24 avril 1997

L'éthique : de la recherche à la pratique

Docteur Jean GARRABE*


Le présent congrès européen de l'Association Mondiale de Psychiatrie posant la question de savoir si les découvertes de la recherche sont un danger pour l'identité des psychiatres, il nous parait essentiel de rappeler que la meilleure protection contre ce danger est le respect de l'éthique médicale.

La dimension éthique est primordiale en psychiatrie que ce soit pour la recherche ou pour la pratique et plus encore lorsqu'il s'agit de passer de l'une à l'autre. Il est essentiel de le rappeler surtout lorsqu'on constate que les codes éthiques, lorsqu'ils existent, ne sont pas les mêmes dans tous les pays européens et qu'il s'agit là sans doute d'un des domaines où la construction européenne est la plus difficile.

L'Association Mondiale de Psychiatrie a déjà publié des déclarations de nature éthique condamnant des pratiques qui font effectivement perdre au psychiatre son identité de médecin au psychiatre qui s'y associe. Celle qui a eu le plus de retentissement est celle d'Hawaii, votée en 1977 lors du congrès à Honolulu, mais une autre a été adoptée le 25 Août dernier à Madrid lors du Xe Congrès. Or il ne faudrait pas oublier que si la première condamnait l'utilisation abusive de la psychiatrie à des fins de répression politique, celle-ci se fondait en URSS et en Europe de l'Est sur une théorie de la schizophrénie torpide élaborée dans un Institut de recherche. (Il est cependant surprenant de voir l'actuelle directrice de cette institution continuer à minimiser l'importance de ces abus sans doute parce que n'a pas été suffisamment discuté et établi le caractère erroné du point de vue scientifique, donc éthique, de cette théorie). Entre les deux guerres mondiales les théories eugéniques basées sur des recherches sur la transmission des caractères héréditaires se sont répandues dans nombre de pays européens ainsi qu'aux Etats-Unis d'Amérique et ont conduit à des pratiques - stérilisation, voire euthanasie - criminelles contre des êtres humains souffrant de maladies mentales. La législation nazie en ce domaine s'est appuyée sur des recherches sur l'hérédité des maladies mentales, en particulier la schizophrénie, entreprise avant la prise du pouvoir par Hitler et poursuivie après. Ces recherches basées sur les études de jumeaux menées dans un des Instituts les plus prestigieux au monde sont encore données de nos jours comme des références scientifiques indiscutables sans tenir compte de l'idéologie qui les a inspirées et à laquelle elles visaient à donner une caution scientifique ou pseudo-scientifique par la rigueur apparente de leur méthodologie. Plus récemment la politique dite de purification ethnique menée dans les républiques de l'anciennes Yougoslavie aurait été conduite en fonction des théories racistes élaborées par des psychiatres dévoyant la psychanalyse pour décrire un inconscient racial, concept totalement étranger à la pensée de Freud. Non seulement ces actions criminelles surtout exécutées sous l'autorité politique d'un ancien psychiatre doivent être condamnées, mais le caractère non-scientifique des travaux grâce auxquels les auteurs prétendent les justifier doit être dénoncé.

L'article 7 de la Déclaration de Madrid stipule qu'une recherche qui n'est pas conduite conformément aux canons de la science n'est pas éthique. Le rôle des sociétés scientifiques de psychiatrie est donc sur ce point primordial (et une communication qui va suivre va nous présenter le rôle de la Fédération Française de Psychiatrie qui réunit la quasi-totalité des société savantes de notre pays dans l'organisation de la recherche clinique).

Cet article ajoute que les activités de recherche doivent être approuvées par un comité d'éthique constitué de manière appropriée et que les psychiatres doivent suivre les règles nationales et internationales pour la conduite de la recherche.

Or la constitution des comité d'éthique varie considérablement d'un pays à l'autre et s'il existe des règles nationales et internationales pour la recherche, ces règles ne portent pas sur les conséquences que peut avoir l'application dans la pratique des découvertes des chercheurs. Cette situation n'est pas propre à la psychiatrie et jusqu'à présent ce sont des progrès dans d'autres domaines de la médecine qui ont soulevé des problèmes éthiques aux psychiatres. Dans les règles concernant des situations spécifiques qui accompagnent la déclaration de Madrid nous relevons celles sur le rôle du psychiatre ou plutôt sur le rôle que ne doit pas avoir le psychiatre dans le choix du sexe d'un enfant à naître ou dans la décision d'un don d'organe surtout dans le cadre d'une relation psychothérapique. Il s'agit là de situations fruits de progrès issus de la recherche, à propos desquelles on peut obtenir un consensus universel sur les règles éthiques.

Mais d'autres questions peuvent se poser au psychiatre pour lesquelles il est plus difficile d'édicter des règles universelles même si des organisations internationales s'y emploient. L'an dernier à Paris lors de la Journée Mondiale de la Santé Mentale à l'UNESCO le Directeur général, Frederico Mayor, avait tenu à ouvrir personnellement la réunion consacrée à "Ethique et Santé Mentale" par un discours où il insistait sur l'importance donnée à la bio-éthique qui constitue maintenant une section particulière de l'UNESCO mais vous savez que plusieurs pays ne font plus partie de cette organisation internationale.

Ici à Genève il est inutile de rappeler que l'OMS ayant pour directeur général un psychiatre, le Docteur Nakajima, l'intérêt porté aux problèmes d'éthique et en particulier ceux concernant les droits des malades mentaux est grand. Le Docteur Nakajima avait d'ailleurs commencé son discours d'ouverture du Congrès de Madrid en évoquant la figure de Philippe Pinel qui a le premier défendu ces droits.

La situation est en France paradoxale. Il existe un "Comité national d'éthique des sciences de la vie et de la santé" auquel sont soumis des questions portant sur la bio-éthique en général notamment sur les questions touchant la recherche clinique. Nous ne pensons pas qu'il serait souhaitable que la psychiatrie ait un comité propre, ce qui serait une fois de plus une ségrégation des malades mentaux, mais à l'inverse ont peut s'étonner qu'aucun psychiatre n'y siège alors qu'en font partie des psychanalystes.

De même une loi règle les problèmes des essais thérapeutiques essentiellement médicamenteux mais pas exclusivement, dont le protocole doit être soumis à un comité d'éthique et soumis au consentement des malades. Il est évident que la notion de consentement éclairé n'est pas facile à cerner chez des sujets souffrant de troubles mentaux. La question est encore plus délicate quand la recherche ne porte pas sur des essais thérapeutiques mais sur d'autres objets dont le malade ne peut escompter de bénéfices immédiats. Quel est le comité qui peut se prononcer en ce cas sur le caractère éthique de la recherche ?

Au cours d'une récente réunion organisée à Paris par la Fédération Française de Psychiatrie et l'INSERM deux de nos collègues ont accepté de nous présenter le fonctionnement de deux Instituts de recherche les plus avancés en Europe : celui de Londres et le Max Plank de Munich. Or nous avons eu la surprise d'apprendre que ni l'un ni l'autre n'avait de comité d'éthique propre, ni de règles définies à l'avance et que pour chaque projet de recherche les questions d'éthique étaient posées à des organismes différents.

Vous voyez quelle sera ma conclusion. Ne serait-il pas opportun que le Comité d'éthique de l'Association Mondiale de Psychiatrie compare ces règles nationales que la Résolution de Madrid nous demande de respecter ? Cette tâche serait d'autant plus urgente qu'une convention européenne sur la bio-éthique vient d'être signée par vingt et un pays le Avril 1997 en Espagne à Oviedo dans la principauté des Asturies et qu'elle doit être soumise à la ratification des divers parlements de l'Union européenne avec d'ailleurs la possibilité d'autres pays d'y adhérer. L'examen de cette convention par les différentes sociétés nationales constituant l'Association Mondiale de Psychiatrie représentées à ce 1er Congrès européen de Genève et la présentation de leurs conclusions lors d'un prochain congrès européen apparaît prioritaire.

* ancien président de la Fédération Française de Psychiatrie



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