Les usagers et les familles

Le déploiement de la psychiatrie vers le champ de la santé mentale se fera avec les usagers, leurs associations et les associations de familles

Le constat

1.    Les usagers réclament le respect de leurs droits

Les usagers[1] du système de soins psychiatriques sont la raison d’être de la psychiatrie mais ils n’ont que chichement accès à la parole publique. Dire que les organisations soignantes sont centrées sur le patient implique de lui reconnaître, de façon éminente, sa place et sa parole de sujet et citoyen. A ce prix, mais pas seulement bien entendu, sa subjectivité et son action peuvent apporter leur pierre à la dynamique collective de reconstruction de son devenir. N’oublions pas le : “ Nothing about us, without us ” (“ Rien sur nous, sans nous ”) slogan des personnes handicapées d’Afrique du Sud repris par des associations d’usagers américains et nord européens.

Mais qui sont ces usagers avec lesquels il s’agit d’établir un nouveau dialogue ? D’une part, les personnes qui utilisent le système de santé mentale (patients, familles et proches) et d’autre part, sur un plan plus institutionnel, les associations qui les représentent dans les instances où elles sont conviées par les derniers textes réglementaires. Plus loin, le trouble mental pouvant être l’apanage de tous, ce sont les associations généralistes d’usagers du système de santé, voire les associations de consommateurs, qui sont aussi concernées. Ce qui permet d’être utilisateur de services diversifiés dans le temps et donc de ne pas être usager (prisonnier ?) de la psychiatrie toute sa vie. Toute personne devrait être concernée et non pas seulement quelques-uns qui portent alors le poids entier de la stigmatisation.

L’usager c’est donc toute personne qui peut se sentir concernée, à un moment ou l’autre de sa vie, par un problème de santé mentale.

Le mouvement de la psychothérapie institutionnelle avait commencé, en son temps, à donner la parole aux “ malades ”, dans l’objectif de leur permettre l’accès à une identité effacée par le gommage asilaire. Bien qu’en France, comme à l’étranger, la désinstitutionnalisation d’une part, la multiplication des psychothérapies d’autre part, aient ouvert (sinon libéré) la parole, celle-ci se heurte parfois à la surdité surdéterminée des décideurs. Ce mouvement s’est trop souvent arrêté aux murs des hôpitaux psychiatriques, mais aussi des hôpitaux généraux. Les usagers, eux, tentent toujours de sortir de ces murs qui ont pris des formes trompeuses. Dehors, en effet, leur parole n'est-elle pas trop souvent confinée dans le cadre restreint intime et privé des psychanalyses et autres psychothérapies ?

Mais, au-delà de la parole, l’ouverture des portes vers l’autonomie leur est aussi souvent refusée par un autre confinement (dont elles ne peuvent que très difficilement sortir), bien pensant et protecteur, dans le monde clos des structures psychiatriques. Dans trop de lieux l’accès à la participation à la vie dans la cité et au travail en milieu ordinaire, l’accès au plaisir créatif culturel et même parfois affectif et sexuel leur est compté, mesuré, permis à moitié ou franchement interdit.

Le risque de l’engagement personnel par l’usager, moteur de sens pour la vie de chacun d’entre nous, n’est pas assez encouragé ni même accompagné.

Ainsi, une récente enquête[2] sur les personnes handicapées en institution a évalué le nombre de personne “ non autorisées à sortir ”. Les réponses sont exposées dans le tableau ci-dessous

Question : “Dans vos déplacements hors de l’établissement,

êtes-vous gêné(e) du fait d’un handicap ou d’un problème de santé ?”

Effectifs de réponse de la Catégorie 0 :  “ SANS OBJET. NON AUTORISE A SORTIR ”

 

Etablissements pour adultes handicapés

Soins hospitaliers de longue durée

Etablissements pour personnes âgées

Etablissements de soins psychiatriques

Proportion de la popul.  hébergée

12

30

17

24

Effectif estimé

10 000

21 000

71 000

11 000

C’est dans les unités hospitalières de long séjour que la proportion est la plus forte (30%). En raison des effectifs sur lesquels portent ces proportions, le nombre de personnes concernées est six fois plus élevé dans les établissements pour personnes âgées.

Sur ces quatre catégories d’établissements, il existe un effectif estimé de 113 000 personnes qui déclarent spontanément ne pas être autorisées à sortir, dont 10 % se trouvent dans un établissement de soins psychiatriques.

Ce constat provient peut-être de la méconnaissance, par certains professionnels, des réalités quotidiennes ; peut-être, pour certains nostalgiques, d’une conception “ primitiviste ” de l’homme malade ; peut-être encore des traditions de toute puissance médicale et de la difficulté, pour certains professionnels, de sortir du champ clos de la psychiatrie, de s’engager avec les usagers et avec leur famille mais aussi avec les professionnels des autres champs et, enfin, de se mettre en seconde ligne quand il le faut ?

La participation des usagers à chaque étape de l’élaboration des stratégies thérapeutiques (quelles que soient les techniques de soins) sera l’un des moteurs les plus importants du changement de la politique des soins en santé mentale.

Il est frappant de constater, en France, le peu d’écho des expériences européennes allant dans ce sens. L’explication la plus fréquemment avancée est le souhait de ne pas se rapprocher des évolutions anglo-saxonnes, italiennes, suédoises ou autres par crainte, notamment d’une perte identitaire.

Pourtant, le projet de loi de modernisation du système de santé va clairement dans le sens d’une reconnaissance et d’un renforcement de la place de l’usager dans le système de soin, en posant les principes de consentement libre et éclairé, la possibilité de refuser un traitement, l’accès direct du patient à son dossier médical et l’obligation pour le médecin d’apporter la preuve de l’information du patient. Ceci implique que les usagers ont non seulement des droits mais aussi les devoirs de tous dans la collectivité.

Les droits réclamés par certains mouvements d’usagers de la psychiatrie - soutenus en cela par des praticiens de la psychiatrie, de la justice et des militants des droits de l’homme et du citoyen - sont réputés de “ discrimination positive ”. Nous y préférons le principe de la reconnaissance du patient psychiatrique comme un citoyen à part entière.

Les usagers mènent une lutte contre les internements arbitraires ou abusifs, suivant en cela l’évolution de la jurisprudence française et des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Ils réclament la révision de la Loi du 27 juin 1990 et la nécessaire effectivité et opérationnalité des droits d’appel, de recours, de défense, de contrôle.

La défense des droits des usagers de la santé mentale s’est récemment traduite par la publication de deux documents :

§       une charte de l’usager en santé mentale, signée par la secrétaire d’Etat à la santé et aux handicapés, la FNAP-Psy et la conférence nationale des présidents de CME de CHS, énonce les principes suivants. L’usager en santé mentale est :

ü      Une personne à part entière  

ü      Une personne qui souffre

ü      Une personne informée de façon adaptée, claire et loyale

ü      Une personne qui participe activement aux décisions la concernant

ü      Une personne responsable qui peut s’estimer lésée

ü      Une personne dont l’environnement socio-familial et professionnel est pris en compte

ü      Une personne qui sort de son isolement

ü      Une personne citoyenne, actrice à part entière de la politique de santé et dont la parole influence l’évolution des dispositifs de soins et de prévention

§       un livre blanc des partenaires de Santé Mentale France[3], regroupant des patients des soignants et des familles, qui énonce trois objectifs :

ü      Faire exister la population des personnes souffrant de troubles psychiques vivant dans la cité,

ü      Informer la collectivité sur la vraie nature du handicap “ psychique ” et sur les risques qui lui sont liés et

ü      Aider les responsables du social dans la cité et ceux qui vont répartir les ressource disponibles et les validations officielles, à faire en sorte que les droits des personnes en cause soient mieux protégés.

On peut d’autre part noter que le nombre d’associations locales d’usagers de la santé mentale augmente (nombre d’inscrits à la FNAP-Psy) ainsi que les colloques ou congrès “ donnant la parole aux sans voix ”[4].

2.    Les familles et les proches appellent à un nouveau partenariat global

Les familles et les proches de personnes souffrant de troubles mentaux assument un lourd “ fardeau ”. D’ailleurs tout le monde s’accorde à penser que les familles dans tous les cas souffrent[5]. Les familles et les proches veulent être informées dès le début des troubles,  elles souhaitent des conseils pour l’intervention lors des crises et pour les actes du quotidien, une continuité des soins, un système social cohérent (logement, ressources, travail), une attitude empathique des professionnels et un soutien proprement thérapeutique s’il le faut.

La principale association représentant les familles et les proches est l’UNAFAM. Elle se déclare totalement solidaire des actions de la FNAP-Psy, ainsi que des équipes soignantes, qu’elles soient dans des structures spécialisées ou dans des cabinets en ville. Elle souhaite pouvoir œuvrer en collaboration avec tous les professionnels, juristes, assistantes sociales, éducateurs, amenés à intervenir dans l’accompagnement demandé, car le partenariat est une nécessité. La quasi totalité des associations  d’usagers et de soignants approuve cette orientation.

Elle souligne la réalité et l’importance, à son avis, de la notion de Handicap Psychique. Cette association précise qu’à ses yeux la notion de proximité et de continuité des soins est restrictive et que le besoin premier ne s’énonce pas en terme de lits et places mais plus en termes de proximité,  de continuité du suivi, d’accompagnement et de services.

L’UNAFAM souhaite témoigner de l’urgence des solutions à apporter. En effet, leur expérience au quotidien avec des proches qui souffrent de troubles psychiques leur fait dire que, dans le cas particulier du handicap psychique, une inadaptation des prestations offertes peut très vite mettre en cause les droits de la personne malade

 



[1] pour certains il serait moins polémique d’utiliser le terme d’ “ utilisateurs ” mais “ usagers ” est le terme choisi par les associations.

[2] F. Chapireau, A. Philippe, F. Casadebaig INSERM-CCOMS Enquête handicap, incapacité et déficience 2000

[3] Association française de psychiatrie, Comité d’action syndical de la psychiatrie, Conférence nationale des présidents de CME de CHS, Fédération d’aide à la santé mentale Croix Marine, Fédération nationale d’(Ex)PatientsPsy, Fédération française de psychiatrie, Ligue française pour la santé mentale et UNAFAM

[4] Pour reprendre l’expression de Paul Morin, sociologue québécois, lors du colloque “ Informer les usagers en santé mentale : qu’est-ce que cela change ? ! ” 5 avril 2001, Ministère de la santé

[5] cf. “ La santé mentale en population générale : images et réalités ” ASEP-OMS-EMPS Lille Métropole-Ministère de la santé-Ministère des Affaires étrangères- Rapport de recherche – Juin 2001



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Dernière mise à jour : lundi 3 septembre 2001 12:45:06
Dr Jean-Michel Thurin