Mediscoop/Libération 5 mai 2023

« La Haute Autorité de santé va-t-elle se sevrer du pouvoir politique ? »
Date de publication : 3 mai 2023


C’est ce que titre Libération, qui note que « l’institution est devenue au fil des années une puissante machine administrativo-sanitaire, mais peine à se démarquer du pouvoir politique. Avec un nouveau président et un nouveau collège, l’enjeu pour la HAS réside dans sa capacité d’acter enfin son indépendance ».
Eric Favereau remarque ainsi : « Ça y est, le collège de la HAS est au complet, avec un nouveau président, Lionel Collet, désigné par Emmanuel Macron. Depuis la semaine dernière, sont également arrivés 3 nouveaux membres au sein de l’instance décisionnaire de la dite structure (qui en compte 7) : Jean-Yves Grall, ancien directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes, Anne-Claude Crémieux, infectiologue que l’on a vue régulièrement dans les médias lors des différentes vagues de Covid, et enfin Claire Compagnon, qui était jusqu’à présent déléguée interministérielle chargée de la stratégie nationale autisme et troubles du neurodéveloppement ».

Le journaliste note que « c’est le jeu normal des nominations dans la sphère administrativo-sanitaire qui a fonctionné. Profitons-en néanmoins pour revenir sur cette HAS, drôle d’ovni dans le paysage sanitaire français. Créée en 2004, elle est d’abord une «autorité publique indépendante à caractère scientifique» ».
Il remarque que « son statut juridique d’Autorité publique indépendante (API) est ainsi la forme la plus aboutie en matière d’indépendance dont puisse disposer un organisme administratif en France. Encore faut-il qu’elle l’exerce ».
« La HAS a formellement trois missions : d’abord, évaluer les médicaments, dispositifs médicaux et actes en vue de leur remboursement ; ensuite, recommander les bonnes pratiques et élaborer des recommandations de santé publique ; enfin, mesurer et améliorer la qualité des hôpitaux, cliniques, médecine de ville et établissements sociaux et médico-sociaux », rappelle Eric Favereau.

Le journaliste remarque néanmoins que « la HAS ne s’est jamais imposée comme autorité indépendante. Aucun de ses présidents ne s’est battu sur ce point, à l’exception d’Agnès Buzyn, qui en a pris la tête entre 2016 et 2017. Elle a, à plusieurs reprises, confié à Libération que les pouvoirs publics ont assailli de demandes et de rapports la HAS, celle-ci n’étant plus, dès lors, maîtresse de son ordre du jour ».

« La HAS s’est finalement spécialisée comme une machine à fabriquer des normes sanitaires, s’enfermant peu à peu dans le moule d’une usine à faire du réglementaire, enchaînant les procédures d’accréditation et d’évaluation. Un travail parfois nécessaire mais étouffant. Et parfois ubuesque, tant certains récits d’évaluation des établissements de santé, aux critères d’évaluation loin du terrain, prenaient des allures kafkaïennes », continue Eric Favereau.
Le journaliste poursuit : « La donne peut-elle changer ? Certains se rassurent avec le profil du nouveau président : Lionel Collet a accumulé les fonctions, professeur de médecine, président de l’université Claude-Bernard Lyon-I entre 2006 et 2011, puis directeur de cabinet de l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Geneviève Fioraso, conseiller d’Etat. Bref, un beau parcours à la française. Mais notre homme ne s’est jamais manifesté par son indépendance ».

« Reste qu’un vent nouveau peut éventuellement venir de la présence inédite dans le collège de deux personnalités, Christian Saout et Claire Compagnon, qui ont construit une grande partie de leur vie professionnelle en s’engageant auprès des malades. (…) Tous les deux ont su être, à un moment, de fervents défenseurs de la démocratie sanitaire et de la place des patients dans les décisions de santé publique. (…) Pourront-ils résister à la novlangue administrative ? Sauront-ils faire preuve d’audace en donnant du souffle à une HAS devenue bien conforme aux souhaits du politique ? Le défi est là, bien réel dans un monde de la santé en manque cruel de légitimité », conclut le journaliste.