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Soins psychiatriques : Est-il bien justifié de tirer sur l’ambulance psychiatrique ?
Posted by: root (IP Logged)
Date: June 28, 2017 02:18PM

Est-il bien justifié de tirer sur l’ambulance psychiatrique ?
Jean-Jacques Bonamour du Tartre, psychiatre,
Président de la Fédération Française de Psychiatrie.

Texte adressé au journal le Monde, en réponse à l'article paru le 14 juin dernier dans sa rubrique Science et Médecine en Tribune : La santé mentale, une chose trop grave pour être confiée aux seuls psychiatres.


Les décennies se suivent et se ressemblent… Après les années de plomb autour de 2008, où l’on a vu politiques et média se déchainer contre la psychiatrie, les patients et les professionnels, il semble que les attaques prolifèrent en provenance d’autres bords, avec une violence étonnante, sans la nuance pourtant indispensable pour penser un sujet aussi complexe que sensible.

Sous l’alibi de la dénonciation de faits ou d’excès réels, mais localisés, les professionnels de la psychiatrie y sont volontiers présentés comme incompétents, inhumains, un tantinet sadiques, inefficaces et liberticides, et on ne peut que regretter que de certains mouvements associatifs paraissent trouver leur légitimité dans une véhémence quasi diffamatoire, et que trop souvent la caricature et la généralisation à partir de cas isolés priment sur une approche critique argumentée.

Par ailleurs, si la « défense du droit » des personnes est assurément une heureuse dimension du progrès dans la psychiatrie contemporaine, il est à se demander si elle n’est pas devenue l’étendard (le seul ?) de trop nombreux acteurs de ce champ, assimilant répétitivement les patients à des victimes du système, et contestant par ce biais toute légitimité à ses professionnels.

Arguant de l’arbitraire et du non-respect des personnes, c’est carrément un « non-soin » qui y est abondamment dénoncé comme faisant partie des usages ordinaires d’un monde dont il faudrait qu’il ne soit pas, tout simplement…
Une nouvelle anti-psychiatrie semble ainsi à l’œuvre aujourd’hui, peut-être nettement plus radicale que celle des années soixante, paraissant flirter avec le déni de la réalité de la pathologie, toujours prompt à s’emparer insidieusement des esprits dans notre domaine.

Jusqu’où ira ce furieux concours de « psychiatrie-bashing » ?
Nombreux sont les psychiatres craignant que tout cela ne soit que le signe précurseur du démantèlement de la psychiatrie d’adultes à partir de cette dé-légitimation, rejoignant ainsi le sort d’une pédopsychiatrie très lourdement attaquée depuis quelques années…

Quelques réalités méritant d’être rappelées

1. L’émergence d’un trouble ou d’une maladie psychique est presque toujours une catastrophe pour celui qui le subit. Le trouble psychique est par nature un phénomène qui violente terriblement, tant le sujet qui en est porteur, que son entourage, que les professionnels de toute qualification impliqués dans les soins, et sans doute au-delà. Autrement dit, si le trouble psychique fait fracture et scandale, il convoque un travail psychique important des professionnels, qui doivent s’identifier au « malade » pour en identifier le trouble, et s’engager dans les soins et l’accompagnement nécessaires et adaptés. A ce titre, tout l’environnement, familial et soignant, notamment, doit souvent dépasser un premier moment de stupeur, pour ensuite se mobiliser et s’impliquer;

2. Aucun soin ne saurait se faire dans ce domaine sans « le désir soignant » : si la psychiatrie a toujours eu à se coltiner avec une commande sociale qui exige encore plus de protection du groupe dans une société toujours en mal de sécurité, des générations de professionnels se sont investis pour faire de cette contrainte sociale une possible occasion de soins, et c’est faire insulte à leur engagement que de donner d’eux l’image de simples garde-fous, au sens propre du terme. Depuis Pussin et Pinel, les ancêtres fondateurs mythiques de la psychiatrie, ce désir soignant s’est ancré dans l’expérience de plus de deux siècles de la fréquentation quotidienne des « fous », aliénés ou autres malades psychiques, selon la terminologie propre à chaque époque ;

3. La démarche psychiatrique implique toujours un engagement durable des psychiatres et des équipes dans le soin et l’accompagnement : tout psychiatre, de secteur notamment, sait et gère comme il peut, avec tous ses collaborateurs, toute une population de patients qui ne tiennent en dehors de l’hôpital qu’à la condition que le phénomène d’affiliation par les soins soit consistant et permanent, et les équipes assument avec parfois beaucoup d’héroïsme la dépendance qui s’est dessinée ainsi ;

4. notre métier suppose de créer sans cesse du soin « sur mesure » : au-delà des données scientifiques connues, nous savons que le « bon soin » est celui que le patient accepte au moment où il est en situation, c’est un soin co-fabriqué « in situ », manufacturé, en quelque sorte. Il convoque une multiplicité d’approches dans l’élaboration de projets de soin (la biologie, la psychopharmacologie, les psychothérapies, la psychanalyse, les soins institutionnels, parfois l’exercice d’une certaine contrainte, la compensation du handicap induit, ou encore les diverses aides psycho-sociales, etc.), et s’étaye à la fois sur la psychopathologie et le souci de l’accompagnement social de la personne ;

5. la préoccupation réglementaire s’aggrave de jour en jour dans le monde de la psychiatrie, institutionnelle notamment, désormais sur-occupé par la tenue des innombrables registres et certificats, par les processus de mise aux normes de tout genre, ou encore de gestion/regroupement. Ce faisant, on éloigne de plus en plus les psychiatres et les équipes de leur cœur de métier, car l’impact est phénoménal, de la préoccupation administrative et juridique, sur les services de soins (voire bientôt dans les cabinets), où l’on est de fait contraint à consacrer de plus en plus de temps et d’énergie à soigner les dossiers et à porter attention aux détails de règlements qui s’empilent à l’infini, plutôt que d’écouter les patients et d’inventer le soin, pour, grâce et avec eux ;

6. l’exercice de la psychiatrie au quotidien s’affronte avec les multiples carences en aval : les places manquent cruellement, dans tous les établissements censés aider les patients dans leur réinsertion professionnelle, dans leur réintégration par le logement, dans les circuits d’aide psycho-sociale, etc. ce serait une grosse méprise de mettre au compte d’une incurie des psychiatres la stagnation croissante des patients dans des services de soins faute d’une solution médico-sociale notamment ;

7. les professionnels de la psychiatrie assument une grande solitude dans leur exercice : la psychiatrie a toujours été et restera sans doute toujours l’objet de reproches contradictoires, tantôt de ne pas assez bien « garder les fous », tantôt de les enfermer et de les maltraiter, tantôt de ne pas être « efficace » ; et la peur et le mystère qui entourent la maladie mentale persistent, agaçant fortement une époque où la vitesse d’évolution est fétichisée. Qu’ils le veuillent ou pas, les psychiatres sont toujours un peu vécus comme les concessionnaires de la folie humaine, à qui l’on est tenté d’en reprocher l’existence, la stigmatisation n’étant pas exprimée qu’à l’encontre des patients…

Pour conclure

Personne, en fait, ne conteste la réalité des difficultés et des insuffisances, que les professionnels dénoncent depuis très longtemps sans pour autant être bien écoutés, les pouvoirs publics étant notoirement pris depuis des décennies avant tout par le souci de contenir les coûts et d’harmoniser et de rationaliser « l’offre de soins » sur le territoire.

Aujourd’hui, le capital-temps des psychiatres et des équipes est très et trop largement entamé d’une part par la surcharge de travail (la psychiatrie est d’une certaine manière victime de son succès !), par des tâches non-soignantes d’autre part, ce qui assurément les perturbe parfois dans la liberté de penser et de l’inventivité nécessaires à l’exercice de leur art.

Il serait vraiment dramatique qu’on oublie cela : la pratique psychiatrique exige des professionnels qu’ils se confrontent souvent à une altérité radicale, sans doute portée par moments à la limite de ce qu’un être humain peut soutenir, et toute insuffisance dans la « maintenance technique et psychique » des équipes de soins est la porte ouverte à tous les faux pas, situation en passe de se généraliser, malheureusement.

Le contraste est pour nous saisissant, entre la confiance des patients et des familles en situation clinique, et la défiance trop souvent de mise au plan général ; mais si quelque chose peut encore être amélioré, la condition en est sans doute que professionnels et usagers comprennent progressivement leur intérêt commun et parviennent à mieux se faire entendre pour que les moyens nécessaires leur soient garantis.



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