie psychiatrique ;
- recherche d’une abolition éventuelle du discernement au moment des faits, conformément à l’article 122-1 alinéa 1 du CP ;
- recherche d’une altération éventuelle du discernement au moment des faits, conformément à l’article 122-1 alinéa 2 du CP ;
- évaluation de la dangerosité psychiatrique.

Niveau 2 :
- lecture psychodynamique du passage à l’acte dans ses rapports avec la personnalité et l’histoire du sujet.
Niveau 2 :
- lecture psychodynamique du passage à l’acte dans ses rapports avec la personnalité et l’histoire du sujet.
Niveau 3 (sous réserve de formations multidisciplinaires en criminologie à développer) :
- analyse psychocriminologique du passage à l’acte ;
- évaluation de la dangerosité criminologique.
Niveau 3 (sous réserve de formations multidisciplinaires en criminologie à développer) :
- analyse psychocriminologique du passage à l’acte ;
- évaluation de la dangerosité criminologique.

 

V. Expertise du mineur
La commission d’audition recommande :
u d’exiger que l’expert désigné pour évaluer un mineur (auteur ou victime) possède une compétence en pédopsychiatrie ou en psychiatrie de l’adolescent attestée par sa formation et par une pratique régulière de la spécialité ;
u dans le cas de l’expertise des mineurs auteurs d’infraction :

• de ne pas porter de diagnostic de personnalité avant l’âge de 16 ans, suivant ainsi les recommandations de l’OMS,

• de disposer de diverses sources d’information sur le développement de l’enfant ou de l’adolescent : dossier, procès-verbaux des officiers de police judiciaire, informations provenant de l’école, des éducateurs en cas d’assistance éducative,

• de rencontrer les parents et l’entourage familial. En effet, l’examen clinique ne suffit pas pour expliquer si le comportement délictueux est l’expression de troubles structurés évolutifs ou s’il s’agit d’un moment de crise développementale,

• d’officialiser la communication du dossier d’assistance éducative aux instances pénales pour la conduite des investigations et demander sa transmission aux experts et aux parties,

• de rechercher systématiquement, dans le cas particulier des mineurs auteurs d’agressions sexuelles, une victimisation antérieure, dont la fréquence est signalée ;

- dans le cas de l’expertise des mineurs victimes de violences sexuelles :

• de favoriser le recours à une expertise précoce qui peut être réalisée comme l’autorise la loi du 17 juin 19985 à la demande du parquet ou sur réquisition dans une unité médico-judiciaire pour mineurs,

• de visionner l’enregistrement audiovisuel réalisé pendant l’audition de la victime,

• d’être prudent quant à certaines techniques utilisées (interprétation des dessins de l’enfant, utilisation des poupées sexuées),

• d’évaluer soigneusement les mécanismes de l’emprise que peu(ven)t exercer le (ou les) adulte(s) sur le mineur,

• de recourir à l’entretien familial, essentiel pour la compréhension de la dynamique interne à la famille et l’évaluation de la récurrence transgénérationnelle des traumatismes d’ordre sexuel,

• d’abandonner l’expertise de crédibilité et de suivre le modèle d’expertise diffusé par la circulaire CRIM/AP n° 05-10/E1-02-05-20056.

VI. Expertise post-sentencielle de pré-libération
La commission d’audition préconise une grande prudence dans la réalisation de l’expertise de pré-libération et notamment dans l’évaluation de la dangerosité psychiatrique ou criminologique et dans l’indication du risque de récidive. La commission d’audition incite à toujours rappeler l’importance d’éviter l’amalgame entre risque de rechute d’une pathologie psychiatrique et risque de récidive de l’acte délictueux.

VII. Expertise post-sentencielle et injonction de soins
L’expert doit être conscient que son rapport d’expertise de pré-libération peut orienter les soins délivrés ultérieurement. Il doit agir avec modestie et savoir reconnaître les limites de sa compétence, dans le respect de la déontologie, en permettant cependant la transmission des informations nécessaires à la mise en place des soins, y compris éventuellement au probationnaire.
Il convient de préciser que l’expert doit disposer de l’ensemble des pièces nécessaires à l’accomplissement de sa mission, particulièrement le dossier pénal.
L’expert doit pouvoir s’appuyer sur les centres ressources disponibles tant pour l’aide à la décision que pour sa nécessaire formation.

Question 3.

Quelles doivent être les évolutions de la pratique de l’expertise psychiatrique pénale ?

I. La clinique expertale doit-elle se restructurer, se spécifier et répondre à de nouvelles demandes ?

L’expertise psychiatrique vient rassembler des éléments de clinique psychiatrique. Elle peut faire état de faits, d’un environnement psychologique et social, des circonstances contingentes du ou des passages à l’acte. Ces éléments, figurant dans le rapport de l’expert, viennent éclairer la justice sur le trouble mental et ses implications dans les faits, intégrant ainsi une dimension psychopathologique, avec ses limites, pour expliquer les faits.
Les expériences des experts tant dans leur pratique clinique psychiatrique que dans leur pratique d’expertise viennent apporter un éclairage aussi pertinent que possible entre une pathologie et des comportements, voire des faits. Les questions posées par les alinéas de l’article 122-1 du CP demandent des réponses alliant une connaissance de la clinique psychiatrique et plus particulièrement des pathologies impliquées dans des actes à caractère pénal.
La confrontation des expériences des différents experts, lors de l’audition, vient souligner l’intérêt de préciser une connaissance médico-légale qui soit consensuelle sur les troubles qui abolissent le discernement et ceux qui peuvent l’altérer, ainsi que sur les troubles qui abolissent le contrôle des actes ou qui l’entravent partiellement.
La psychiatrie médico-légale pourrait de manière plus homogène déterminer les processus intellectuels, affectifs ou émotionnels qui sont en cause. La réponse à la question cruciale posée par la société pourra être davantage satisfaisante si elle est la plus reproductible ou consensuelle d’une expertise à une autre.
Au-delà de la pathologie psychiatrique et des explications psychopathologiques, qui apportent des éléments de compréhension pour la réalisation des actes à caractère pénal, la clinique expertale doit bénéficier des apports d’une évaluation plus précise de certaines situations spécifiques aux confins de la psychopathologie individuelle.
Ainsi la question de l’interaction auteur-victime mérite attention et peut s’avérer déterminante pour une explication psychopathologique de faits délictueux ou criminels. Les consommations de produits à effet psychotrope sont aussi des facteurs déterminants pour certains passages à l’acte et il importe d’éclairer le contexte de ces consommations addictives qui entraînent des pathologies du comportement, soit dans le contexte d’une dépendance bien avant la commission des faits à caractère pénal, soit dans le cadre d’une consommation occasionnelle.
La question de la dangerosité revient nécessairement dans les questions posées par les juridictions pour que les sanctions pénales soient adaptées à la pathologie psychiatrique impliquée dans les actes commis, mais aussi aux autres pathologies psychiatriques, et à leur évolution respective avec le temps et les conditions de vie durant et après l’incarcération.
Les expertises post-sentencielles, qui se multiplient en raison de l’évolution du droit pénal, viennent interroger cette évolution des pathologies et des risques de récidive de faits à caractère pénal. Ainsi l’expert se trouve devoir répondre plus fréquemment à la question de la dangerosité.
Cette question implique pour l’expert une orientation prospective de l’expertise et demande de prendre en compte tant l’environnement des soins psychiatriques, avec les dispositifs nécessaires durablement pour les soins, que l’environnement psychosocial, qui par divers paramètres contribue à accentuer ou diminuer la dangerosité criminologique.

Dans cette évolution des demandes de la justice vis-à-vis de l’expertise psychiatrique pénale, la psychiatrie médico-légale doit se structurer davantage par la formation et la confrontation des experts pour que se dégagent des consensus quand ils sont possibles.

II. Quelles sont les conséquences pour les questions types posées aux experts ?

Les missions confiées aux experts se multiplient mais étendent le champ des questions posées par la justice, notamment pour les suites des sanctions pénales qui impliquent des risques liés à la dangerosité psychiatrique, mais aussi psychocriminologique. Les questions posées par les juges sont en effet appelées à se différencier suivant les situations et les attentes de la justice pour de meilleures coopérations entre la justice et l’environnement psychologique, médical et social. Parfois elles peuvent s’éloigner des réponses apportées par la psychiatrie médico-légale.
La commission d’audition recommande une actualisation et une harmonisation nationale, sous l’égide des ministères concernés et après avis de la communauté scientifique et juridique, des questions types posées aux experts.

III. Proposition de plan type du rapport de l’expert
Le plan type suivant est proposé.
a) Introduction
Présentation de l’expert, de la juridiction, de l’affaire et liste précise numérotée et exhaustive des questions posées.
b) Documents consultés
c) Rappel des faits
Dans ce court chapitre, l’expert doit rappeler les faits tels qu’ils apparaissent à travers les documents consultés et les propos du sujet en notant s’il existe une divergence entre sa position au fil de l’enquête et de la procédure.
d) Déroulement de l’examen
Ce chapitre, qui doit également être court, permet de situer la qualité de la relation expertale en fonction des conditions matérielles de l’examen, de l’investissement de l’expertisé, de sa compréhension de ce qu’est l’expertise ou encore de sa capacité à participer à un entretien. Cet aspect est beaucoup plus important qu’on ne le croit car on ne peut pas avoir la même certitude dans les conclusions en fonction des conditions de réalisation de l’expertise.
e) Lecture psychodynamique de la biographie
Principaux repères :
u identifications parentales, carences affectives et éducatives éventuelles, place dans la fratrie, développement psychomoteur, relations affectives intrafamiliales, image identificatoire de chacun des parents, scolarité et formation, vie professionnelle ;
- antécédents médico-chirurgicaux et psychiatriques, consommation ou non de toxiques, vie de relation et loisirs, type de rapports humains habituels, rapport à la violence ;
- particularités de la vie sexuelle : ces aspects doivent être évidemment privilégiés dans les infractions à caractère sexuel. Ils supposent de s’intéresser à de nombreux paramètres : développement de la sexualité depuis la petite enfance, existence ou non d’abus allégués, orientation de la sexualité en fonction des divers âges de la vie, âge des premières relations complètes, rapport sexualité et affectivité, type de relation avec les partenaires, intensité de la vie sexuelle (hyper ou hyposexualité), déviances éventuelles, évolution de la sexualité au fil du temps, maltraitance et violences.
f) Examen psychiatrique
Il doit être construit comme une observation psychiatrique classique à laquelle s’ajoutent certains aspects spécifiques de la clinique expertale.
La commission d’audition insiste sur les aspects les plus particuliers. Il est utile de retenir que dans une grande proportion de cas cet examen est négatif, c’est-à-dire qu’il ne met en évidence aucune pathologie psychiatrique grave. Il est néanmoins nécessaire que la rédaction du rapport puisse permettre aux lecteurs de vérifier que tous les aspects importants ont été explorés. Ainsi est-il préférable d’affirmer qu’il n’y a pas de pathologie dépressive ou pas de déficience intellectuelle plutôt que de ne rien mentionner, ce qui ne permet pas aux lecteurs de savoir si cela a été oublié par l’expert ou absent chez le sujet.
Quelques points spécifiques doivent toujours être mentionnés :
- qualité du contact ;
- fonctionnement intellectuel et cognitif (attention, concentration, mémoire, compréhension, association idéique, jugement, raisonnement, etc.) ;
- pathologie thymique ou troubles de l’humeur ;
- troubles psychotiques ;
- structure de personnalité ;
- mécanismes de défense habituellement utilisés, en insistant sur leur caractère souple ou au contraire rigide et répétitif ;
- gestion de l’agressivité et impulsivité ;
- caractéristiques de la sexualité ;
- rôle des substances psycho-actives au moment de l’acte ;
- selon les circonstances il peut être utile de développer à ce niveau les arguments qui permettront ensuite de préciser le lien victimologique.

g) Discussion
Elle doit permettre au lecteur de suivre clairement le cheminement intellectuel et clinique aboutissant aux réponses aux questions posées dans la mission.
Cette discussion peut développer trois niveaux d’analyse :
- analyse psychiatrique ;

- analyse du passage à l’acte et du lien victimologique, nourrissant la réflexion des acteurs pour comprendre l’acte et ainsi éviter au sens propre le pré-jugé ;

- analyse psychocriminologique, reliant l’acte à des éléments d’environnement, au type de lien victimologique et ouvrant sur la possibilité d’évaluer le risque de récidive. Cette approche pluridisciplinaire nécessite une formation, des connaissances et des pratiques spécifiques.

h) Conclusion
L’expert, dans cette partie, doit répondre précisément, dans l’ordre donné et de façon exhaustive, à chacune des questions posées dans la mission. Les réponses doivent être courtes et précises. Elles ne peuvent que reproduire des éléments qui sont apparus dans la discussion. Toute réponse qui laisserait apparaître des éléments qui n’ont pas été discutés auparavant est à proscrire, car elle ferait perdre la crédibilité à l’expertise.

 

Question 4.

Quelles doivent être les règles éthiques et déontologiques dans la pratique de l’expertise ?

Il paraît nécessaire à la commission d’audition de rappeler en préambule un certain nombre de règles communes aux pratiques expertales :

- séparer les fonctions de médecin expert et de médecin traitant ;

- respecter le secret médical en limitant le contenu du rapport à ce qui est directement et exclusivement nécessaire à l’accomplissement de la mission et à la réponse aux questions posées ;

- rester neutre vis-à-vis des éléments de l’accusation ;

- rester dans le cadre de ses compétences (l’expertise d’un enfant devrait toujours être  réalisée par un pédopsychiatre, une expertise à orientation psychocriminologique ne devrait être réalisée que par un professionnel formé à la psychocriminologie et dans une approche multidisciplinaire) ;

- les prescriptions thérapeutiques n’entrent pas dans le cadre de l’expertise ;

- la dualité de l’expert doit être demandée dans les affaires les plus graves.

I. Lorsque les faits ne sont pas avérés, lorsque la personne les nie durablement, quelle attitude l’expert doit-il avoir dans sa réponse aux questions types ?
En l’absence de pathologie psychiatrique majeure, la description des traits de personnalité doit se limiter à une observation clinique objective. Lorsque l’examen ne retrouve que des traits de personnalité, l’expert doit garder à l’esprit que l’implication ou non du sujet dans les faits incriminés demeure comme une inconnue fondamentale dont la levée pourrait modifier des conclusions hâtives ou imprudentes. Dans ce contexte de négation des faits, l’expertise ne doit pas dégager de traits de personnalité qui seraient utilisés comme argument à charge.
La question de l’injonction de soins pour les auteurs d’agressions sexuelles a été tranchée par la conférence de consensus de novembre 20017 qui recommande que la négation des faits poursuivis soit considérée comme une contre-indication à toute injonction de soins.

II. Quels peuvent être les fondements et la dynamique évolutive de la déontologie expertale, de l’articulation avec les autres experts et professionnels ?
La commission d’audition préconise le développement des interfaces entre psychiatres et psychologues experts, lors de la formation initiale des deux catégories de professionnels comme lors de la formation continue. Des lieux de réflexion tels que colloques ou congrès spécialisés sont aussi à développer, notamment dans un contexte francophone.

III. Cas particulier de l’expertise de crédibilité
La commission d’audition recommande aux magistrats de supprimer définitivement les missions d’expertise de crédibilité.

 

Question 5.

Comment développer la qualité expertale ?

La commission d’audition recommande que la formation des experts soit renforcée par toute formation universitaire appropriée et associe pluridisciplinarité, formation initiale et au cours du troisième cycle, formation continue et tutorat, et qu’elle s’intègre dans l’évaluation des pratiques professionnelles selon ses nouvelles modalités. Il serait utile que soient reprécisées par le législateur les conditions d’acquisition de la qualité d’expert et les conditions de suivi de la compétence de l’expert dans le temps. Cela suppose une meilleure articulation entre les cours d’appel et les universités contribuant à la formation en troisième cycle des experts et en lien avec les compagnies d’experts. L’amélioration de la qualité des expertises passe par une formation attractive dont le compagnonnage représente un facteur essentiel.
Une revalorisation de la rémunération des expertises psychiatriques pénales devrait être réalisée afin que les revenus des psychiatres qui acceptent de donner du temps à l’expertise psychiatrique pénale se situent au même niveau que les revenus qu’ils pourraient obtenir dans des pratiques institutionnelles réglementaires et en tenant compte de leurs responsabilités et des nécessités de formation complémentaire indispensable pour la pratique expertale.
La commission d’audition préconise également d’améliorer les conditions dans lesquelles sont réalisées les expertises en détention, ce qui suppose une diminution des temps d’attente, l’assouplissement des jours et tranches horaires d’accueil, et la mise à disposition de locaux adaptés permettant la confidentialité et des conditions de sécurité optimales.
La commission d’audition recommande que l’analyse psychocriminologique et de la dangerosité criminologique, située hors du champ clinique de la psychiatrie, fasse appel à des compétences spécifiques s’appuyant sur une formation complémentaire pour les psychiatres et les psychologues.
La commission d’audition recommande que l’usage éventuel des échelles d’évaluation du risque de dangerosité soit réservé aux cliniciens et ne soit pas dissocié d’une évaluation clinique.
S’inspirant des autres centres ressources, en particulier de ceux concernant l’aide au traitement des délinquants sexuels prévus par la circulaire du 13 avril 20068, la commission d’audition recommande la mise en place de centres ressources expérimentaux concernant d’autres types de délinquance. Ceux-ci pourraient avoir un rôle pilote dans la formation des futurs experts et dans le développement de programmes de recherche multidisciplinaires dans ce domaine. Il est souhaitable, à moyen terme, qu’une articulation et une coopération puissent s’opérer entre ces différents types de centres ressources.
La commission d’audition recommande le développement de travaux de droit pénal comparé entre les différents pays européens, mais aussi de recherches multidisciplinaires portant plus spécifiquement sur l’expertise psychiatrique pénale.

Notes

1. Art. 122-1 alinéa 2 du CP : « La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. »

2. Ministère de la Justice et ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille. Rapport de la commission Santé-Justice présidée par Jean-François Burgelin. Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive. Juillet 2005.

3. Collégiale des médecins légistes hospitaliers et hospitalo-universitaires et Société de médecine légale et de criminologie de France. Conférence de consensus. Intervention du médecin auprès des personnes en garde à vue. Décembre 2004.

4. Loi n°2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale.

5. Loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs.

6. Circulaire du ministère de la Justice CRIM/AP n° 05-10/E1 du 2 mai 2005 relative à l’amélioration du traitement judiciaire des procédures relatives aux infractions de nature sexuelle diffusée pour attribution et application immédiate aux procureurs généraux près les cours d’appel et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance, faisant suite au rapport du groupe de travail réuni par la Chancellerie dans les suites de l’affaire dite « d’Outreau » avec charge d’en tirer des enseignements (rapport dit Viout, février 2005).

7. Fédération française de psychiatrie. Conférence de consensus. Psychopathologies et traitements actuels des auteurs d’agressions sexuelles. Novembre 2001.

8. Circulaire n° DHOS/DGS/02/6C/2006/168 du 13 avril 2006 relative à la prise en charge des auteurs de violences sexuelles et à la création de centres de ressources interrégionaux.

 

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Communiqué de presse

A l’instigation de la Direction Générale de la Santé, la Fédération Française de Psychiatrie, avec le partenariat méthodologique de la Haute Autorité de Santé, a organisé une audition publique sur l’expertise psychiatrique pénale qui s’est tenue au ministère de la Santé les 25 et 26 janvier 2007. Cette audition publique, organisée selon la méthode de la Haute Autorité de Santé, a permis l’audition de 22 experts psychiatres, psychologues ou magistrats français, canadiens ou suisses sur les problèmes posés par l’expertise psychiatrique pénale, dans son incidence sur l’équilibre entre hôpital et prison, comme dans sa réalisation dans les différents temps du procès pénal et dans l’application des peines. Après deux journées d’audition des experts, une commission pluridisciplinaire composée de professionnels de la santé et de la justice, d’universitaires mais aussi de représentants de la société civile et notamment de familles des malades, a durant le week-end suivant rédigé un rapport de synthèse et proposé des recommandations pour faire évoluer la pratique expertale.

En préalable, la commission d’audition constate que l’expertise psychiatrique pénale connait une période de crise comme en témoignent la décroissance continue du nombre des experts et leur très faible renouvellement par de jeunes praticiens, mais aussi le peu d’irresponsabilités pénales prononcées en application de l’article 122-1 alinéa 1 du Code pénal qui a été considéré comme une des raisons de la surreprésentation de malades mentaux dans les établissements pénitentiaires. La commission constate que nombre d’experts retiennent souvent non pas une abolition du discernement (article 122-1 alinéa 1 CP) mais une altération du discernement (article 122-1 alinéa 2). Cette altération du discernement concerne des malades mentaux qui sont souvent sur-pénalisés. La commission est favorable à une réécriture de l’article 122-1 alinéa 2 permettant une atténuation de peine assortie d’une obligation de soins.

La commission insiste sur l’importance des réquisitions réalisées à la demande des parquets, pour que soient le plus rapidement possible repérés les malades mentaux et qu’ils obtiennent les soins dont ils relèvent. La commission recommande que les réquisitions ne comportent que trois questions (et non pas l’intégralité de la mission d’expertise pénale) : la personne mise en cause présente t’elle une pathologie psychiatrique, cette pathologie nécessite t’elle des soins immédiats et selon quelles modalités ?

L’expertise psychiatrique pénale remplit de moins en moins le rôle de filtre visant à repérer les malades mentaux afin de leur donner les soins appropriés et n’assure plus la fonction de régulateur en prison et hôpital. Les raisons de ce dysfonctionnement largement débattu sont apparues multiples tenant à l’évolution sanitaire comme judiciaire : renouveau de la clinique et de la thérapeutique, désinstitutionnalisation psychiatrique, mais aussi développement des  procédures de jugement rapide et surtout priorité donnée par la justice aux expertises post-sententielles et de pré-libération visant à évaluer la dangerosité et les risques de récidive. De l’expertise diagnostique nous sommes ainsi passés à une expertise de prédiction de la dangerosité quittant le champ de la clinique psychiatrique pour se situer dans un champ psychocriminologique. La commission recommande de donner priorité à l’expertise diagnostique pré-sententielle et de limiter la multiplication des conditions de recours à l’expertise de dangerosité qui fait appel à des références psychocriminologiques allant bien au-delà de la clinique psychiatrique et demandant une formation spécifique multidisciplinaire qui n’est pas encore assez développée dans notre pays.

La commission propose d’analyser les missions de l’expertise psychiatrique pénale en trois niveaux :

- Le niveau 1 représentant l’expertise diagnostique : identifier une maladie mentale, déterminer si elle a été déterminante sur le passage à l’acte criminel en abolissant ou altérant le discernement du sujet au moment des faits et proposer les soins dont relève la personne ;
- Le niveau 2 d’analyse psychopathologique du passage à l’acte visant a éclairer la justice sur le développement de la personnalité du sujet, son aménagement défensif et son fonctionnement affectif et relationnel ; ce niveau est souvent partagé avec l’examen médico-psychologique réalisé par un psychologue.
- Le niveau 3 d’analyse psychocriminologique du passage à l’acte criminel nécessitant  une formation complémentaire pour les psychiatres comme pour les psychologues.

La commission d’audition a mesuré la difficulté à aborder le problème de la dangerosité. Elle propose de continuer à séparer la dangerosité psychiatrique, en rapport avec l’évolution d’une maladie mentale identifiée, et la dangerosité criminologique, qui prend en compte l’ensemble des facteurs environnementaux et situationnels susceptibles de favoriser le passage à l’acte.

La commission rappelle que violence et maladie mentale ne se superposent pas et que, par exemple, pour les homicides moins de 5% sont réalisés par des malades mentaux, ou que pour les auteurs de violences sexuelles moins de 1% sont porteurs d’une maladie mentale évolutive.

Pour la commission, les échelles d’évaluation de la dangerosité doivent toujours être accompagnées d’un examen clinique réalisé par un professionnel de santé.

La commission propose un plan type du rapport d’expertise et constate que l’abolition du discernement a bien pour objectif de donner des soins à la personne malade plutôt que de l’exposer à la sanction pénale prévue par la Loi. Le champ de l’abolition du discernement garde toute sa pertinence dans ce sens et n’est en rien amputé par l’altération du discernement.

La commission insiste sur l’importance de la clinique psychiatrique médico-légale sur la formation des praticiens comme des experts à l’évolution de celle-ci. Elle redit l’importance des règles éthiques et déontologiques dans la pratique de l’expertise et incite à une formation multidisciplinaire rapprochant psychiatres, psychologues, praticiens du droit et sociologues pour le niveau d’analyse psycho-criminologique de l’expertise.

Pr Jean-Louis SENON, Dr Gérard ROSSINELLI,
Dr Jean-Charles PASCAL, Dr Olivier LEHEMBRE

télécharcher le rapport format pdf

 

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contact : Monique Thurin



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