Addictions : La surconsommation d'opioïdes est liée à la pauvreté
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Date: February 20, 2020 11:26AM
Mediscoop/Le Monde 20 février 2020
Chloé Hecketsweiler remarque dans Le Monde : « La pauvreté incite-t-elle à consommer davantage de médicaments opiacés ? Ou bien ces antalgiques entraînent-ils certains patients dans une spirale d’addiction et de déclin ? ».
La journaliste fait savoir que « pour la première fois, des économistes se sont penchés sur le cas de la France, et pour eux, dans l’Hexagone du moins, la première hypothèse est la bonne ».
Elle note ainsi que « l’augmentation du taux de pauvreté de 1% dans un département se traduit par une augmentation de 10% de médicaments opiacés ».
Chloé Hecketsweiler explique que « ces chercheurs de l’université libre de Bruxelles [ULB] ont exploité les données de vente d’antalgiques en France entre 2008 et 2017 – jusque-là jamais exploitées à l’échelle départementale – et plusieurs indicateurs socio-économiques : le taux de pauvreté – 14% en moyenne en France –, le taux de chômage, la densité de population ou encore le niveau d’éducation.
Cette approche leur a permis d’étudier l’influence de ces différentes variables, et de comparer les départements entre eux ».
Mathias Dewatripont, co-auteur, indique que « ce résultat valide l’hypothèse des “deaths of despair” [morts de désespoirs] américains ».
Chloé Hecketsweiler rappelle que « cette hypothèse explique la surmortalité liée aux drogues et aux médicaments par le blues de la «working class» américaine, prise au piège d’une économie en déclin. Aux Etats-Unis, les antalgiques opiacés ont ainsi causé au moins 200.000 décès depuis 1999. Près de 100 milliards de comprimés ont été distribués pour la seule période 2006-2014 ».
La journaliste s’interroge : « Cette crise pourrait-elle se propager en Europe ? La France arrive en quatrième position après le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Espagne pour la consommation d’opioïdes mais les autorités s’inquiètent de l’engouement des patients pour certaines molécules ».
« En janvier, l’Agence nationale de sécurité du médicament a ainsi placé sous surveillance le Tramadol, après avoir constaté une augmentation des mésusages et des décès. Il s’agit de l’antalgique opiacé le plus consommé en France avec des prescriptions en hausse de près de 70% en dix ans », souligne Chloé Hecketsweiler.
Mathias Dewatripont observe que « les gens dans la pauvreté, qui se sentent abandonnés des services publics parce qu’ils sont dans les zones rurales, qui sont moins éduqués et donc ont du mal à se réadapter au marché du travail, représentent une population à risque ».
La journaliste précise que « les auteurs se sont intéressés aux changements induits par la mise en place du revenu de solidarité active (RSA) à partir de 2007 dans une partie des départements et à partir de 2009 partout en France ».
Mathias Dewatripont note qu’« il y a un effet positif de cette politique en termes de réduction de la consommation d’opioïdes. Si vous avez mal au dos, et que vous êtes moins pauvre, vous avez davantage les moyens de vous payer un abonnement au fitness ».
Chloé Hecketsweiler ajoute que « cette étude suggère d’autres pistes possibles pour réduire la consommation d’opioïdes ». Ilaria Natali, coauteure, indique que « sensibiliser les médecins et les inciter à prendre davantage de précautions avec les patients à risque est une première piste. Il faudrait aussi améliorer la pharmacovigilance afin de détecter les patients qui font du shopping auprès de plusieurs docteurs et pharmacies ».
Le Pr Nicolas Authier, psychiatre, à la tête du centre de la douleur au CHU de Clermont-Ferrand et l’Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA), remarque pour sa part que « la précarité sociale rend plus vulnérable à certaines maladies associées à des douleurs chroniques ».
Chloé Hecketsweiler explique : « Le médecin souligne l’impact du mode de vie, notamment le tabagisme, plus élevé chez les personnes défavorisées. Une étude publiée en 2017 portant sur près de 190.000 personnes avait ainsi révélé que les cancers du poumon ou du larynx frappaient davantage les plus pauvres. Or 30% des opioïdes forts sont prescrits en cancérologie. De même, le diabète, dont les complications peuvent être très douloureuses, touche davantage les plus pauvres ».
Le Pr Authier souligne que « soigner suppose de prendre en charge le patient douloureux dans sa globalité, avec ses problèmes financiers, de logements, et pas seulement la douleur. […] Le temps d’écoute est très important. Or la place des travailleurs sociaux dans le parcours de soins est insuffisante pour une bonne prise en charge ».
Chloé Hecketsweiler relève en outre qu’« examinée à la loupe par les économistes de l’ULB, la consommation d’oxycodone – un antalgique 2 fois plus puissant que la morphine – n’est pas liée aux taux de pauvreté. Multipliée par 7 en 10 ans elle s’expliquerait par d’autres facteurs non pris en compte par leur modèle, comme l’impact du marketing des laboratoires ».