Mediscoop / La Croix 19 avril 2018

« La crise des hôpitaux renforcée par les tensions entre médecins »

La Croix note que « dans un livre récent, des médecins se présentent comme des lanceurs d’alerte harcelés pour avoir dénoncé les dérives d’un hôpital obsédé par la rentabilité. L’ouvrage suscite un malaise dans le monde hospitalier, où certains estiment que ces souffrances sont souvent liées à des conflits entre les médecins eux-mêmes ».

Pierre Bienvault remarque ainsi : « Les hôpitaux sont-ils dirigés par des gestionnaires obsédés de rentabilité qui pousseraient au bord du suicide des médecins «lanceurs d’alerte» dénonçant des dérapages qui mettent en danger les malades ? Voilà la thèse d’un livre, Hôpitaux en détresse. Patients en danger [Philippe Halimi, Christian Marescaux, Ed. Flammarion], qui remue le monde de la santé. «Abus de pouvoir, harcèlement, suicides… Arrêtez le massacre !» proclame l’ouvrage ».

Le journaliste explique que « ce livre dénonce les «effets dévastateurs» d’un système qui contraint «à soigner vite par souci de rentabilité et d’économies». Une logique financière qui «pousse de nombreuses directions d’établissement à diminuer les effectifs et les moyens, puis à écarter violemment ceux qui s’opposent à ces stratégies mortifères». Des médecins racontent ainsi avoir été mis à l’écart par leur direction pour avoir révélé des vérités inavouables ou des dysfonctionnements graves ».

Pierre Bienvault relève que cette « présentation [est] jugée «caricaturale» par plusieurs directeurs, qui refusent cette image de «méchants gestionnaires» poussant au désespoir des médecins qui se battraient seuls contre le système ».
Marie-Noëlle Gerain-Breuzard, directrice du CHRU de Tours, remarque que « ces situations conflictuelles humainement douloureuses s’avèrent souvent, de l’intérieur, très complexes ». Et Philippe Vigouroux, directeur du CHU de Bordeaux, indique : « Même si on est redevables de la gestion de l’argent public, on est animés par une logique de santé publique ».

Pierre Bienvault souligne que « l’hôpital traverse une crise que nul ne peut nier. À cause, disent de nombreux soignants, de la tarification à l’activité (T2A). Un mode de financement qui, selon eux, pousse à privilégier des actes rentables ».
Un médecin déclare toutefois : « Faire croire qu’on est un lanceur d’alerte parce qu’on dénonce la T2A, c’est risible. Aujourd’hui, tout le monde le répète à longueur de manifs ou de lettres ouvertes à la ministre ».

Pierre Bienvault ajoute que « nul ne conteste non plus la souffrance de pas mal de praticiens croulant sous les tâches administratives et confrontés à une perte de sens de leur mission. Mais dans bien des cas, ces professionnels sont victimes de leurs pairs ».

Édouard Couty, médiateur national des hôpitaux, remarque ainsi que « 98% des dossiers qui sont dans mon armoire ont pour origine des bagarres entre médecins ». Le Pr Philippe Halimi note quant à lui que « la violence vient de l’institution qui, souvent, renvoie dos à dos maltraitants et maltraités ».

Pierre Bienvault observe que « dans presque tous les parcours douloureux racontés dans l’ouvrage, on trouve des conflits de personnes. Paradoxalement, l’hôpital, lieu de bientraitance, est aussi, souvent, celui d’affrontements d’une violence sidérante entre médecins. Pour des batailles d’ego ou de territoires. […] Désormais, cette face sombre n’est plus cachée ».

Édouard Couty souligne que « ces conflits peuvent atteindre des proportions invraisemblables et la médiation est difficile. Chercher le compromis, aller l’un vers l’autre n’est pas dans la culture hospitalière, qui repose davantage sur une logique d’affrontements et de rapports de force ».