Les propositions

Mettre en cohérence les différents niveaux de planification

 

Il est urgent d’intégrer la psychiatrie dans la médecine et la santé mentale dans la cité. L’évolution sociologique et économique des 40 dernières années et la volonté de poursuivre le désenclavement de la psychiatrie et son rapprochement du système sanitaire général et également des champs médico-social et social, imposent la mise en cohérence des différents niveaux de planification.


1-     Effectuer la révision globale et le rapprochement des cartes sanitaire, psychiatrique, sociale, judiciaire et scolaire, au niveau national, dans le sens d’une identité des découpages, pour une planification possible. Le travail d’harmonisation des logiques territoriales de ces différents secteurs est indispensable, mais il est bien entendu politique, à mettre en œuvre par la DATAR, l’INSEE ou le Commissariat Générale au Plan ;

2-     Réviser les délimitations cadastrales des secteurs actuels (pour tenir compte des modifications socio-économiques intervenues, des besoins nouveaux…), ce qui implique de lutter contre la « conception cadastrale et douanière »[1] de la politique de secteur. Cette évolution suppose évidemment une évolution majeure des mentalités de tous les acteurs.

3-     Développer des SROS unifiés comprenant un volet santé mentale obligatoire (comme certains départements ont commencé à le faire).

4-     Confier la mise en cohérence des différents niveaux de planification au niveau régional. Soit des Agences Régionales de l’Hospitalisation aux missions sanitaires plus complètes, qui auraient des missions régionales d’impulsion, de financement et de contrôle et où la représentation démocratique serait dominante. Soit de véritables Agences Régionales de Santé dans une évolution, qui semble souhaitable et souhaitée, de la décentralisation.

5-     Réaliser l’articulation et la mise en cohérence de l’offre psychiatrique et médico-sociale.  Afin de faciliter au mieux le soin et l’insertion des personnes souffrant de troubles mentaux et d’éviter la création des “ nouveaux ghettos sociaux ”. Cela pourrait être fait en intégrant la planification médico-sociale au niveau des ARH (avec participation des parlementaires et élus locaux aux décisions), en attendant les ARS. Cette extension des missions des ARH pourrait peut-être également inclure le domaine social, bien que la question soit complexe étant donné les séparations réglementaires et financières actuelles.

 

Définir des outils d’aide à la décision adaptés

 

6-    Elaborer d’urgence des outils de planification et d’évaluation de l’offre suffisamment fins et opérationnels pour que chaque secteur et regroupement de secteurs disposent de moyens adaptés aux besoins des populations desservies et puisse garantir un accès équitable aux soins.  Donc en rien une répartition nationale identique des moyens, mais une dotation suffisante par secteur pour garantir cette équité. Il est essentiel de réduire, pour les supprimer, les inégalités en tenant compte des spécificités.

 

7-    Engager la réflexion et la concertation sur un PMSI-Psy repensé et dont l’objectif principal ne soit pas que gestionnaire. On note un début d’évolution dans ce sens : la nouvelle version du “ Rapport de Secteur ” (exercice 2000), en cours de test, devrait mener à l’analyse plus qualitative de la prise en charge des secteurs. Le chemin sera certainement long et nécessitera une recherche dans toutes les régions de France, la modélisation pouvant varier d’une région à l’autre.

 

“ Il faut s’attendre à ce que l’évaluateur de demain (et peut-être d’aujourd’hui) audite les processus internes, recueille l’avis des malades, examine la qualité des prises en charge au regard de référentiels internationalement reconnus et eux-mêmes en constante amélioration, alors que le planificateur d’hier scrutait prioritairement le nombre de lits autorisés, à comparer à des besoins théoriques, eux-mêmes définis via des “ indices lits/population ” relativement stables dans le temps. On voit par-là que l’obsolescence risque de gagner bien vite les raisonnements construits sur le nombre de secteurs, de lits, des places… Ce qui compte de plus en plus, ce sont les soignants et la qualité de leur savoir-faire : travailler sur l’offre, c’est donc désormais se prononcer sur leur nombre, sur leur formation, sur l’acquisition des compétences en cours de carrière, sur l’apprentissage du travail en réseau, sur la transférabilité des bonnes pratiques. ”[2]


Mener la politique de sectorisation à son terme : passer de la psychiatrie à la santé mentale

 

Pratiques en Psychiatrie : travail de soins spécialisés en milieu strictement sanitaire.

 

Pratiques dans le champ de la Santé Mentale : travail de prévention, de soins et de réinsertion, associant les savoirs initiés aux savoirs profanes, en milieu sanitaire et dans la communauté par une pratique de réseau ou “ activité AVEC personnes et instances pour aider la société à mieux faire avec le MAUVAIS OBJET qu’elle a tendance à proscrire.[3] ”

 


Nous proposons une mutation du dispositif de psychiatrie qui permette d’aller vers les personnes malades ou souffrantes, avec les professionnels sanitaires, médico-sociaux et sociaux et avec les élus locaux. La logique doit être de type réseau plus que de type institutionnelle.


Cela nécessite une sorte de “ révolution psychiatrique ” qui redéfinisse les rôles des différents soignants et confie plus de responsabilité à tous les para médicaux (surtout les infirmiers qui sont particulièrement sous-utilisés) sous la “ direction ” du médecin. Cette meilleure répartition des rôles et cette meilleure sollicitation des talents des uns et des autres permettraient également d’envisager différemment les problèmes de démographie médicale.


Il ne peut être question de mettre les psychiatres partout et pour tout faire mais, au contraire,  de réaffirmer le caractère sanitaire des missions de la psychiatrie, c’est-à-dire :

§       bien prodiguer les meilleurs soins spécialisés et diversifiés aux clientèles spécifiques des structures sanitaires,

§       tout en participant aux diverses structures sociales, médico-sociales et communautaires impliquées dans la santé mentale

§       grâce à une articulation coordonnée des complémentarités (c’est-à-dire des spécificités et des limites de chacun), dans un réseau global, à l’échelle d’une bassin de santé.

Nous soutenons les propositions suivantes :

1. Maintenir le principe de la sectorisation psychiatrique et le mener à son terme sur tout le territoire national

Le concept est toujours pertinent par ses principes fondamentaux de proximité et de continuité des soins, ainsi que par la notion d’implantation, dans une zone géographique accessible, d’une équipe pluri-professionnelle fonctionnant en réseaux sanitaires et sociaux. Le secteur est une option thérapeutique et pas la délimitation d’une aire géographique, ni seulement un dispositif fonctionnel. C’est le seul cadre qui permet d’aborder les tâches de santé publique réclamées par les intervenants de terrain : souffrances psychiques liées à la précarité sociale, toxicomanies, alcoolisme, maltraitances, ...

Cela signifie alors d’achever la sectorisation de l'ensemble des services publics de psychiatrie, y compris les quelques services, universitaires ou non, de l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) et à Lyon, qui ne le sont pas encore. Nous sommes en total accord sur ce point avec le rapport récent (2000) que la Cour des Comptes a consacré à la psychiatrie publique.

 

 

2. Créer, par bassin de santé ou territoire pertinent, un service territorial de psychiatrie (STP) articulé à un réseau territorial de santé mentale (RTSM).

 

Le Service Territorial de psychiatrie (STP)

Les missions

Le STP a pour mission d’assurer, en lien avec les autre acteurs sanitaires, les soins psychiatriques pour les personnes souffrant de troubles mentaux sur le territoire.

 

L’organisation

Il est composé du regroupement des secteurs de psychiatrie générale et des secteurs de psychiatrie infanto-juvénile.

C’est un établissement public de santé mentale communal ou intercommunal, présidé par un maire et avec conseil d ’administration, commission médicale d’établissement et comité technique d’établissement,  etc… Les STP rédigent, tous les 5 ans, leur projet d'établissement. Les PSPH doivent pouvoir participer à ce nouveau dispositif.

 

Il est co-dirigé par un directeur administratif, un directeur médical et un directeur para-médical.

Son territoire est le bassin de santé ou le territoire pertinent

La gestion financière des STP doit être autonome et non fongible dans les budgets sanitaires généraux.

 

La composition de l’offre de soins en psychiatrie générale au sein du STP 

 

En application des principes de soins de proximité et de continuité, l’ensemble des structures de soins d’un secteur doit être implanté sur le secteur géographique concerné et ces structures doivent être “ ouvertes ”.

Nous faisons nôtre l’affirmation de Mme La Présidente de la FNAP Psy : “ Une hospitalisation, que ce soit en médecine somatique ou en psychiatrie, ne doit intervenir que si la personne ne peut être soignée chez elle ”. 

L’offre de soin au niveau de chaque secteur est composée des éléments suivants :

 

1.     Une équipe 24/24h de soins à domicile,

Dans les secteurs urbains ou à forte densité d’urbanisation, le développement d’équipes travaillant en soins ambulatoires et hospitalisation à domicile, disponibles 24h/24 (comme cela se fait ailleurs en Europe et dans quelques secteurs en France) devrait être l’une des bases, l’un des points centraux, avec les CMP, du travail de l’équipe de secteur.

 

Cela devrait permettre entre autres avantages :

ü      d’éviter la rupture avec l’environnement des personnes et de mieux intégrer aux soins la famille et les proches ;

ü      de diminuer le recours à l’hospitalisation à temps complet ;

ü      de travailler étroitement avec les médecins généralistes et les thérapeutes libéraux dans le cadre de réseaux ville-hôpital ;

ü      de prendre en compte les besoins de soin en psychiatrie dans les structures médico-sociales et sociales du secteur en proposant des protocoles de collaboration adaptés ;

ü      d’assurer la continuité des soins et d’éviter les ruptures si fréquentes dans les prises en charge ;

ü      de rapprocher le travail du secteur des urgences de l’hôpital général qui sont une des portes d’entrée les plus utilisées par la population.

 

Bien entendu cela signifie que la personne doit avoir un domicile. Si ce n’est pas le cas l’organisation d’entraide sociale doit être à même de proposer des procédures rapides d’accession à un domicile individuel ou collectif de secours puis durable. Ceci sera repris dans la partie sociale de ce texte mais l’on doit avoir en mémoire la phrase : “ sans toit on ne peut s’occuper de soi ”[4]. Il faut repenser le rapport domiciliation-soins dans la sectorisation.  Le problème des SDF doit en tout état de cause être envisagé dans une optique de continuité des soins. Les systèmes de répartition des SDF par secteur doivent être adaptés à la mobilité des patients mais aussi à une certaine “ domiciliation par zone ” des SDF dans les cités.

 

 

2.     Des Centres Médico-Psychologiques ouverts de 8h à 20h et samedi matin.

 

3.     Des structures de soin et d'insertion intégrés dans les lieux municipaux ou associatifs

 

L’implantation des structures et/ou des activités de soins ambulatoires intégrées dans la communauté doit être recherchée et favorisée (par exemple : ouverture de consultations de psychiatre ou de psychologue dans les Centres Communaux d’Action Sociale (CCAS), les circonscriptions de service social, les cabinets de groupe des médecins généralistes et spécialistes “ libéraux ”).

 

Elles doivent être associées aux structures et actions des professionnels sanitaires et sociaux par l’établissement de conventions précisant les mises à disposition mutuelles en temps de personnels et en lieux. On rapprochera ces implantations des propositions de création des “ maisons de santé ” du rapport Polton[5].

 

Ces nouvelles implantations favoriserait de manière “ naturelle ”, l’articulation nécessaire du dispositif soignant avec les institutions du secteur médico-social. Celles-ci sont en ce moment massivement dépsychiatrisées et démédicalisées, ce qui contribue à augmenter la charge du service public, et laisse sans soins adaptés des patients.

 

4.     des familles d’accueil, moyen essentiel d'aide aux personnes ayant des troubles psychiques et exemple d'intégration dans la communauté et de non stigmatisation. Dans certains cas elles peuvent servir d'alternative à l'hospitalisation (à l'exemple des pratiques de l'équipe de Madison aux USA).

 

5.     des appartements associatifs et thérapeutiques. Outil remarquable d'accès au droit au logement couplé avec les soins dans une volonté d'insertion. La pratique des baux glissants doit être encouragée. Parfois, dans des grands logements,  des locataires d'origines diverses, serait une solution à envisager. L'implication des bailleurs se fera dans le cadre des RTSM;

 

6.     un centre d’hospitalisation de 10 à 25 lits, implantés dans la zone géographique du secteur

Si un établissement hospitalier général est implanté dans la zone il peut alors être souhaitable, mais non systématique, en fonction des spécificités locales, que les lits d’un ou de plusieurs secteurs y soient implantés. Sinon, un centre d’hospitalisation de 10 à 25 lits peut être implanté sur la zone pertinente, voire même articulé avec une clinique privée, sous forme de convention.

 

Ces structures de proximité ne peuvent avoir un sens d’alternative à l’hospitalisation psychiatrique actuelle que dans ce lien d’intégration communautaire, et aussi de centralité de l’organisation et de la gestion des soins psychiatriques et de santé mentale sur un territoire déterminé.

 

Si la nécessité d’un traitement à plein temps en institution spécialisée est patente pour des personnes souffrant d’un trouble psychiatrique, rien ne vient prouver l’avantage de traiter trop longtemps ces personnes dans ces institutions. Il est par contre prouvé (cf. les expériences anglaises, italiennes, suédoises, américaines et françaises[6]) qu’une prolongation exagérée de la durée des hospitalisations installe les malades dans une rupture sociale péjorative pour leur avenir et les prive d’une part importante de leur capacité à se prendre en charge et à retourner dans leur environnement habituel.

On sait que la fréquentation des institutions marquées "psychiatrie", et ce parfois dès l'enfance, sur-stigmatise des populations déjà fragiles. Le poids de l’institution hospitalière, encore plus important quant il s’agit des grosses institutions psychiatriques vient de plus pervertir l’organisation des soins en ne permettant pas la souplesse et la personnalisation indispensable à leur optimisation. Ceci ne signifie pas l’arrêt des soins mais le déplacement de ceux-ci au plus près du malade et de son environnement.

Il ne s’agit pas de l’externement des patients mais de l’externement des dynamiques de soin et d'insertion.

 Il devrait en résulter beaucoup moins de discontinuité des soins.       

 

 

Au niveau du bassin de santé :

 

1.     Un centre d’accueil intersectoriel ou centre 72h (CAI)

Aux personnes présentant une demande urgente au service des urgences de l’hôpital général il s’agit d’apporter des réponses véritablement professionnelles. Dans les zones urbanisées le Centre d’Accueil Intersectoriel (CAI) situé à proximité du service des urgences, dont l’organisation et la coordination se font au niveau d’un territoire déterminé (cf. plus loin) pourrait être l’outil adapté.

Ces réponses professionnelles ne peuvent être faites dans la précipitation, la standardisation ni se résumer à une orientation. Ces réponses exigent de prendre le temps nécessaire afin de permettre l’élaboration collective (la personne, les soignants et les proches) d’un projet de soin individualisé. Non seulement cette approche spécifique éviterait des hospitalisations hâtives et inadaptées, mais elle permettrait aussi que certaines hospitalisation soient réalisées en intégrant plus sûrement subjectivité et temporalité et de préparer mieux les soins ultérieurs, en prévoyant les partenariats. 

Le CAI devrait donc répondre à nombre de personnes passant par le service des urgences de l'hôpital (y compris les obligations de soin dans le cadre des "72h", cf. plus loin) et aux demandes hors urgence, en soirée et la nuit, qui s’adressent à lui.  La permanence téléphonique, outil indispensable aux utilisateurs du système de soin en santé mentale, devrait y être assurée.

Pour tout patient arrivant au CAI, le lien est obligatoirement fait avec l’équipe mobile 24/24h pour mettre en place le projet de soins dans la communauté, de même avec la famille et l’entourage, ainsi qu’avec les médecin(s) traitant(s) (généraliste et/ou psychiatre). Ce centre est le lieu de la contractualisation des soins communautaires. Les durées de séjour doivent être courtes, pour ne pas créer un système de soins à deux vitesses.

 Les professionnels de ces centres devraient pouvoir participer, après les formations indispensables, aux cellules d’urgences médico-psychologiques (CUMP), qui doivent être liées aux équipes des SAMU après la redéfinition en cours de leurs missions, objectifs, circonstances d’intervention et des moyens mis leur à disposition.

 

2.     La psychiatrie de liaison à l’hôpital général

La psychiatrie de “ liaison ” dans les services somatiques de l’établissement devrait être organisée à partir du ou des secteur(s) desservant le bassin de santé (comme cela est fait à Bondy, Dax, Le Havre, Birmingham, Trieste, au Portugal, etc.).

 

Il y a intérêt à développer cette psychiatrie de liaison, et à ne pas la considérer comme une annexe ou un accessoire de l’équipe de secteur.

 

3.     Les soins aux détenus

Ce point est développé plus loin

 

4.     Les dispositifs de soins aux populations en grande précarité

 

 

5.     Les patients atteints par le VIH.  Le bilan de la mise en œuvre des recommandations données dans le cadre de la circulaire 96-494 du 5 août 1996, pour améliorer la prise en charge des patients atteints par le VIH et la prévention de la transmission du VIH parmi les patients suivis en psychiatrie, montre que ces questions ont été prises en compte. Notamment par la création de Comités Sida au sein des établissements psychiatriques et la mise en place d’équipes mobiles pluri-professionnelles « Psy-VIH », émanant des secteurs, véritables modèles de ce qu’une psychiatrie de liaison serait en droit de proposer face à l’ensemble des pathologies qui associent de graves difficultés somatiques, psychiatriques et sociales.

 

Un programme d’actions à mener concernant les risques liés aux pratiques sexuelles en psychiatrie est donc en cours et propose d’élaborer des recommandations concernant :

ü      l’infection à VIH et les maladies sexuellement transmissibles

ü      la contraception et les interruptions de grossesse

ü      les abus et violences sexuelles.

 

 

 

 



[1]  Dr M. Minard, Dax.

[2] S. Paul, IGAS, in Rhizome n°3 déc. 2000 (qui prouve encore une fois que Lucien Bonnafé avait raison :“ Des hommes plutôt que des murs ”)

[3] Lucien Bonnafé, encore…

[4]  Dr Emmanuelli

[5] L’aménagement du système sanitaire en 2020

[6] cf. Les résultats de l’enquête HID en institutions psychiatriques, F. Chapireau Ibid cit.



suite


Dernière mise à jour : jeudi 6 septembre 2001 17:38:19
Dr Jean-Michel Thurin