Pour la Recherche n° 56

Réseau de Recherches Fondées sur les pratiques psychothérapiques (2)

Compte rendu des questions posées le 25 avril 2008

Editorial - Monique Thurin
Deux cliniciens donnent leur point de vue : Jacques Louys et Didier Houzel
Définitions et schémas pour éclairer la démarche
Questions/réponses lors de la Journée du 25 avril 2008
Agenda et participants à la Journée

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Comité de Rédaction et remerciements

Editorial - Monique Thurin

Le 25 avril 2008, s'est tenue la première réunion d'information et d'échanges sur le Réseau de Recherches Fondées sur les Pratiques Psychothérapiques*. Malgré la période des vacances scolaires, de nombreux participants venus de toute la France et regroupant différents secteurs d'activité sont venus écouter et poser des questions. Ces dernières ont cerné différents niveaux engagés par le travail des études systématiques de cas prévu dans le réseau.

Après une introduction de la journée par Olivier Lehembre, Bruno Falissard et Jean-Michel Thurin, Bruno Falissard a présenté le réseau de façon générale. Il est ainsi revenu sur le projet scientifique de base et sa méthode, son organisation et les retombées attendues, notamment en terme de publications.

Les questions éthiques traitées par Jean-Christophe Thalabard ont fait peser toute la difficulté d'un travail concernant des personnes, leur identité, leur intégrité, leur souffrance. Bien sûr, toutes ces questions sont dans la tête du clinicien et il est apparu qu'elles étaient au coeur du réseau déjà dans son texte de base "ne doit pas entraver le cours normal de la psychothérapie" et ce à quelque niveau que ce soit pour le patient inclus dans l'étude. Il doit être prévenu et avoir donné son accord.

L'après-midi Jean-Michel Thurin a présenté la méthodologie des études et là encore de nombreuses questions ont été posées, concernant notamment l'inclusion des patients dans les trois thèmes retenus pour cette année : Autisme, Borderline, Alzheimer. La méthodologie inscrite dans le réseau fait ressortir un suivi de patient en psychothérapie pendant un an. De ce fait, une autre question importante a été de résoudre l'inclusion des cas à partir de pratiques spécifiques, notamment chez les patients borderline (en institutions par exemple où ces patients sont hospitalisés à partir d'un passage à l'acte puis sortent et ne reviennent pas toujours aux entretiens ou plusieurs mois après, ou ceux encore qui sont dans des structures pour des temps définis et ne sont suivis que six mois, et encore les sorties de traitement).

Ensuite, les responsables des pôles sont venus présenter leur cadre clinique et méthodologique dans les grandes lignes. D'abord Geneviève Haag pour l'autisme, Marie-Christine Cabié pour les patients Borderline, Philippe Robert pour les patients atteints de la maladie d'Alzheimer. Encore une fois, les questions très précises qui ont été posées ont souligné l'implication et la réflexion déjà engagées des personnes présentes, que cela soit dans le domaine de la clinique, du diagnostic, de la méthodologie et de la faisabilité.

Monique Thurin a présenté concrètement les moyens de communication intégrés à ce réseau, tant pour l'aide apportée aux groupes de pairs et à l'ensemble des participants, qu'au niveau de la méthodologie, de la documentation, de la formation....
Jean-Michel Thurin a présenté pour finir un calendrier des prochaines étapes, détaillé page 11 de ce numéro.
Bruno Falissard a invité chacun des participants à penser, dès à présent, comment il envisage d'inclure dans l'étude un (ou plusieurs) de ses cas.

Des échanges tout à fait passionnants ont accompagné chaque intervention permettant une visibilité des interrogations et éclairant les moyens à mettre en place dans l'organisation générale du réseau. Nous avons voulu en rendre compte dans ce numéro avec pour commencer le point de vue de Jacques Louys et Didier Houzel.


Points de vue de Jacques Louys et Didier Houzel

Jacques Louys

Pour un psychiatre libéral, la recherche sur le terrain, c'est du pain béni. Car il y a le problème de la réduction en science : pour trouver des régularités singulières et évaluables, il faut simplifier le champ d'étude. Mais si on simplifie trop, on perd l'objet même de l'étude pour n'en aborder finalement qu'un petit bout non pertinent.  

Ce problème dans notre champ psy est redoutable et peu discuté.  La plupart des études cliniques publiées n'expliquent pas la réduction dans lesquelles elles se placent et comment elles vont éviter ce biais. Elles utilisent généralement pour la recherche le manuel DSM qui ne définit pas au départ ce qu'est le «mental» censé être l'objet des perturbations relevées et qui ne définit pas non plus ensuite les réductions utilisées. Les libéraux contestent alors vigoureusement la pertinence et la valeur scientifique de ces études, ce qui les fait entrer en conflit ouvert avec ceux qui se sont donné tant de mal pour réaliser les études et construire des référentiels.

Dans cette étude clinique, on suit un cheminement différent  :au départ, c'est le clinicien qui inclut son patient réel non réduit d'avance par un manuel dédié. Le DSM n'est posé qu'en comparatif. L'expérience des groupes de pairs montre que l'accord clinique est relativement facile à réaliser pour réussir la formalisation du cas à quelques uns, surtout qu'un gros travail épistémologique a déjà été fait pour préparer l'étude par M. et Mme Thurin. Il est remarquable que l'orientation théorique des professionnels n'est pas vraiment un obstacle en pratique clinique. La formation à cette formalisation du cas sera de toute façon assurée. 

On peut espérer,  par cette façon de procéder,  que l'objet d'étude ne sera pas trop réduit dans les filtres successifs qui seront mis en place, y compris dans l'analyse terminale de contenu. Il serait intéressant d'en discuter au fur et à mesure de l'étude et de garder les traces de ce débat. Cela contribuerait grandement à la qualité finale de l'étude réalisée par le réseau et à sa crédibilité auprès des professionnels libéraux.

Didier Houzel

La nécessité d'évaluer les pratiques psychothérapiques répond à plusieurs objectifs : scientifique, économique, politique.

L'objectif scientifique est pour moi le premier et le plus fondamental. Toute activité humaine qui se réclame d'une certaine scientificité doit pouvoir établir des procédures qui valident ses bases théoriques et leur mise en application pratique. Je soutiens que les pratiques psychothérapiques, incluant celles qui se fondent sur la théorie psychanalytique, doivent revendiquer un statut de scientificité sous peine de se voir réduites à des pratiques ésotériques réservées à des adeptes d'une croyance qui n'aurait de compte à rendre à personne.

Le séminaire de présentation du réseau de recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques nous a présenté une méthodologie qui répond à la première étape de toute démarche scientifique : l'explicitation des procédures en jeu. A ce titre il a ouvert un nouveau champ de réflexion pour les psychothérapeutes, quelle que soit la forme de psychothérapie pratiquée. Trop souvent, les psychothérapeutes se contentent d'une évaluation autoréférentielle : ce que prédit leur théorie de référence se trouve alors ipso facto validé sans qu'il soit besoin de recourir à une quelconque procédure extérieure à leur propre impression d'être utile à leurs patients. Toute pratique psychothérapique, par nature, implique la subjectivité du thérapeute. Il n'en est que plus important de ne pas s'arrêter à une évaluation subjective brute pour juger de l'efficacité d'un traitement et du bienfondé de ses soubassements théoriques. Chacun est persuadé de « faire du bien » à ses patients et il est nécessaire qu'il en soit ainsi pour fonder une alliance thérapeutique, entretenir l'espoir d'amélioration quelle que soit la lenteur de l'évolution et quels que soient les avatars que l'on peut rencontrer en cours de route. Autant la conviction d'être utile au patient est nécessaire au démarrage et à l'entretien d'un processus thérapeutique, autant elle ne peut suffire à en évaluer la qualité et l'efficacité réelle.

Une procédure d'évaluation des résultats, telle que celles fondées sur la randomisation d'une cohorte et sa comparaison statistique avec un groupe contrôle, outre les difficiles problèmes techniques qu'elle suppose, a l'inconvénient de passer une étape essentielle. Qu'appelle-t-on « résultats » dans le champ des psychothérapies ? Faut-il les juger sur la seule disparition des symptômes, avec souvent une grande incertitude quant à la permanence des résultats ainsi obtenus ? Faut-il exiger des modifications au-delà des symptômes observables, c'est-à-dire dans le fonctionnement psychique des patients ou dans l'organisation de leur personnalité ?
Mais ne risque-t-on pas alors de retomber dans l'autoréférence, chaque théorie de référence définissant en son sein quel type de fonctionnement mental est sain et quel type est pathologique, quelle structure de personnalité est normale et quelle structure est déviante ? Par ailleurs, les approches psychothérapiques dirigées directement sur la réduction voire la disparition des symptômes auront par principe l'avantage sur des approches psychothérapiques qui s'adressent préférentiellement à des niveaux sous-jacents. La pratique des psychothérapies chez les enfants à rendu particulièrement prudents nombre de spécialistes dans ce domaine en montrant que la disparition d'un ou de plusieurs symptômes ne signifiait pas, loin s'en faut, la résolution des problèmes de l'enfant. Ces problèmes peuvent se déplacer sur d'autres aspects du développement psychique que ceux qui étaient impliqués à l'origine, avec parfois une aggravation de leur signification pronostique malgré une expression pauci-symptomatique voire asymptomatique (que l'on songe par exemple à certains traitements d'énurésie ou d'encoprésie qui aggravent la conflictualité inconsciente au lieu de la réduire).

La proposition faite dans le projet de recherche soutenu par le réseau de partir des pratiques psychothérapiques, sans exclusives quant à l'orientation théorique de ces pratiques, et de soumettre l'évolution du traitement à des évaluations extérieures à l'appréciation du psychothérapeute lui-même, selon des procédures rigoureuses et validées, a l'intérêt considérable de sortir la question de l'évaluation de l'autoréférence et de faire préciser les mécanismes en jeu dans les psychothérapies en question. Il n'est pas interdit de penser que, dans une étape ultérieure, des méthodes d'évaluation fondées sur l'analyse statistique des résultats sera possible, mais alors dans un paysage éclairci par cette première étape et dégagé de présupposés qui entachent actuellement la comparaison entre les différentes approches thérapeutiques d'une aura idéologique, faute de pouvoir préciser ce qui marche et ce qui ne marche pas dans les approches respectives.
Il m'a paru très important et très encourageant que les discussions au cours de ce séminaire évitent ces querelles idéologiques et s'engagent sur la base d'un respect pour toutes les formes de psychothérapies qui acceptaient de se soumettre aux procédures proposées. Il est particulièrement réconfortant pour le praticien que je suis d'entendre des chercheurs soutenir que l'efficacité des psychothérapies n'est plus à démontrer, même s'il y a lieu de la préciser dans certains champs de la psychopathologie. Cette reconnaissance m'a paru une base nécessaire pour fonder la coopération entre thérapeutes et chercheurs. Réciproquement, les nombreux psychothérapeutes présents à la réunion ont donné le sentiment de reconnaître la validité de la méthodologie proposée et, d'une manière plus générale, la nécessité de soumettre leurs pratiques à des procédures de validation. On était loin des jugements sans procès des uns et de la prétention à l'autosuffisance des autres qui trop souvent tiennent lieu d'arguments pour clore tout débat avant même qu'il ne soit ouvert.

Le deuxième objectif auquel doit répondre un effort d'évaluation des psychothérapies est d'ordre économique. Trop souvent, l'argument économique sert de repoussoir, comme s'il était honteux de soulever la question du coût d'un traitement par comparaison avec d'autres traitements dès l'instant qu'il s'agit d'une pathologie mentale. C'est oublier que depuis longtemps, et je suis de ceux qui pensent que cela est heureux, les demandes de psychothérapies sont sorties de la sphère d'un exercice strictement privé. Dès l'instant où il y a un tiers payant (la Sécurité Sociale et les Mutuelles dans le système français) ou que le traitement est financé par des budgets publics (comme c'est le cas dans les secteurs de psychiatrie), il est parfaitement illusoire d'échapper à toute demande d'évaluation en termes de coût et d'efficacité.
Certes, ce sont des domaines bien éloignés des préoccupations immédiates du psychothérapeute, qui peuvent lui paraître même opposés à la démarche qu'il entreprend pour aider son patient (que l'on pense par exemple à la comptabilité en termes d'actes qui tend à s'imposer dans les services publics). Naturellement les psychothérapeutes se sentent insuffisamment formés pour gérer ces questions qui les inquiètent légitimement. La plus mauvaise des réponses dans une telle situation est celle de la politique de l'autruche : ne rien vouloir voir ni savoir du problème dont on laisse la solution à d'autres quitte à juger ces autres incompétents, voire malveillants. Il est urgent que les thérapeutes adoptent là comme ailleurs le principe de réalité qui dit que s'il y a un budget pour financer leurs activités, ils sont redevables de ce budget aux yeux de la collectivité et qu'ils leur incombe de participer à des procédures d' évaluation d'efficacité, voire de rapport qualité/prix. Il leur appartient de surmonter leurs peurs a priori et de réduire les clivages qui fonctionnent trop souvent dans les milieux soignants où toute personne qui dispense des soins se situe du bon côté et place du mauvais côté ceux qui en évaluent le coût. L'expérience montre de manière répétée que cette politique de l'autruche ne peut conduire qu'au pire. La réalité, sous la forme de contrainte économique, finit toujours par s'imposer, mais souvent de la pire façon si les praticiens se désintéressent de la question pour laisser à des administratifs la tâche de trouver des solutions. Je pense à cet égard qu'il est très important d'avoir obtenu l'agrément de l'Inserm pour conduire cette recherche, agrément qui devrait peser de tout son poids à l'heure des choix et des ajustements budgétaires.

Le troisième argument est politique au sens large du terme. Défendre, dans le champ des activités soignantes, les approches psychothérapeutiques rejoint une certaine vision de l'homme et de la société et à ce titre relève d'une action politique. L'enjeu est évidemment considérable pour les patients, pour leurs familles et pour les psychothérapeutes eux-mêmes. Il n'est pas moins important pour la société dans laquelle nous vivons. Si l'on peut définir la psychothérapie en général comme l'influence d'un psychisme sur un autre psychisme à des fins thérapeutiques, elle ne se conçoit que dans une société où une telle influence peut être libre de toutes contraintes extérieures, où elle ne répond à aucun dogmatisme et où elle accepte d'être jaugée à l'aune d'une évaluation empirique de ses effets bénéfiques. Notre société est légitimement de plus en plus exigeante sur ces différents points au risque de basculer dans une illusion scientiste qui lui ferait croire que les seules approches valables et dénuées d'arrière pensée sectaires seraient celles qui auraient apporté la preuve ou prétendraient l'avoir apportée d'une validité objective telle que la préconise de nos jours l'evidence based medecine. Face à cet enjeu politique, dont les ramifications sont profondes, les arguments de l'approche psychothérapique sont fragiles. Elle se trouve d'ores et déjà écartée, au nom d'un manque d'objectivité et de scientificité, de bien des lieux où la science se fait ou croit se faire. Si les psychothérapies veulent continuer de se développer, elles n'ont pas d'autre choix que celui de la rigueur et de l'explicitation de leurs procédures de façon à convaincre les décideurs que l'esprit scientifique n'est pas forcément là où on s'en réclame le plus fort, mais là où on s'y soumet le plus totalement.

Au total, je place de grands espoirs dans le travail proposé par le réseau de recherches sur les pratiques psychothérapiques. Pour la première fois, à ma connaissance, il abolit les cloisons qui séparent la rigueur méthodologique et l'engagement thérapeutique. Il ne demande en rien aux psychothérapeutes de renoncer à la place de leur subjectivité dans leur pratique. Il les invite par contre à soumettre cet engament subjectif à une procédure d'explicitation qui non seulement peut permettre de confirmer la validité de leurs pratiques, mais peut aussi les aider à approfondir et à clarifier leurs références théoriques, autrement dit à mieux penser ce qu'ils font et à mieux comprendre ce qui se passe dans les traitements qu'ils conduisent. Loin de toute forme de « police épistémologique » que dénonçait Gaston Bachelard, la démarche proposée laisse entrevoir l'espoir d'une validation de ce qui mérite d'être validé et peut-être, pourquoi pas, d'élaguer de nos pratiques et de nos théories ce qui ne répondrait pas aux exigences d'une procédure de validation.