Pour la Recherche n° 54

Méthodologie de l'évaluation en psychiatrie et en santé mentale.
Colloque Inserm du 30 mai 2007.

Editorial - JM Thurin et le Comité de rédaction
Ouverture - Christian Bréchot
Introduction du colloque - Jean-Marie Danion
Différences et convergences des mesures objectives et des mesures subjectives - Bruno Falissard
Prêt-à-porter ou sur mesure - Daniel Widlocher
Méthodologies des études intensives de cas réunis en cohortes dans l'évaluation des psychothérapies - Jean-Michel Thurin
Résumé de David Cohen
Les méthodes d'évaluation des thérapies psychanalytiques de l'enfant - Geneviève Haag
La méthode du cas unique en psychopathologie - Martial Van der Linden
Proposition et synthèse - Pierre Delion

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Comité de Rédaction et remerciements

Editorial - Jean-Michel Thurin et le Comité de rédaction

L'évaluation s'appuie sur des méthodologies qui se rapportent à une finalité. Dans le champ de la psychiatrie et de la santé mentale, deux grandes orientations existent : celle centrée sur la santé publique (efficacité et sécurité des dispositifs et leur accès) ou individuelle (réduction de la souffrance, du handicap, de la maladie et développement des capacités de relations, de création et de bien-être) et celle centrée sur le coût humain et financier que cela représente. Ces deux dimensions ne s'opposent pas. Les études d'économie de la santé ne portent plus seulement sur le coût direct des soins. Elles commencent à prendre en compte également les coûts indirects, leurs relations aux trajectoires individuelles et aux répercussions sur l'entourage (et notamment sur les enfants), non seulement de la psychose, mais aussi de la dépression, de l'anxiété, des troubles de la personnalité et des addictions. Effets que le praticien constate en permanence et qu'il essaye de réduire tant ils sont source de souffrance et de gà¢chis humain.

Un autre aspect de l'évaluation est celui du progrès. Il peut être abordé de façon générale (p.e., découvrir une technique plus efficace) ou impliquer directement la question de la productivité (obtenir des résultats analogues en un temps plus court). Il serait naàf de penser que seul le premier aspect intéresse le praticien. Les travaux sur la constitution des outils et des techniques montrent que l'humain a toujours déployé une inventivité particulière pour simplifier une tà¢che et la rendre plus attractive ou moins ennuyeuse. Mais également, l'intervention la plus rapide n'est pas toujours la plus efficace à moyen et long terme. La psychiatrie n'est pas une simple activité spirituelle ou prescriptive. C'est une action humaine complexe qui participe à la santé et à la productivité sociale.

Une des questions centrales est de savoir si et comment l'évaluation peut participer à répondre à des questions qui se posent dans la pratique et à accroître les connaissances dans le champ clinique et au delà . Beaucoup le pensent et c'est une orientation majeure qui est déjà engagée, notamment dans le champ des psychothérapies. Après une longue période oà’ la méthodologie était adaptée au laboratoire et à des questions portant sur l'efficacité "idéale" au détriment parfois dramatique de la réalité clinique, une profonde mutation est en cours dans laquelle les praticiens sont appelés à jouer un rôle essentiel aux côtés des chercheurs.  

Ce numéro de PLR est consacré au colloque du 30 mai que Christian Bréchot souhaitait dans la continuité du travail sur les expertises de l'Inserm et que Jean-Marie Danion a inscrit dans le cadre d'un état des lieux des méthodes d'évaluation existant en psychiatrie, en neurosciences et en sciences humaines et sociales. Un premier prolongement en est la rédaction du projet d'un Réseau de recherches cliniques fondées sur les pratiques psychothérapiques, déposé à l'Inserm le 13 septembre 2007.
Un grand nombre de cliniciens sont déjà volontaires pour y participer..


Ouverture

Christian Bréchot - DG de l'inserm

Nous sommes ensemble aujourd'hui pour le suivi d'une démarche d'expertise autour de la psychiatrie, de l'évaluation des psychothérapies, des troubles des conduites qui a apporté un certain nombre d'éléments qui ont suscité débat, ce qui est bien. Un premier colloque, qui était nécessaire et a été très positif, s'est tenu en novembre sur le suivi des troubles des conduites qui a permis à tout le monde, et c'était vraiment notre but, de s'exprimer. Il a conduit, au delà des parti-pris, à dégager des pistes de recherche.
Aujourd'hui, c'est le suivi de cette démarche : on identifie des pistes de recherche, on identifie des domaines dans lesquels nous avons clairement besoin de partager et de travailler et un des domaines sortant, sans surprise d'ailleurs, était la méthodologie de l'évaluation en psychiatrie et en santé mentale, d'oà’ l'organisation de ce colloque.

Il sera suivi par d'autres colloques, d'autres séminaires sur des pistes de recherche avec toujours cette idée que l'ensemble des acteurs et des utilisateurs de cette recherche, de l'évaluation dans le cas présent, puissent participer à la réflexion.

C'est le premier point, pour dire simplement que ce séminaire est cohérent avec une démarche générale : on part de l'expertise, on identifie des objets sur lesquels on a besoin de travailler et on se donne la possibilité de réaliser des séminaires pour travailler en commun sur ces pistes qui ont été identifiées.

Le deuxième point très rapide est de dire qu'il y a un véritable engagement de l'Inserm dans le soutien à la recherche dans le domaine de la santé mentale. Nous souhaiterions toujours faire plus, mais je voudrais vraiment rappeler qu'au cours des années précédentes, l'Inserm s'est engagé et continuera à s'engager dans ce domaine, que ce soit pour les programmes de soutien à l'émergence de nouvelles équipes comme le programme Avenir. Au cours des trois dernières années, trois programmes Avenir ont été ciblés sur cette thématique de recherche, que ce soit au niveau des contrats d'interface qui permettent aux chercheurs de transférer davantage leurs connaissances au soin et à la santé publique, que ce soit au niveau des contrats d'interface pour médecins, y compris à des médecins non hospitaliers leur permettant de consacrer plus de temps à la recherche .

Nous avons fléché la santé mentale comme l'un des domaines que nous souhaitions encourager de façon forte et de fait six personnes ont pu bénéficier de ces mesures au cours des trois dernières années.
Nous avons créé des unités de recherche spécialisées dans ce domaine.

Nous avons également crée des réseaux de recherche en clinique et en santé des populations, certains de ces réseaux sont ciblés dans le domaine de la santé mentale. C'est bien, nous pouvons faire plus. Ces réseaux peuvent inclure des équipes européennes et internationales. Ce sont des réseaux qui se créent de façon souple, il n'y a pas de bureaucratie. Ils peuvent accueillir des personnes d'horizons extrêmement variés et peuvent dans certains cas aboutir à de véritables unités de recherches en réseau qui donnent du temps à la recherche dans ce domaine et nous savons que le facteur temps est important.
Enfin, nous avons tous les efforts de liaison avec les associations, avec le GRAM (Groupe de réflexion avec les associations de malades) dont beaucoup dans le domaine de la santé mentale et aussi le comité d'interface Inserm-Psychiatrie. Nous avons ouvert la participation à ce comité à de nombreuses personnes au cours des derniers mois y compris des personnes, et c'est tout à fait normal, qui n'étaient pas favorables aux conclusions de la fameuse expertise collective de l'Inserm. Nous pensons que c'est la diversité d'opinions des personnes qui peut générer ensuite des suggestions qui soient vraiment intéressantes.

Et enfin l'ouverture internationale que j'ai déjà un peu mentionnée. J'ai eu le plaisir de participer récemment à une réunion avec B Falissard et son équipe entre la France et le Canada, je pense que l'on peut donner beaucoup d'autres exemples.

Je suis très heureux de ce suivi. L'Inserm a su, je crois, au cours des derniers mois, adapter ses procédures d'expertise collective pour mieux répondre à certaines demandes d'un champ spécifique, mais sans du tout abandonner ce qui est vraiment l'esprit de ces expertises.
Ces expertises ne sont pas une fin en soi. Elles sont au contraire le début d'un processus qui doit permettre d'aller beaucoup plus loin dans la réflexion. Je pense que le titre d'aujourd'hui « La méthodologie de l'évaluation en psychiatrie et en santé mentale » me paraît à l'évidence un point majeur.

Je serai vraiment très attentif aux propositions qui seront faites au cours de cette journée à propos des différentes pistes de recherche.

Je vous remercie et vous souhaite une bonne réflexion.

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Introduction

Jean-Marie Danion

L'objectif de cette journée est de rappeler les grands principes méthodologiques de l'évaluation en psychiatrie et en santé mentale, de dresser un état des lieux des méthodes d'évaluation existant en psychiatrie, en neurosciences et en sciences humaines et sociales, et de présenter un certain nombre d'innovations récentes en matière d'évaluation. Cette journée se situe dans la suite du colloque du 14 novembre consacré au Trouble des conduites et, plus largement, des expertises collectives réalisées par l'Inserm dans le domaine de la psychiatrie et de l'évaluation des psychothérapies. Elle a été organisée par un conseil scientifique désigné par le comité d'interface Inserm-Psychiatrie, élargi à des personnalités extérieures à ce comité. La journée a été voulue délibérément pluridisciplinaire, faisant appel à des cliniciens-chercheurs en psychiatrie d'adultes et en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, ainsi qu'à des spécialistes en neurosciences et en sciences humaines et sociales. J'ai préparé cette intervention avec Alain Ehrenberg, Catherine Barthélémy et Michel Botbol. J'évoquerai tout d'abord les deux grandes raisons qui nous ont convaincus de l'intérêt d'organiser une journée scientifique sur le thème de l'évaluation, puis j'expliciterai la logique qui a présidé au choix des interventions de la journée.

Pourquoi le thème de l'évaluation ?

Quel qu'en soit le domaine, les pratiques de recherche et les pratiques de soins ne peuvent s'affranchir de la nécessité d'évaluer. Or les méthodes d'évaluation utilisées en psychiatrie et en santé mentale et les outils d'évaluation tels que les échelles, les grilles et les questionnaires ont été régulièrement critiqués lors du colloque du 14 novembre et après la parution de chaque expertise collective en psychiatrie et en santé mentale. La contestation est allée parfois jusqu'à affirmer l'impossibilité d'évaluer les phénomènes psychiques, notamment dans leur composante subjective. Cette forme extrême de contestation s'inscrit plus largement dans le refus de toute démarche scientifique en psychiatrie. Plus souvent, la contestation a paru refléter une confusion entre les pratiques de recherche et les pratiques de soins, le clinicien voyant mal ce qu'il peut gagner de l'utilisation d'échelles, de grilles ou de questionnaires dans sa pratique quotidienne. Cette confusion entre pratiques de recherche et pratiques de soins est vraisemblablement l'expression d'un manque d'information et de formation scientifiques. Une information sur la méthodologie de l'évaluation est donc apparue nécessaire, et ceci d'autant plus que certains cliniciens ont fait la demande de pouvoir participer directement à des recherches cliniques. C'est la première raison qui nous a conduit à choisir le thème de l'évaluation.

Cependant, si certaines critiques ne semblent pas véritablement fondées, force est de reconnaître que d'autres sont parfaitement légitimes. Elles ont en commun de constater l'existence d'une distance entre les préoccupations des chercheurs et celles des cliniciens. Se dégage le sentiment que les recherches sont si éloignées, ou si simplificatrices, ou au contraire si complexes par rapport aux réalités quotidiennes auxquelles sont confrontés les acteurs de terrain qu'elles sont totalement dénuées de pertinence pour la pratique quotidienne. Ces critiques légitimes justifient la poursuite du débat et appellent, chaque fois que possible, des réponses concrètes et précises. C'est la deuxième raison qui nous a conduit à organiser cette journée : apporter des éléments de réponse aux questions qui ont été soulevées lors de certaines expertises collectives en santé mentale ou, plus modestement, dégager des pistes de réflexion. Quelles sont les principales critiques ?

Elles sont de trois ordres :
1. Les recherches publiées sont habituellement réalisées dans des contextes très différents de la pratique quotidienne. Se trouve donc posée la question du caractère généralisable des conclusions d'une recherche à la pratique quotidienne.

2. La singularité de chaque patient n'est pas prise en compte, alors que les praticiens la considèrent comme déterminante dans le suivi thérapeutique, et aucune analyse psychopathologique individuelle n'est réalisée.

3. La dimension subjective et psychodynamique des troubles psychiatriques n'est pas prise en compte.

Le caractère généralisable de la recherche.

Un bon exemple permettant d'illustrer les difficultés rencontrées dans le transfert des données de la recherche à la pratique quotidienne, et dont nous parlera Jean-Pierre Lépine, est celui de l'essai clinique comparant un médicament à un placebo à l'aide d'une méthodologie en double aveugle. Une première difficulté méthodologique apparaît d'emblée. Dans ce type d'essai, dont il ne s'agit pas de contester l'utilité, le contexte expérimental est à l'évidence très différent du contexte clinique habituel dans la mesure oà’ ni le médecin ni le malade ne savent quel traitement est administré. Rien n'assure alors que la différence d'efficacité constatée dans la situation expérimentale puisse être transposée à la pratique clinique quotidienne. Cette difficulté méthodologique existe en médecine somatique, mais est probablement plus marquée en psychiatrie et en santé mentale car les facteurs biologiques, psychologiques et institutionnels y sont étroitement intriqués. C'est tout particulièrement le cas lorsqu'il s'agit d'évaluer l'efficacité d'une psychothérapie : le cadre expérimental requis par la démarche scientifique ne risque-t-il pas d'interférer avec le processus de soin et donc de biaiser les résultats ?

A cette difficulté méthodologique de fond s'ajoute le fait que les patients sélectionnés pour participer aux essais cliniques sont très différents des patients rencontrés par le clinicien dans la « vraie vie » de la pratique quotidienne. Ceux-ci sont pris en charge dans des contextes institutionnels et sociologiques très divers et se caractérisent par leur hétérogénéité clinique, la fréquence des polymédications et la fréquence de la comorbidité. Il a ainsi été montré que ces patients ont au moins une maladie psychiatrique ou somatique surajoutée au trouble psychiatrique pour lequel ils sont prioritairement traités. Ces caractéristiques sont autant de facteurs d'exclusion dans les essais cliniques, facteurs au demeurant parfaitement justifiés par la rigueur méthodologique requise. De plus, les essais cliniques sont réalisés par une minorité de services psychiatriques, dont le recrutement est fortement biaisé. Une fraction seulement des patients ayant des troubles psychiatriques est prise en charge par des spécialistes, et seule une partie de ce sous-groupe de patients atteindra les services psychiatriques réalisant des essais cliniques. Ces services procéderont alors à une sélection souvent drastique pour réaliser l'essai clinique. Pour ces différentes raisons, les patients participant à des essais cliniques sont habituellement peu représentatifs de ceux que les praticiens prennent en charge au jour le jour, ce qui met bien sûr en question le caractère généralisable à la pratique quotidienne des conclusions de ces essais cliniques.

Enfin, force est de constater qu'en pratique quotidienne, la prise en charge d'un patient ayant un trouble psychiatrique repose toujours sur une approche globale et, bien souvent, sur une association de plusieurs thérapeutiques, par exemple une psychothérapie et un traitement médicamenteux. Ce caractère à la fois global et diversifié des prises en charge rend compte de leur complexité, complexité que, pour des raisons méthodologiques parfaitement légitimes, l'essai clinique va chercher à réduire. C'est ainsi que l'efficacité d'un psychotrope est souvent évaluée chez des patients pris en charge sur le plan psychothérapique, mais à la condition expresse que rien ne change dans cette prise en charge. Comme s'il était possible que l'inclusion dans un essai médicamenteux n'ait pas d'effets sur le déroulement de la psychothérapieÅ Faute d'être reconnue pour ce qu'elle est, l'interaction entre les deux approches thérapeutiques ne peut donc être prise en compte dans l'interprétation des résultats de l'essai clinique.

Toutes ces raisons font que le clinicien a le sentiment, à tort ou à raison, de ne pas disposer de l'information scientifique lui permettant de prendre les décisions appropriées dans sa pratique quotidienne et qu'il aura tendance à disqualifier la recherche clinique. Comment peut-on améliorer cette situation ? Le transfert des données de la recherche à la pratique clinique bénéficie à l'évidence des conférences de consensus, dont les recommandations sont issues d'un débat entre chercheurs et cliniciens. Mais ces conférences de consensus ne sauraient suffire. Les autorités de santé en sont conscientes et suggèrent la réalisation d'études observationnelles de terrain, il est vrai moins rigoureuses et plus difficilement interprétables que les recherches traditionnelles, mais dont les résultats permettent de corroborer utilement les données issues de ces recherches traditionnelles. Des exemples de ce type d'étude, qui suppose la constitution de cohortes de patients, nous seront présentés par Viviane Kovess et Jean-Michel Thurin.

Les autorités de santé suggèrent également d'étudier les effets combinés de plusieurs traitements, à la recherche de possibles synergies thérapeutiques. La complexité des questions posées implique donc des approches pluridisciplinaires réunissant par exemple des spécialistes du médicament et des psychothérapeutes. Ceci suppose bien évidemment pour les différents spécialistes de lutter contre le cloisonnement des disciplines en travaillant ensemble. Cette même complexité implique également que les réponses ne puissent généralement pas être apportées par une seule étude, mais par un véritable programme de recherche, délibérément conçu pour avancer pas à pas. Ce programme de recherche va de l'étude méthodologiquement rigoureuse, réalisée avec des patients hautement sélectionnés et donc peu représentatifs des patients tout venant, aux études de terrain, réalisées avec des patients beaucoup plus représentatifs et prenant en compte la réalité de la pratique clinique quotidienne.
La réalisation de telles études, que les anglo-saxons regroupent sous le terme générique de « practice-based research », repose idéalement sur la mise en place de réseaux de recherche nationaux. Ceux-ci ne sauraient bien sûr pas résoudre tous les problèmes. Ils se heurtent notamment au fait que leur fonctionnement repose pour une part sur des praticiens qui n'ont pas été formés à la recherche clinique et qui, en raison de leurs activités cliniques, ne peuvent consacrer à la recherche qu'un temps limité. Mais l'organisation en réseau à l'échelle d'un pays permet de constituer de vastes cohortes et de garantir la représentativité des patients. Les réseaux permettent également d'étudier les pratiques de soins et le contexte institutionnel, ainsi que les effets d'une modification du système de soins sur le devenir des patients. En favorisant le dialogue entre chercheurs et cliniciens, ils ont enfin l'intérêt d'améliorer le transfert des données de la recherche vers la pratique quotidienne.

La prise en compte de la singularité de chaque patient

La recherche en psychiatrie et en santé mentale est essentiellement fondée sur des études de groupes de patients. Les études au cas par cas sont virtuellement inexistantes en psychiatrie et en santé mentale, alors qu'elles seules sont susceptibles de prendre en compte la singularité de chaque patient sur la base d'une analyse psychopathologique individuelle. S'il est vrai que la plupart des chercheurs ont longtemps rejeté l'analyse psychopathologique individuelle, considérée comme peu rigoureuse et ne faisant l'objet d'aucun consensus, il n'en est pas moins vrai que le caractère excessivement réductionniste de certaines recherches actuelles apparaît aujourd'hui clairement. Ce réductionnisme excessif est dénoncé non seulement par les psychiatres français, mais également par certains psychiatres européens et nord-américains, et non des moindres (Nancy Andreasen par exemple, qui a joué un rôle majeur dans le développement des DSM).

Il apparaît ainsi, de plus en plus, que la prise en compte de la singularité de chaque patient et l'analyse psychopathologique individuelle sont cruciales dans de nombreux domaines, comme par exemple celui de l'évaluation de l'efficacité des psychothérapies dont nous parleront cet après-midi Jean-Michel Thurin et Daniel Widlöcher pour les adultes, et Catherine Barthélémy et Geneviève Haag pour les enfants. Ces études sont cependant confrontées à un problème majeur : une prise en charge psychothérapique étant nécessairement unique, non répétable et ne pouvant donner lieu qu'à une description individualisée, comment intégrer l'analyse psychopathologique individuelle dans l'évaluation de l'efficacité de la psychothérapie et dégager à partir de cas singuliers des règles de portée générale ? Mais des solutions existent d'ores et déjà pour prendre en compte la dimension propre à chaque patient, même s'il ne faut pas se cacher les difficultés conceptuelles et méthodologiques à résoudre. Une solution repose sur le recours à la méthode dite du cas unique. Le pionnier en la matière est Freud qui a tenté de dégager des lois universelles à partir d'observations cliniques uniques. La méthodologie actuelle du cas unique, dont la valeur scientifique est aujourd'hui établie, sera présentée par Martial van der Linden cet après-midi. Au total, il convient d'insister sur le fait que les études de groupes et les études de cas ne s'opposent pas, mais sont complémentaires car elles répondent à des objectifs différents.

La prise en compte de la dimension subjective des troubles psychiatriques

Une autre critique faite aux recherches actuelles en psychiatrie et en santé mentale est importante à considérer - elle fait d'ailleurs l'objet de l'éditorial du numéro de mars 2007 de l'American Journal of Psychiatry. Il est reproché à ces recherches de ne pas prendre en compte la dimension subjective des troubles psychiatriques, pourtant caractéristique de ces troubles. Certains vont même jusqu'à considérer qu'il est impossible, pour des raisons d'ordre épistémologique, d'évaluer la dimension subjective de ces troubles et affirment dès lors que toute démarche d'évaluation des psychothérapies est dénuée de pertinence. Curieusement, chacun accepte que l'on puisse évaluer les effets d'un antalgique sur la douleur à l'aide de mesures subjectives, mais refuse que l'expérience subjective de tristesse ou d'angoisse puisse faire l'objet d'une évaluation. En réalité, un certain nombre d'instruments permettant d'évaluer la dimension subjective des troubles psychiatriques ont été développés depuis une vingtaine d'années et sont aujourd'hui disponibles.

Des questions se posent cependant à propos de ces instruments, la principale étant celle de leur validité. Le rapport de l'expertise collective sur les psychothérapies l'a bien montré : la validité d'un instrument d'évaluation, qu'il soit objectif ou subjectif, dépend étroitement du système théorique de référence. Il est notamment indispensable que les instruments utilisés pour évaluer l'efficacité d'une psychothérapie particulière soient congruents avec le système théorique auquel se réfère cette psychothérapie. Malheureusement, il n'est pas rare de voir une psychothérapie psychanalytique évaluée à l'aide d'instruments développés dans un cadre purement symptomatique, ce qui met en question la validité de l'évaluation et jette un discrédit sur les conclusions de la recherche. Bruno Falissard abordera ces questions cet après-midi.

Pertinence de l'évaluation et système théorique de référence

Je voudrais terminer mon intervention en approfondissant la réflexion que je viens d'ébaucher sur les liens unissant évaluation et système théorique de référence. Nous venons de le voir, la validité de l'évaluation dépend du système théorique de référence. Mais c'est plus généralement la pertinence même de l'évaluation qui dépend du système théorique de référence. On ne peut qu'être frappé par la symétrie des critiques faites d'une part aux thérapies cognitives et comportementales, et d'autre part aux psychothérapies psychanalytiques. Ainsi, les détracteurs des thérapies cognitives et comportementales leur font le reproche de reposer sur des modèles du psychisme trop rudimentaires pour pouvoir saisir la complexité des phénomènes psychiques humains et en faire une évaluation pertinente. A l'inverse, les détracteurs des psychothérapies psychanalytiques les accusent de se référer à un modèle beaucoup trop complexe et spéculatif du psychisme pour pouvoir faire l'objet d'une évaluation scientifique pertinente. La question se pose donc des modèles théoriques sous-jacents aux différentes approches psychothérapiques : un modèle satisfaisant doit être limité et précis, tout en restant suffisamment élaboré, pour générer des hypothèses testables, permettre de choisir les instruments d'évaluation appropriés, et déboucher sur la réalisation d'études méthodologiquement satisfaisantes. Un exemple de modèle des troubles externalisés de l'enfant et de l'adolescent sera présenté cet après-midi par David Cohen.

Poser le problème de l'évaluation de l'efficacité des psychothérapies en ces termes revient à inverser la démarche traditionnelle de validation consistant à évaluer une pratique psychothérapique existante pour tenter d'en identifier les mécanismes d'action. Il s'agit plutôt, pour un trouble psychiatrique déterminé, de commencer par construire un modèle théorique, ni trop simple ni trop complexe, rendant compte de l'état actuel des connaissances sur ce trouble, puis de faire des hypothèses sur les interventions qui permettront de traiter ce trouble, et enfin de les tester par une démarche empirique.

C'est la voie très innovante que suit l'équipe de David Clark, à Londres, dans le domaine de la psychothérapie des états de stress post-traumatique. Ces questions débordent le cadre de notre journée, mais compte tenu de leur importance, elles mériteraient de faire l'objet d'une rencontre ultérieure.

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Différences et convergences des mesures objectives et des mesures subjectives*

Bruno Falissard

Mesures subjectives et mesures objectives : les différences

Au premier abord, les différences entre ces deux types de mesures conduisent à la même conclusion pessimiste : une mesure subjective, contrairement à une mesure objective, ne peut raisonnablement pas accéder à un statut scientifique. Voyons les arguments et les éventuelles objections qui peuvent leur être adressées :

1er argument : « un attribut subjectif ne correspond à rien de concret, tout juste à un mot, qui plus est au sens généralement imprécis ». Il serait donc illusoire d'espérer en obtenir une mesure scientifiquement acceptable. Et cependant, prenons l'exemple de la tristesse. La tristesse est un sentiment élémentaire que tout être humain a déjà éprouvée. Pour le moins, on ne peut voir ici aucune imprécision.

2ème argument : « par définition, un élément subjectif est relatif à ce que ressent un individu, or il est impossible d'avoir la moindre preuve qu'une personne ressent bel et bien ce qu'elle dit ressentir ». Il serait là encore impossible d'espérer obtenir une mesure scientifiquement acceptable. Trois objections peuvent néanmoins être formulées à l'encontre de cet argument :
1. La première est classique mais peu satisfaisante : on pourrait ne travailler que sur ce que dit l'individu et non pas sur ce qu'il est censé ressentir. Nous retrouvons ici une attitude proche de celle préconisée par les tenants de la théorie opérationnelle de la mesure. Solution peu satsifaisante car cela ne sert à rien de demander à quelqu'un s'il est triste, si c'est pour discuter du seul contenu de son discours et s'interdire de faire la moindre interprétation des sentiments qu'il dit éprouver.

2. Pour des questions sans véritable enjeu, si la réponse est recueillie dans un environnement de confiance, il est peu probable que le sujet exprime quelque chose de véritablement différent de ce qu'il éprouve.

3. La troisième objection consiste en un artifice méthodologique, celui de l'hétéroévaluation (terme signifiant que la mesure sera effectuée à partir de l'observation par un tiers et non à partir de l'évaluation du sujet par lui-même). Le principe d'une mesure subjective obtenue par hétéroévaluation repose sur une aptitude humaine largement partagée : l'empathie. Pour évaluer une caractéristique subjective d'une personne, il peut suffire, d'interroger la personne avec laquelle dans un climat de confiance et de tranquilité elle échange ; si cette dernière fait en outre partie des expérimentateurs, on peut alors espérer que ce qu'elle rapporte est un fidèle reflet de ce qu'elle perçoit. Le biais du manque de crédibilité du sujet exploré est ainsi, en théorie, en grande partie éliminé. Une mesure effectuée par hétéroévaluation bénéficie d'une propriété scientifique fondamentale : la possibilité d'en estimer la variabilité et donc de disposer d'un ordre de grandeur de l'erreur de mesure.
3ème argument susceptible d'opposer les mesures subjectives aux mesures objectives : « quelle qu'en soit la cause, les mesures subjectives ne disposeront jamais d'un niveau de précision comparable à celui de la physique, par exemple ; l'écart est tel qu'aucune discipline de la subjectivité ne pourra espérer atteindre un stade véritablement scientifique ».
Il est vrai que le niveau actuel de précision des mesures subjectives (en santé tout particulièrement), quand on peut le déterminer, est souvent médiocre ou mauvais. Mais cela est-il rédhibitoire quant à la scientificité des disciplines de la subjectivité ? Rien n'est moins sûr, et ce d'autant plus que l'on observe une évolution parallèle des paradigmes de mesure dans les disciplines de la subjectivité et dans les sciences les plus « objectives », la physique notamment.

Mesures subjectives et mesures objectives : les convergences

Dans ce qui suit, nous allons voir comment les méthodes de mesures objectives ou subjectives traduisent au départ une simple impression, on peut alors parler de mesure « impression ». Ces méthodes évoluent ensuite en recourant à un étalonnage, on peut parler ici de mesure « étalon ». Finalement, la méthode de mesure s'intègre dans un système théorique oà’ l'on ne peut plus différencier les processus de mesure des concepts à mesurer ; d'oà’, cette fois, le terme de mesure « théorie ».

Imaginons l'expérience suivante : on vous présente un sac rempli d'objets divers. Vous le soupesez et devez vous prononcer sur sa lourdeur sans vous référer à une unité de poids, vous allez devoir vous contenter d'expressions du type : « c'est très lourd », « peu lourd », etc. En fin de compte, cela ne vous éloignera pas beaucoup de certains instruments de mesure subjective couramment utilisés dans le domaine de la santé ; c'est le cas, par exemple, d'une échelle d'impression clinique globale comme la C.G.I. (Clinical Global Impression) ou l'on demande au clinicien de répondre à l'aide d'un nombre allant de 1 à 7 à la question : « En fonction de votre expérience clinique totale avec ce type de patient, quel est le niveau de gravité de l'état dépressif du patient ? ». Pour se prononcer sur la lourdeur du sac, on peut, dans le but de préciser notre impression, indiquer qu'il est lourd « comme deux ou trois gros dictionnaires ». Cependant, on introduit alors implicitement l'ébauche d'un système d'étalonnage, ce qui constitue un saut qualitatif indéniable dans la conceptualisation de la notion de mesure : cette dernière n'est plus la simple appréciation d'une impression du type « c'est très lourd », etc., mais une comparaison avec la lourdeur d'objets de référence. Si l'on conçoit le stade de l'étalonnage1 comme un nouveau paradigme de mesure, on remarquera que les mesures subjectives ne manquent pas d'y recourir. à• titre d'exemple, on peut citer chaque item de l'échelle de dépression de Hamilton. Chacune des modalités de réponse de ces items (de culpabilité par exemple) peut être considérée comme la référence d'un certain niveau (de culpabilité), cela correspond bien au principe d'un étalonnage. Ce dernier, il est vrai, est assez limité. Un expérimentateur désireux de l'améliorer pourrait multiplier le nombre de références, mais cela risque d'être rapidement difficile. Qui plus est, un certain niveau d'indécision apparaît généralement si l'on augmente le nombre de modalités de réponse.

Dans un même ordre d'idée, on remarquera que les physiciens ont rencontré des difficultés avec le paradigme d'étalonnage (pour des niveaux de précision radicalement différents, bien entendu) : le mètre, défini en 1799 au moyen d'un prototype unique déposé au pavillon de Breteuil, a, au fil des ans, posé des problèmes de reproductibilité rendant difficiles certaines expériences de physique de haute précision. Une nouvelle définition a été adoptée en 1983, le mètre devient alors « la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière pendant une durée de 1/299.792.458 de seconde ». Cette nouvelle définition marque une rupture épistémologique majeure en métrologie : l'étalon n'est plus un simple niveau de référence auquel on peut comparer l'objet que l'on souhaite mesurer, l'étalon fait partie intégrante d'une théorie au sens fort du terme.

En fin de compte, actuellement, la validité de la méthode de référence utilisée pour mesurer une longueur, voire le concept de longueur lui même, est totalement dépendant de la validité de la théorie physique contemporaine dans son ensemble. Nous sommes donc en présence d'un nouveau type de paradigme de mesure, fondé sur une théorie de la grandeur que l'on souhaite mesurer. De nombreux instruments de mesures subjectives utilisés en psychiatrie relèvent d'un tel paradigme, c'est notamment le cas des instruments à plusieurs items, dépendant étroitement d'une théorie définitoire (celle qui a présidé au choix des items constituant l'instrument). l

1. Le terme d'étalonnage est entendu ici dans son sens métrologique (repères fixes auxquels se réfère la mesure) et non dans son sens de normalisation ou standardisation d'une mesure à partir d'une population de référence.
* extrait de son intervention

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Prêt-à -porter ou sur mesure ?

Daniel Widlocher

La standardisation des soins est la condition nécessaire pour toute tentative d'évaluation des méthodes et des pratiques thérapeutiques. Qu'il s'agisse en effet de juger de l'efficacité d'une méthode en pratique ou de ses résultats, rien ne peut être entrepris sans que l'on définisse la technique et que l'on s'assure que les praticiens l'utilisent de la même manière. Ceci semble aller de soi. Le modèle médical très généralement adopté (et on ne voit pas comment s'en passer à partir du moment oà’ l'on prétend soigner) est celui du médicament. Or la prescription du médicament laisse peu de place à des variations individuelles à partir du moment oà’ l'on contrôle l'effet placebo. Le biais tient moins au médecin qu'aux patients dont le choix « représentatif » dépend de facteurs implicites. Une enquête que nous avions menée il y a une quinzaine d'années auprès de services hospitaliers parisiens nous avait montré que pour l'expertise d'une nouvelle molécule anti-dépressive étaient écartés les malades les plus gravement atteints et les parents de soignants ! D'ailleurs l'intérêt que l'on porte actuellement au critère d'efficience risque fort de donner plus de poids à ces variantes individuelles et à leur contrôle méthodologique.

Mais cette question de la standardisation de la pratique se pose évidemment avec beaucoup plus d'acuité dans le domaine des soins qui relèvent du cadre social et des liens interpersonnels. Elle prend alors en compte les processus de communication, les relations affectives et les structures de l'environnement social. On pense ici à l'évaluation des soins dans le champ des pratiques institutionnelles et sociales. Les comparaisons et les décisions dans ce domaine ne peuvent pas ne pas prendre en compte la complexité des processus, la diversité des situations individuelles, d'oà’ la nécessité de stratégies flexibles et de la nature quelque peu conjecturale des choix décisionnels.

Les psychothérapies au sens large s'inscrivent entre ces deux perspectives, celle du biologique et celle du social. Il est facile aux praticiens des thérapies comportementales et cognitives de se réclamer de la première perspective. Le ciblage précis des symptômes à modifier, le codage aussi précis que possible des gestes à accomplir par le thérapeute permet de neutraliser des sources de variation indésirables.

A l'opposé, les psychothérapies psychodynamiques, et en particulier celles se fondant sur la méthode psychanalytique, s'inscrivent dans la seconde perspective. La plupart des patients vus dans le cadre de ces psychothérapies ont des problèmes multiples, souvent connexes. La comorbidité est très fréquente. En outre, les buts du traitement ne se limitent pas au soulagement symptomatique mais portent également sur une amélioration plus générale, un sens de bien-être, une qualité des relations interpersonnelles, de la compréhension de soi, voire un changement plus structural de la personnalité qui découragent toute tentative de codage.
La comparaison avec de larges domaines des sciences de l'action humaine est tout à fait pertinente. Dans le champ des sciences économiques, il est bien rare qu'une prise de décision puisse relever de preuves qui déterminent le choix. C'est dans une perspective pluri-factorielle que s'inscrivent le jugement et la décision finale. C'est encore plus évident dans le champ du politique. La nature conjecturale du raisonnement et la flexibilité des stratégies n'ont guère à faire avec une étude en double aveugle ni, à l'évidence, fondée sur la preuve.

Or, les psychothérapies psychodynamiques relèvent des mêmes principes. Les patients, même quand après sélection d'un échantillon ont pu être rangés sous une catégorie diagnostique identique, présentent des traits de personnalité, des modes de relation avec l'environnement, une histoire personnelle dont la diversité ne se « neutralise pas » dans la perspective thérapeutique. Il est difficile de se limiter à la considération d'un symptôme, ni même d'un syndrome, pour juger des effets thérapeutiques ; les effets obtenus chez un patient auront dépendu d'un changement sur un certain plan alors que les mêmes effets obtenus chez un autre patient seront liés à des changements structuraux d'autre nature. La flexibilité de la stratégie thérapeutique tient en partie à ces déterminants propres à chaque patient. Elle relève ainsi des choix du thérapeute. Pour un même patient, deux thérapeutes n'opteront pas pour la même stratégie. Et l'évolution sous traitement ne les conduira pas nécessairement aux mêmes évolutions stratégiques. Si quelques directives générales et des principes de base sont requis, leur application reste soumise à des jugements et des choix individuels. Ceux-ci sont certes liés à la compétence du thérapeute, à son tact, mais aussi à la manière dont s'organise la relation thérapeutique. Il faut tenir compte aussi bien de variantes techniques propres à différentes écoles de praticiens qu'à des déterminants individuels qui s'inscrivent dans le cadre des relations de transfert, de contre transfert, et plus fondamentalement d'effets d'induction entre la pensée du patient et celle du thérapeute.

Il est bon ici d'établir une nette distinction entre la cure psychanalytique et les psychothérapies. La cure psychanalytique s'inscrit dans un cadre strict. Celui-ci peut varier d'une « école » à l'autre mais il est établi de manière permanente et stable pour le patient. Il n'est pas seulement matériel mais présuppose des modalités d'écoute et des modes d'intervention de la part de l'analyste en écho au travail de pensée du patient. Certes, ce travail de pensée varie d'un patient à l'autre et au cours de la cure, mais un certain objectif de liberté associative et d'écoute des productions psychiques est attendu comme finalité de la méthode. L'idée de la « guérison de surcroît » est liée à ce principe. On attend les effets thérapeutiques de ces effets de la méthode elle-même.

Face à ce « prêt-à -porter de luxe » que constitue la « cure-type », les psychothérapies se présentent comme des opérations « sur mesure ». On ne saurait ici décrire toutes les variations qui caractérisent ces pratiques (variations du cadre proprement dit, références à la réalité matérielle, aux processus psychiques pré-conscients, à des productions de la réalité psychique, etc.). Ce sont elles qui contribuent à la flexibilité de la pratique et légitiment par conséquent la diversité de ces derniers. Quand nous considérons la nécessité de tenir compte de l'hétérogénéité des pratiques, il ne s'agit donc pas de plaider pour des écarts incidents mais bien de tenir compte de la structure même de la pratique thérapeutique qui limite considérablement les possibilités de définir ce qui est constant dans les techniques de prise en charge.
Ces difficultés n'autorisent pas l'attitude radicale qui consisterait à dénier, à partir d'elles, toute possibilité d'évaluation des soins. D'autres, ici même, s'expriment sur cette question de principe. L'idée, tenue par certains comme la seule solution, serait d'objectiver la pratique par des méthodes d'enregistrements vocaux ou audio-visuels. La divergence ici est radicale entre partisans et adversaires. Ce qui rend présentement le débat impossible, c'est que les partisans de l'une récusent toute autre démarche et que les adversaires ne veulent pas en tenir compte. La méthode du cas unique a au moins l'avantage de contourner la difficulté, mais l'avantage de son emploi demeure limité. Il est vain d'espérer que le recours à des échantillons de grande taille puisse neutraliser ces variantes individuelles. Nous sommes donc condamnés à des demi-mesures. Ceci ne doit pas nous décourager et nous devons nous rappeler que les sciences humaines de la complexité sont exposées aux mêmes limitations.

Constatons d'abord que l'obstacle peut être plus aisément contourné dans l'évaluation à partir des pratiques que dans celles fondées sur une programmation à priori et les principes de l'« Evidence-based medicine ». à• partir des pratiques, une série d'opérations permet de limiter le biais de l'hétérogénéité des stratégies thérapeutiques. Ces opérations prennent place avant, pendant et après l'étude. Avant, il s'agira de définir au mieux les grands cadres de la thérapie et les limites des écarts techniques dont le dépassement nécessiterait de retirer le cas de l'enquête. On veillera évidemment à ce que les praticiens, impliqués dans la recherche, aient des habitudes thérapeutiques voisines. Mais c'est durant l'étude que l'on s'efforcera de faciliter ce voisinage technique en recourrant à des échanges réguliers entre praticiens, des audits sur le modèle de ce qui devra se faire dans le cadre de l'H.A.S. Il s'agira d'une sorte d'auto-évaluation par des supervisions collectives et réciproques entre quatre à cinq thérapeutes exposant la clinique du cas traité. Ceci leur permettra de mieux comprendre le sens des différences dans leurs modes d'écoute et d'intervention. On pourra ainsi décrire des profils de pratique, des variations de stratégie en fonction des cas (et des thérapeutes !). Plus discutées, les méthodes qui, à défaut d'objectiver les séances de traitement elles-mêmes, tentent de le faire, soit par l'établissement d'un manuel technique dans lequel chaque clinicien devra mouler sa pratique, soit par l'enregistrement vidéo des séances d'audit et réexamen ultérieur par des observateurs neutres. Enfin, après l'étude, un réexamen des stratégies thérapeutiques permettra de définir les variantes techniques, éventuellement des profils de stratégie qui permettent de vérifier la représentativité des cas et éventuellement de prendre en compte ces différences dans la discussion des résultats.

Les évaluations des pratiques donnent donc plus de souplesse à ces mesures d'évaluation des pratiques individuelles de soin. Plus de liberté est ici donnée au tact du thérapeute. Demeure bien entendu la question de savoir dans quelle mesure le clinicien est capable de décrire ce qu'il fait et non ce qu'il croit faire.
En définitive, ce qui demeure la pierre de touche est la qualité clinique, la compétence, du praticien. Le degré de liberté laissé à chaque thérapeute inspirera moins de doute sur la validité d'une certaine standardisation des soins si on a confiance dans leur compétence, leur expérience et leur tact. Ceci fait appel à ce qui pourrait être l'autre versant de la question, la qualité de la formation. Le « sur mesure » de la psychothérapie nécessite encore plus d'expérience et de tact qu'un « prêt-à -porter » si celui-ci n'est pas d'excellente qualité. On entend souvent dire que la pratique des psychothérapies analytiques devrait compléter une formation à la psychanalyse. On peut se demander si on ne peut pas inverser la proposition et dire que la pratique des psychothérapies psychanalytiques, à la condition d'une expérience personnelle de la psychanalyse et dans un échange permanent entre thérapeutes, prépare à celle de la cure psychanalytique proprement dite.

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Méthodologie des études intensives de cas réunis en cohortes dans l'évaluation des psychothérapies

Jean-Michel Thurin

Pendant 20 ans, les essais contrôlés randomisés (ECRs), appliqués à partir de diagnostics DSM isolés, ont constitué l'étalon or de la recherche évaluative en psychothérapie.
Leurs apports à différents niveaux sont à souligner :

- l'efficacité générale de la psychothérapie a été démontrée ;
- la crédibilité empirique de la recherche dans le traitement psychologique a été majorée ;
- des interventions précises et efficaces ont été développées pour certains troubles spécifiques ;
- différentes approches ont démontré leur efficacité et leur sécurité ;
- de nombreux concepts ont été opérationalisés, des instruments ont été développés portant sur les fonctionnements et les processus (Guthrie, 2000).

La méthodologie a également progressé à partir des difficultés qu'elle a rencontrées. Par exemple, au cours de cette période, des résultats paradoxaux sont apparus (différence de résultats dans l'étude sur la dépression du NIMH, ou au contraire constat de l'équivalence générale des thérapies : « Dodo bird verdict »).
Devant ces résultats divergents ou étonnants, la qualité méthodologique des études (taille des échantillons, compétence des psychothérapeutes relativement à la méthode qu'ils utilisaient, choix des groupes de contrôle, analyse des sorties prématurées, etc.) a été réexaminée en détail, ce qui a contribué à son amélioration.
L'importance et l'interaction de variables considérées initialement comme « secondaires » (comorbidités, personnalité, sous-types, adaptabilité du praticien, Å ) ont été examinées et la nécessité de les prendre en compte s'est progressivement imposée.

Certains modèles et des paradigmes qui déterminaient les options de recherche ont été remis en question.

Ainsi, l'importance des variables isolées (comme l'aptitude intrinsèque du patient à la psychothérapie) s'est réduite au profit de modèles d'interaction patient/thérapeute/thérapie (Valbak, 2004).
Le projet de déterminer un ensemble de traitements psychothérapiques spécifiques répondant chacun à un trouble spécifique s'est avéré totalement irréalisable (Patterson, 1996 ; Goldfried, 1996).
Le modèle de base de l'étude d'efficacité, à savoir l'action d'une variable indépendante (la thérapie) sur une variable dépendante (le trouble) a été critiqué du fait notamment des interactions thérapeute-patient et de l'évolution du patient au cours de la thérapie (Barber, 1996 ; Lauranceau, 2007; Blatt, 2005 ; Westen, 2004 ; Peterson, 1991 ; Fishman, 2000).
Le paradigme du traitement administré s'est effacé au profit de celui de traitement construit et adapté aux conditions et à de fortes interactions patient-thérapeute.

Les limites du champ d'application et de généralisation des ECRs se sont ainsi progressivement imposées. En particulier leur validité externe, c-a-d, la possibilité de généraliser leurs résultats dans des conditions ordinaires et de les utiliser largement en pratique quotidienne, à la fois du fait de la divergence importante des populations traitées, et aussi (surtout) du paradigme de délivrance du traitement en laboratoire par rapport aux conditions du « monde clinique réel ».
De fait, les ECRs sont rarement représentatifs de la pratique clinique. Ils ne fournissent généralement pas les informations requises pour prendre les décisions cliniques et mener une psychothérapie dans la pratique. En particulier, ils ne renseignent pas sur la question des répondeurs et des non répondeurs.
Ils n'apportent pas non plus les données reflétant précisément le monde réel dont ont également besoin les décideurs (Zarin, 1997).

En outre leur utilisation obligée hors de leur champ d'application a conduit, aux EU, à des problèmes majeurs dans la délivrance des soins et à l'installation d'un véritable fossé entre praticiens et chercheurs.

Que faire ?... Perspectives

Cette situation a suscité durant plus de 10 ans une succession d'analyses et de débats. Il en est issu un ensemble de propositions pour les recherches futures sur les psychothérapies. Elles s'inscrivent dans une double perspective : ramener la recherche vers la réalité clinique (en particulier, restaurer la place de l'expertise clinique et des particularités du patient) ; concevoir de nouvelles formes d'organisation, permettant de réduire l'écart entre cliniciens, chercheurs et décideurs et de réunir des cas a priori hétérogènes et disséminés. Cette évolution comprend aussi une ré articulation des places respectives de la recherche en laboratoire et dans le champ clinique.

- Ramener la recherche vers la réalité clinique

Cet objectif implique d'abord de mener les études avec des populations cliniques réelles (c-a-d, avec leurs comorbidités, leurs troubles de la personnalité, leurs vulnérabilités, leur contexte) et en particulier de s'intéresser aux cas complexes nécessitant des thérapies longues. Il est également nécessaire de développer des études dans les conditions de la pratique clinique (études naturalistes), de telle façon que la recherche y soit intégrée et en modifie le moins possible les conditions.
La réalité clinique demande aussi de ne pas limiter les objectifs de la psychothérapie à la résolution des symptômes cibles, mais de considérer également l'amélioration des capacités fonctionnelles et la réduction du handicap ; de ne pas seulement considérer la signification statistique des résultats, mais aussi leur signification clinique.
Cette perspective ambitieuse pose de sérieux problèmes de réalisation, en particulier celui de l'apparent dilemme entre le sacrifice de la validité interne dans les études naturalistes (c-a-d, du niveau de certitude avec lequel on peut attribuer au traitement que l'on teste les résultats constatés et non pas à des facteurs de contexte) et celui de la validité externe dans les essais contrôlés randomisés.

- Concevoir de nouvelles formes d'organisation de la recherche.

La recherche dans des conditions naturelles pose la question de l'implication des cliniciens dans les études aux côtés des chercheurs (indispensable dans la recherche en psychothérapie) et de l'organisation de la recherche dans des conditions de pratique très éparpillées et différenciées (le cabinet, l'institution, etc.).

Ces problèmes ont été étudiés et au moins pour partie réglés, tant du point de vue de la méthodologie (cf. notamment Leichsenring, Shadish et Cronbach) et du point de vue de l'organisation par la réalisation de réseaux de recherches fondées sur les pratiques (practice research networks). Contrairement à la recherche la plus « formelle », ces réseaux utilisent des données réunies dans les cadres pratiques du « monde réel » plutôt que dans des essais cliniques spécifiquement orchestrés. De larges collectes de données, cliniquement significatives, peuvent être réalisées. Cela permet de lier les activités de la clinique et de la recherche et de réaliser une recherche d'efficacité réelle cliniquement significative et scientifiquement rigoureuse (Borkovec et al., 2001 ; Barkham et al., 2003).
C'est sur ces bases que nous avons commencé une recherche naturaliste en réseau sur les psychothérapies en France que je vais maintenant présenter.

Mise en place d'études intensives de cas par des cliniciens organisés en réseau de recherches sur les pratiques.

En référence aux recommandations précédentes qui émergent des vingt dernières années de recherches sur les psychothérapies, aux besoins repérés et aux conditions actuelles de la pratique en France, la méthodologie de l'étude intensive de cas (ou étude pragmatique de cas) en conditions naturelles dans le cadre d'un réseau de pratiques cliniques nous a semblé être la méthode la mieux adaptée.
Elle permet à la fois une évaluation des psychothérapies complexes et longues et une meilleure connaissance des mécanismes de changement. Elle s'opère à la fois dans le cadre de la pratique individuelle à partir des cas suivis et dans celui de la recherche générale en comparant les résultats et le processus de cas analogues regroupés.
Cette recherche a été initiée par une étude pilote en 2004 et a commencé à être étendue à une pratique en réseau en 2006. Elle est réalisée par les cliniciens, individuellement et en groupes de pairs, à partir de deux patients qu'ils suivent et en appliquant le protocole suivant qui comprend quatre étapes :

1. le diagnostic initial. Il doit être précis et fiable et s'appuie sur une formulation psychopathologique comprenant la description des symptômes et problèmes, les facteurs de vulnérabilité et de déclenchement, le fonctionnement dans les principaux registres personnels et interpersonnels incluant le développement, les conflits, les mécanismes de défense et d'ajustement. Il est complété d'une évaluation santé-maladie (ESM de Luborsky), d'un diagnostic catégoriel et d'éléments démographiques et de contexte. L'ensemble conduit à la discussion de l'indication de la psychothérapie, à l'élaboration de ses objectifs et de la stratégie pour les atteindre ;

2. le processus psychothérapique et du fonctionnement du patient. Ils sont décrits à 2 mois, 6 mois et 9 mois en s'aidant du Questionnaire de processus psychothérapique (PQS) de Jones et des à≈chelles de fonctionnement psychodynamique de Hoglend ;

3. l'évaluation des changements à 1 an se fait à partir d'un bilan comparatif qui reprend les éléments initiaux et leur évolution ;

4. l'analyse de la relation entre l'évolution du patient aux étapes de la psychothérapie observées et son processus, caractéristiques qui concernent le patient dans son fonctionnement psychologique et interpersonnel, le thérapeute et sa technique et leur interaction (Thurin et al., 2006).

L'étude a été conçue de telle façon qu'elle réponde aux exigences de faisabilité, de validité et d'efficacité, notamment en s'intégrant aisément à l'exercice quotidien du praticien et en choisissant un recueil des données qui puisse répondre à la fois aux préoccupations cliniques et aux enjeux actuels de la recherche.

Applications de la méthodologie des études intensives de cas

Suivi et analyse de l'évolution intrasujet
Sa connaissance (Hilliard, 1993) constitue la première application du cas comme son propre témoin (Kazdin, 1982) en relation au processus de la psychothérapie.
L'évolution du patient est suivie à partir des indicateurs de base inclus dans l'étude, et éventuellement d'autres (p. e., les thématiques principales, les rêves, etc. ). Il est également possible d'identifier, de décrire les processus qui participent au changement thérapeutique tout le long de la thérapie. Cette double approche permet d'observer les objectifs atteints en relation aux éléments stables, au temps, à un type d'intervention et à des variables prédictives (p.e., la sévérité des troubles, leur caractère limité ou complexe, le handicap associé, la qualité de l'alliance thérapeutique, Å ) ou de contexte (p.e., les événements, le soutien social,Å ). L'évolution du patient sera également suivie après la terminaison de la psychothérapie. Bien entendu, cette approche nécessite de rechercher de façon systématique les facteurs de contexte qui ont pu interférer avec les facteurs de processus et en renforcer (ou en réduire) les résultats.
Analyse processus-résultats et comparaisons intersujets
S'il existe des cas analogues, réunis dans une base de cas, il devient possible de comparer les résultats et la courbe d'évolution d'un patient à celle (moyenne) de ces cas. Les variations seront interprétées en fonction des facteurs de contexte, des spécificités du patient et du processus. Strupp (1980) a montré à partir de deux de ses cas (une réussite et un semi-échec) tout l'intérêt de cette méthode.
Les études comparatives de cas isolés sont également particulièrement intéressantes pour une catégorie de patients qui a longtemps semblée inaccessible à l'évaluation, celle des cas complexes. Il est sans doute totalement exceptionnel que deux psychothérapies de patients présentant des problèmes multiples soient menées de la même façon. Il n'est pas impensable, en revanche, que l'on puisse préciser comment des questions identiques sont abordées dans un cas et dans un autre et les grandes lignes d'acquisitions et de changements qui caractérisent le processus psychothérapique de cas analogues. Une approche observationnelle comparative bien menée doit permettre de déterminer les techniques les plus efficaces aux différentes phases de la thérapie et le caractère approprié des méthodes adoptées pour des groupes de patients spécifiques.
L'approche observationnelle peut être complétée par une approche interventionnelle conçue. Le principe en est d'extraire des observations une hypothèse concernant un dysfonctionement pivot pour lequel est conçue et testée une intervention adaptée et d'en observer les effets. Ce processus peut être répété, chaque nouvelle situation de base contribuant au développement d'un traitement efficace (Kazdin 1998, Fonagy 2006).
Stiles (2003) a proposé un modèle d'élaboration des expériences traumatiques avec analyse des variations. Il a ainsi défini huit phases qui vont de la dissociation/expression symptomatique à la maîtrise et à l'intégration du traumatisme.
Le modèle évolue en fonction des nouvelles observations qui peuvent être considérées comme circonscrites par le modèle (réplication conceptuelle) ou suggèrent des changements/additions (extension).

Nous avons décrit la place particulière qui peut être donnée aux études intensives de cas en milieu naturel : études longitudinales associant des descriptions et des mesures répétées de l'état du patient et de la psychothérapie à différents temps. L'approche est observationnelle et peut devenir interventionnelle lorsqu'une stratégie particulière est testée en relation à une hypothèse psychopathologique définie. Ces études permettent d'atteindre un grain suffisamment fin pour pouvoir prendre en compte les particularités des patients et leurs interactions avec les variables de processus et celles de contexte.

Au niveau individuel, cette méthode permet, à partir des objectifs et de la stratégie de départ, d'évaluer le déroulement d'une psychothérapie, de décrire ses principaux éléments organisateurs : patient, thérapeute et leur interaction, et d'en décrire les changements en relation au processus.
Au niveau individuel et collectif, elle permet la comparaison de cas bien définis et l'exploration de variables déterminantes des différences.
Elle constitue la base d'une recherche sur les étapes, les mécanismes et les processus de changement, à partir d'hypothèses construites au niveau observationnel, soumises à un échantillon plus large et donnant lieu à la conception d'interventions spécifiques dont l'effet sera à son tour testé. Elle contribue donc au développement de méthodes thérapeutiques informées par la recherche.l

Références bibliographiques

- Barber J.P., Muenz L.R. (1996). « The Role of Avoidance and Obsessiveness in Matching Patients to Cognitive and Interpersonal Psychotherapy : Empirical Findings From the Treatment for Depression Collaborative Research Program », Journal of Consulting and Clinical Psychology, 64, (5), 951- 958.
- Barkham M. et Mellor-Clark J. (2003) Bridging Evidence-Based Practice and Practice-Based Evidence: Developing a Rigor Rigorous and Relevant Knowledge for the Psychological Therapies. Clin. Psychol. Psychother. 10 : 319–327.
- Blatt S.J, Zuroff D.C. (2005). « Empirical evaluation of the assumptions in identifying evidence based treatments in mental health », Clinical Psychology Review, 25, 459-86.
- Borkovec T.D., Echemendia R.J., Ragusea S.A., Ruiz M. (2001). « The Pennsylvania Practice Research Network and future possibilities for clinically meaningful and scientifically rigorous psychotherapy research », Clinical Psychology : Science and Practice, 8, 155-168.
- Fonagy P. (2006). « Evidence-Based Psychodynamic Psychotherapies », in PDM Task Force. Psychodynamic Diagnostic Manual. Silver Spring MD : Alliance of Psychoanalytic Organisations.
- Golfried M.R, Wolfe B.E. (1996). « Psychotherapy practice and research. Repairing a strained alliance », American Psychologist, 51 (10), 1007-10016.
- Guthrie E. (2000). « Psychotherapy for patients with complex disorders and chronic symptoms. The need for a new research paradigm », British Journal of Psychiatry, 177, 131-137.
- Hilliard R.B. (1993). « Single-Case Methodology in psychotherapy process and outcome research », Journal of Consulting and Clinical Psychology, 61(3), 373-380.
- Kazdin A.E. (1982). Single Case Research Designs, New York/Oxford, Oxford University Press.
- Kazdin A.E., Kendall P.C. (1998). « Current progress and future plans for developping effective tratments : comments and perspectives », Journal of Clinical Psychology, 27 (2), 217-226.
- Laurenceau, J. -P., Hayes, A. M., & Feldman, G. C. (2007) Some methodological and statistical issues in the study of change processes in psychotherapy. Clinical Psychology Review. 27:682-695.
- Leichsenring F. (2004), « Randomized controlled vs. naturalistic studies : A new research agenda. » Bulletin de la Menninger Clinic; 68:115- 129.
- Patterson CH. (1996). The specific treatments paradigm. From chapter 15, Theories of Psychotherapy, Patterson & Watkins ; pp 474-476.
- Peterson, D. R. (1991). Connection and disconnection of research and practice in the education of professional psychologists. American Psychologist, 40, 441–451.
- Stiles W.B. (2003). « When is a case study scientific research ? », Psychotherapy Bulletin, 38(1), 6-11. http://www.divisionofpsychotherapy.org/ bulletins/V2003_381.pdf
- Strupp H.H. (1980). « Success and failure in time-limited psychotherapy : a systematic comparison of two cases (Comparison I-IV) », Arch. Gen. Psychiat., 37, 595-603, 708-716, 831-841, 947-954.
- Thurin M., Lapeyronnie-Robine B., Thurin J.-M. (2006). « Mise en place et premiers résultats d'une recherche naturaliste en réseau répondant aux critères actuels de qualité méthodologique », Bulletin de psychologie, 59 (6), 591-603.
- Valbak K. (2004). « Suitability for psychoanalytic psychotherapy : a review », Acta Psvchiatr. Scand., 109, 164 -178.
- Westen D., Novotny C.M., Thompson-Brenner H. (2004). « The Empirical Status of Empirically Supported Psychotherapies : Assumptions, Findings, and Reporting in Controlled Clinical Trials », Psychological Bulletin, 130 (4), 631-663.
- Zarin DA., Pincus HA., West JC., Mcintyre JS. (1997). Practice-Based Research in Psychiatry. Am J Psychiatry. 154(9):1199-1208.

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Résumé d'intervention*

David Cohen

Bien que certaines controverses récentes aient pu donner l'impression qu'une position de déterminisme génétique ou neuropsychologique étroite dominait les débats pour ce qui concerne la compréhension étiopathogénique des troubles externalisés, une revue critique de la littérature met en évidence l'existence d'un autre courant, cherchant à prendre en compte dans une perspective intégrative, la diversité et la complexité des facteurs en jeu.

Ce modèle qui concilie le mieux la complexité et l'intrication de ces différents niveaux est un modèle développemental d'épigenèse probabiliste. A cette fin, il faut parfois quitter, au plan phénoménologique, la logique catégorielle de nos classifications nosographiques, et adopter une perspective dimensionnelle permettant par exemple de mieux suivre certains aspects cliniques, tempéramentaux, sociaux ou génétiques pour étudier leurs interactions et possibles résultantes développementales.

Ce modèle autorise également un focus temporel particulier sur les expériences précoces dont on voit tous les jours l'importance pour l'enfant au plan de sa construction psychique.

* sera publiée dans Neuropsychiatrie de l'enfant et de l'adolescent

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Les méthodes d'évaluation des thérapies psychanalytiques de l'enfant

Geneviève Haag

En psychanalyse de l'enfant, jusqu'à ce jour, on relève très peu de recherches formalisées selon les critères de l'EBM. Citons deux études allemandes randomisées et trois études italiennes (Muratori) non randomisées sur l'effet à court terme concernant les troubles du comportement, les désordres internalisés, les désordres émotionnels et anxieux. Les résultats sont positifs dans tous les cas. Il n'y a pas de travaux français recensés. Cependant une importante recherche clinique de base existe sous forme d'études de cas unique ou multiple ainsi qu'un certain nombre de monographies publiées. Les objectifs de tous ces travaux sont : d'approfondir la psychopathologie concernée, d'apprendre à cerner les processus, d'apprendre les variations techniques, de confronter sans cesse la pratique au modèle théorique préexistant.

Que pouvons-nous projeter de faire en France du côté des recherches plus formalisées ?

1. Les recherches concernant l'efficacité

Certaines recherches sont en projet dans plusieurs services. Plusieurs modalités peuvent être envisagées :

- études d'efficacité avec groupes contrôle. Se pose le problème éthique de la randomisation, surtout pour les jeunes enfants ayant des troubles graves. Pouvons-nous utiliser des listes d'attente obligée ? Certains auteurs défendent l'idée d'une bonne preuve apportée par des études non randomisées en soignant certains autres aspects de la recherche (Leichsenring, 2005)1 ;

- études comparatives entre différents types de psychothérapies : concernant l'autisme, ces études comparatives sont préconisées étant donné le débat actuel ;

- études comparatives entre groupes utilisant les deux techniques et des groupes n'utilisant que l'une des deux techniques.

2. Les études de processus

Il s'agit d'extraire de l'expérience thérapeutique accumulée et partagée des repérages de constantes processuelles pour différents types de psychopathologies, ainsi que des hypothèses sur les agents efficaces de transformation dans la technique proposée. Prenons, comme C. Barthélémy, l'exemple de l'autisme, en précisant que la technique psychanalytique auprès des enfants autistes ne peut utiliser au départ le jeu, le dessin et les théatralisations avec les figurines, mais l'observation très détaillée des manifestations corporelles, toniques, motrices, des déambulations dans l'espace, des rapports à l'architecture et au mobilier, des manipulations d'objets non figuratifs. Nous avons montré que les enfants étaient capables de déployer une véritable association libre en langage préverbal. Cela nous a permis de construire une grille évolutive pour suivre plus particulièrement la restauration de l'image du corps très perturbée chez ces enfants (Haag et coll., 2005)2.
Ces recherches nécessitent des évaluations de départ soigneuses : diagnostiques, développementales et d'adaption sociale, réalisées avec les outils standardisés au niveau international (CIM 10, CARS, ADI, ADOS, Brunet Lezine ou WISC, BECS Vineland). Nous proposons qu'elles soient complétées par des évaluations de la personnalité (Scenotest, Patte noire, Rorschach, et la grille sus-mentionnée pour les enfants sans langage).

Nous incitons fortement les cliniciens de formation psychodynamique psychanalytique à s'initier aux évaluations de base qui prépareront les cas pour d'éventuelles recherches, plus particulièrement au sein de la CIPPA, Coordination des Psychothérapeutes Psychanalystes s'occupant de sujets avec Autisme. Evoquons les entrecroisements qu'il pourrait y avoir entre la Recherche et les EPP telles que les proposent M. C. Hardy-Baylé pour la psychiatrie et J. M. Thurin pour les psychothérapies.

1. Are psychodynamic and psychoanalytic therapies effective ? Int. J. Psychoanal ; 86 : 841-68

2. Psychodynamic Assessment of Changes in Children with Autism under psychoanalytic Treatment, Int J. Psychoanal ; 86: 335-52

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La méthode du cas unique en psychopathologie

Martial Van der Linden

Le diagnostic en psychopathologie est actuellement « à la croisée des chemins » (Watson & Clark, 2006). De nombreuses critiques ont en effet été adressées aux systèmes de classification catégoriels et en particulier au Manuel Diagnostique des Troubles mentaux (« Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders », DSM). Il a ainsi été reproché au DSM son caractère descriptif et relativement athéorique, avec le souhait grandissant de remplacer ce système par une nosologie qui modèle les causes sous-jacentes des états psychopathologiques. Le DSM est par ailleurs considéré comme extrêmement complexe et peu parcimonieux, avec la présence de toujours plus de catégories et sous-catégories. A également été stigmatisée la non prise en compte de la comorbidité qui est pourtant la règle plutôt que l'exception en psychopathologie. Un autre problème renvoie à la question de l'hétérogénéité des manifestations symptomatiques au sein d'une entité diagnostique. Enfin, l'approche catégorielle du DSM est confrontée aux données qui plaident en faveur d'un modèle dimensionnel des (ou de certains) états psychopathologiques.

Plusieurs pistes peuvent être suivies dans le développement d'autres stratégies diagnostiques. On pourrait ainsi réorganiser les classes diagnostiques en prenant en compte la comorbidité et en établissant un système plus flexible et plus parcimonieux. Une autre stratégie plus radicale consisterait à adopter une taxonomie complètement dimensionnelle (qui puisse, notamment, rendre compte de l'hétérogénéité au sein d'une catégorie diagnostique). Il s'agirait ainsi d'identifier toutes les manifestations spécifiques d'un état psychopathologique (dimensions symptomatiques ou dimensions de trait) et d'élaborer un modèle hiérarchique (en utilisant des analyses structurales) afin d'identifier les concepts de plus haut niveau représentant les aspects communs aux dimensions primaires.

Enfin, un système hybride et de transition a aussi été proposé pour la nouvelle version V du DSM : l'axe I resterait provisoirement catégoriel et l'axe II serait remplacé par un système dimensionnel (des systèmes dimensionnels étant progressivement mis en place pour l'axe I). De manière plus générale, de nombreuses données, notamment issues de la psychopathologie cognitive (voir Van der Linden & Ceschi, 2007), plaident en faveur d'un démembrement des classifications psychiatriques traditionnelles, et ce en mettant en évidence des mécanismes fonctionnels communs à des troubles actuellement considérés comme hétérogènes et des mécanismes fonctionnels différents au sein d'un trouble actuellement considéré comme homogène.  

C'est dans ce contexte de changements dans les approches diagnostiques que l'utilisation de la méthode du cas unique en psychopathologie doit être considérée. En premier lieu, il s'agit de prendre en compte l'extrême hétérogénéité des symptômes et des dysfonctionnements psychologiques qui existe chez des personnes regroupées au sein d'une même classe diagnostique, selon les systèmes de classification de type catégoriel. Plus généralement, les états psychopathologiques sont associés à des dysfonctionnements psychologiques complexes impliquant des nombreux processus en interaction, et qui peuvent ainsi s'exprimer de façon très variée et individualisée. En outre, la comorbidité, fréquente en psychopathologie, ajoute à cette différentiation dans les manifestations dysfonctionnelles en psychopathologie. Au vu de ces éléments, il apparaît que l'approche en cas unique, avec ses exigences méthodologiques et statistiques, devrait tenir une place nettement plus importante en psychopathologie qu'elle ne l'a tenue jusqu'à ce jour.

- Van der Linden, M. & Ceschi, G. (2007). Traité de psychopathologie cognitive. Marseille : Solal, sous presse.
- Watson, D., & Clark, L.A. (2006). Clinical diagnosis at the crossroads. Clinical Psychology: Science and Practice, 13, 210-215.

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Proposition de synthèse

Pierre Delion

Le colloque du 30 Mai 2007 a été consacré aux méthodologies de l'évaluation en psychiatrie et en santé mentale. Organisé par l'INSERM, pour faire suite au colloque du 14 Novembre 2006 sur le trouble des conduites : de la pratique à la recherche, il nous a permis de nous engager dans une collaboration désormais nécessaire. Christian Bréchot, directeur général de l'INSERM, nous rappelle dans son allocution d'accueil qu'il s'agit de mettre en pratique les décisions prises lors des précédentes rencontres : le suivi des expertises, la réaffirmation de l'engagement de l'INSERM dans la recherche en santé mentale et en psychiatrie (programme Avenir, contrats d'interface pour des médecins chercheurs, Réseaux de recherche en santé mentale) et le groupe de relation avec les associations de malades (GRAM). Jean-Marie Danion, directeur de recherche à l'INSERM, introduit la journée en rappelant les raisons du choix du thème de l'évaluation, et notamment le fait que les études de cas et la dimension subjective ne sont pas prises en compte alors qu'il faut absolument les adjoindre aux méthodes déjà utilisées, car pour lui, « la validité et la pertinence d'une évaluation dépendent du modèle théorique de référence » (David Cohen).

Jean-Pierre Lépine aborde dans un premier exposé les méthodes d'évaluation de l'efficacité des neuroleptiques. Après un rappel historique nécessaire, il nous évoque avec rigueur les différentes possibilités méthodologiques à ce sujet en rappelant à la fois les enjeux et aussi les limites. Il constate que les grandes découvertes commencent à dater un peu, et que plus récemment, les trouvailles restent mineures. Toutefois, il s'inquiète du peu d'intérêt des plus jeunes étudiants et chercheurs en matière de recherche pharmacologique.

Jean-Luc Martinot, chercheur en neuro-imagerie, introduit la question du rapport entre Psychiatrie et Recherche en neuro-imagerie des différents points de vue du fonctionnement cérébral, et de son implication dans les thérapeutiques. Après un rappel sur les acquis récents dans ce domaine, il donne trois exemples de sa recherche : les stimulations magnétiques transcrà¢niennes, l'autisme et les possibilités de prédiction en thérapeutique. Les méthodes actuelles sont non invasives, et sans danger, et quelquefois ont des retombées immédiates. Mais elles sont complexes à mettre en œuvre et posent des questions de disponibilité du matériel ? Mais il apparaît que la rapidité des découvertes techniques ne doit pas faire idéaliser un outil qui ne remplace pas les concepts qui président à son utilisation. Il est important de se souvenir que le sens de la recherche doit se faire d'une façon prévalente de la clinique vers la recherche, de façon à donner une cohérence, y compris sur les aspects éthiques, à toutes les recherches qui sont basées sur des outils sophistiqués. A défaut de ce recul nécessaire pour penser la recherche, des simplifications voire des naàvetés peuvent en résulter, dans lesquelles des personnes peu scrupuleuses pourraient s'engouffrer sans mesurer l'ensemble de la problématique.

Anne Lovell, chercheure en anthropologie, introduit les méthodes d'évaluation en sciences humaines et sociales. Faute de temps, elle se restreint aux seules méthodes qualitatives, en faisant appel à des modélisations complexes en appui sur les « boundary objects » (objets frontières). Pour elle, tout trouble psychopathologique est aussi un trouble de la relation, et à ce titre, l'avis de l'anthropologue peut être intéressant. A partir d'études ethnographiques basées sur l'utilisation de matériaux observés in situ, des croisements de représentations et de prises en compte des interactions, elle déplace le point de vue de l'observateur vers celui de l'usager et en déduit quelques nouvelles pistes. Elle soumet l'ensemble de sa démarche à la sociologie des sciences, ce qui la conduit à critiquer les Evidence Based Practices comme évacuant les problèmes qui ne peuvent être posés d'une façon suffisamment simple ou positive. Or, elle insiste sur l'importance de prendre en considération dans ces évolutions l'ensemble des questions, même celles qui ont une valence négative, ce qui définit pour elle l'importance d'une « sociologie des controverses ».

Bruno Falissard tente de répondre à la question épistémologique cruciale : « peut-on mesurer ce qui relève de la subjectivité dans une recherche psychiatrique ? ». Après avoir présenté la locution « mesure subjective » comme une sorte d'oxymoron, il propose des instruments pour en dépasser les paradoxes apparents. Après avoir rappelé l'importance de la distinction entre la théorie opérationnelle de la mesure et sa théorie représentationnelle, il en présente les limites et les carences, et propose de dépasser ces difficultés en étant clair sur les mesures de la subjectivité, en consolidant les instruments déjà existants et en améliorant la sémantique des mesures (tautologie entre la mesure et l'objet de la mesure). Il propose également de s'approprier les connaissances de la psychologie cognitive qui a déjà avancé sur ces questions et il nous incite à ne pas avoir d'inhibitions à intégrer des choses nouvelles dans nos théories, à condition de la faire dans la cohérence. Reste à traiter la question corollaire de l'intersubjectivité (R. Teboul).

Lucia Valmaggia, chercheure à Londres, nous présente un dispositif qui permet d'intégrer la recherche dans la clinique. Elle nous décrit le dispositif OASIS (Outreach And Support In South London) [info@oasislondon.com].

Viviane Kovess aborde les méthodes d'évaluation des troubles du comportement. Passant en revue les différentes modalités d'évolution des troubles dits extériorisés (THADA, TC, TOP), elle insiste sur la significativité du symptôme qui donne du sens au comportement, ce qui a pour effet d'aider l'enfant à changer. Elle nous montre comment, à condition de ne pas prendre cette nouvelle formalisation symptomatique comme une nouvelle clinique, l'utilisation des résultats statistiques peut permettre des corrélations entre les facteurs étudiés, mais en aucun cas des explications de type « cause-effet ». Néanmoins, pour elle, toutes ces données doivent constituer un savoir, notamment à corréler avec les résultats concernant les troubles intériorisés. Un échange vif suivra sur les enquêtes diligentées par la MGEN, qui permettra d'exposer les différents points de vue en matière de recherches de nature épidémiologique.

David Cohen nous expose un modèle de développement épigénétique probabiliste des troubles extériorisés de l'enfant et de l'adolescent. Partant de plusieurs études sur les troubles en question, il voit à l'œuvre une dimension probabiliste dans le développement, y compris en référence aux travaux de P. Kàπhl à propos du langage. Il conjugue les quatre niveaux du génétique, du neurologique, du comportement et des conduites avec ceux de l'environnement (physique, social et culturel) pour en construire un système qui se dégage du déterminisme pour aller vers le probabilisme, en appui notamment sur les travaux de Milgram et Atlan (1983). Cette dimension du hasard dans le développement rehausse en même temps l'importance accordée aux possibilités des rencontres.

Daniel Widlöcher rappelle que des incompatibilités irréductibles entre les différentes formes de psychothérapies (TCC vs Psychothérapie) nous condamnent à des demies mesures. Mais loin de le prendre comme une difficulté, il en déduit des formes d'évaluations nouvelles telles que les groupes de supervision collectifs des pratiques individuelles. Et il en revient à l'importance du sens clinique du thérapeute et donc à celle de la formation des praticiens. Les changements intervenant dans l'après-coup, ils relèvent des spécificités épistémologiques de la psychothérapie. Les éléments appartiennent dès lors au cadre et à sa redéfinition permanente dans le travail transféro-contre-transférentiel. Pour lui, la preuve par la pratique doit précéder la justification de la preuve (Kazdin).

Jean Michel Thurin nous présente la méthodologie du suivi de cohorte, son développement et ses applications dans les psychothérapies. A partir de son expérience des essais randomisés en psychothérapie aboutissant à des effets paradoxaux (dodo bird verdict), il en revisite les limites (validités interne et externe) et propose de réfléchir à de nouvelles entreprises en intégrant quelques propositions telles que l'utilisation du « Psychotherapy Process Q-Set », en élargissant le panel des méthodes et en tentant de resserrer l'écart entre chercheur, clinicien et décideur.

Catherine Barthélémy et Geneviève Haag présentent ensemble leurs points de vue sur les méthodes d'évaluation des psychothérapies d'enfants, notamment en matière d'autisme. Catherine Barthélémy fait état des trajectoires diversifiées intégrant des approches multidimensionnelles à partir de l'évaluation des thérapies d'échange et de développement. Les représentations utilisées mettent en évidence les résultats complémentaires de ces approches. Geneviève Haag reprend l'idée des monographies très approfondies qui permettent de dégager des processus à l'œuvre dans les prises en charge des enfants, notamment en matière d'image du corps. Elle évoque la grille de repérage clinique élaborée avec Sylvie Tordjman à cette fin de recherche clinique dès 1995. A partir d'exemples cliniques parlants, elle montre comment cette démarche peut être productive dans la compréhension et l'évaluation des effets de la psychothérapie.

Enfin, Martial Van der Linden nous présente la méthodologie du cas unique en psychopathologie. Se référant à son expérience de neuropsychologie cognitive, il nous montre comment la méthode du cas unique vient enrichir les autres méthodes statistiques classiques d'éléments spécifiques très utiles pour l'ensemble de la problématique de la recherche en santé mentale et en psychiatrie.
Nous pouvons retenir de cette journée très riche les éléments suivants.

Tout d'abord, c'est la complexité qui préside à toutes les élaborations qui nous réunissent et la complémentarité commence à se faire sentir sur nos efforts conceptuels. Les différentes approches qui ont été exposées ne peuvent être simplifiées, et les nouvelles manières d'envisager les systèmes de causalité en santé mentale et en psychiatrie font apparaître un vertex pluridimensionnel désormais nécessaire à nos rencontres de travail.

Ensuite, il semble que l'ordre dans lequel doivent se dérouler nos réflexions part des pratiques cliniques vers des hypothèses naturalistes, vers des études d'efficacité de ces pratiques. Cela produit de nouvelles données connues et valide ou non les pratiques cliniques engagées. De nouvelles hypothèses sont construites à partir de ces expériences qui transforment à leur tour les pratiques à venir, y compris en ce qui concerne les « mesures de la subjectivité ». Mais une dimension spécifique de la recherche en santé mentale et en psychiatrie semble reposer sur des stratégies d'évaluation d'après-coup.

Dans ces stratégies, il y a lieu de prendre en compte non seulement la question de l'évaluation des effets des standards définis par les conférences de consensus, mais également les effets du contre-transfert, à la manière dont les physiciens ont été amenés à tenir compte de l'effet de l'observateur sur l'observation. Dans cette approche nouvelle, la méthode du cas unique ouvre des perspectives méthodologiques intéressantes.

Mais si nos efforts visent à affiner nos domaines respectifs pour leur permettre de mettre en commun leurs avancées, il s'agit de prendre conscience des risques induits par les différents niveaux de complexité qui peuvent être utilisés par les médias et des personnes peu scrupuleuses à des fins idéologiques ou politiciennes en jetant le discrédit sur un acteur au profit d'un autre. Ces effets doivent pouvoir être évités si nous parlons de nos travaux en tenant bon sur les constructions hypothético-déductives sur lesquelles elles s'appuient.

Enfin, il apparaît tout au long du colloque que la formation des praticiens à la recherche est insuffisante et qu'il faut réfléchir aux moyens de mieux les préparer à ces méthodologies d'évaluation mais surtout à l'étude approfondie des méthodes de recherche elles-mêmes.

Ce colloque en permettant d'ouvrir ces nombreuses perspectives entre praticiens de la recherche et de la clinique renouvelle les moyens d'action qui sont désormais devant nous pour avancer dans ces voies passionnantes et nécessaires pour la santé mentale et la psychiatrie. Il conviendrait de pouvoir faire une place aux critiques exprimées lors des discussions afin que leur forme ne les condamnent pas à ne pas être entendues sur le fond.

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contact : Monique Thurin



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