Gestion de la santé : Patrick Bouet : « L’accès aux soins pour tous n’est plus garanti »
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Date: April 30, 2018 11:12AM
Mediscoop / JDD 30 avril 2018
Dans le JDD, Patrick Bouet, le président du Conseil national de l’ordre des médecins « dénonce la désorganisation du système et réclame une réforme globale au gouvernement ». Un sujet qui fait la Une du journal qui titre « Santé en France : le livre qui accuse ».
Dans ce nouvel ouvrage*, « le généraliste livre son inquiétant diagnostic : l’impératif de réduction des dépenses serait la seule véritable boussole de nos dirigeants politiques. (…) Le docteur Bouet propose aussi quelques remèdes : la construction de projets collectifs ancrés dans les territoires et des investissements financiers massifs », rapporte le JDD.
« Ne cédez-vous pas au catastrophisme en parlant d’une « explosion programmée » du système de santé ? », lui demande Anne-Laure Barret. « Ce n’est pas un énième cri d’alarme mais l’aboutissement d’une réflexion de cinq ans. Une réflexion basée sur une connaissance du terrain – l’institution que je préside est présente dans chaque département – et aussi sur ma propre expérience : je suis généraliste en Seine-Saint-Denis depuis quarante ans », se défend le médecin qui dénonce un système « à bout de souffle ! ». « Si la machine continue de tourner, c’est grâce à l’engagement des aides-soignantes, des infirmiers, des kinés et des médecins, étudiants, libéraux ou salariés du public et du privé. C’est miraculeux qu’ils continuent de croire en leur mission ! », estime-t-il.
Au magazine La Croix, il évoque « l’attente de « trois à douze mois » pour un rendez-vous d’ophtalmologie mais aussi de « cinq à douze heures » dans les services d’urgence. « Le vieillissement de la population et le traitement de maladies chroniques ou de polypathologies nous imposent de repenser le système », explique au magazine Patrick Bouet. « Ces personnes pourront-elles rester chez elles ? Si oui, auront-elles accès à des infirmiers, des kinésithérapeutes, des médicaments et des technologies nécessaires à leur prise en charge ? Pourront-elles être reçues à l’hôpital en cas de pathologie aiguë ? Pour résoudre ces défis, il faut arrêter de penser économie pour repenser solidaire », martèle-t-il.
« Depuis des années, les professionnels de santé et les élus locaux, maires de petites communes en tête, répètent que l’accès aux soins pour tous, de façon équitable, n’est plus garanti sur tout le territoire. Aujourd’hui, les patients, représentés via la fédération France Assos Santé, font le même constat. Eux aussi se demandent s’ils pourront demain être traités près de chez eux, ils s’inquiètent de l’émergence d’une médecine à deux vitesses, du défi que constitue le vieillissement », poursuit-il, craignant que « le projet en préparation au ministère de la Santé soit plus un cataplasme que la réforme globale attendue par l’ensemble de la population ».
« La doctrine économique a progressivement éloigné le système de santé de ses valeurs fondamentales: l’équité, la solidarité. Elle a façonné une machine à gaz ambiguë qui ne permet pas l’accès aux soins partout, qui ne favorise ni l’innovation ni la recherche », dénonce-t-il.
« La maîtrise des dépenses est-elle vraiment la cause des maux actuels ? », demande la journaliste. « Les budgétaires ont bel et bien triomphé sur les sociaux. L’économie de la santé et ses disciples ont imposé leur dictature dans les cabinets ministériels, la haute administration, au détriment de l’exigence de solidarité et d’innovation thérapeutique », affirme le médecin.
Concernant « les maisons de santé, présentées comme la solution miracle dans les déserts médicaux », le généraliste estime qu’elles « ne sont pas une panacée ». « Pour nous, il faudrait partir d’une question simple : comment assurer l’accès aux soins de tous, dans un petit village de Lozère ou bien dans le lointain département de Mayotte ? Et y répondre de manière toute aussi simple : en organisant des équipes mobiles de santé, en mélangeant des libéraux et des hospitaliers », estime Patrick Bouet. « Je prône juste plus de mobilité, de fluidité, du travail en commun, des initiatives venues des acteurs d’un territoire plutôt que de l’administration sanitaire qui les surplombe », insiste-t-il. « Nous avons monté un observatoire des bonnes idées à l’œuvre dans tout le pays », annonce le médecin.
« La vraie solution, (…) ne serait-elle pas de réguler l’installation des médecins, comme celle des enseignants ? », interroge la journaliste. « Ce serait une erreur stratégique de penser qu’en contraignant les jeunes professionnels à s’installer dans les déserts médicaux, ils vont s’empresser de déménager à la campagne avec conjoint et enfants », répond Patrick Bouet.
Concernant l’hôpital « devenu une telle Cocotte-Minute », « les causes sont connues : hyperadministration, organisation défaillante, carences de main d’œuvre. Les personnels, complètement surexploités, sommés de produire toujours plus de soins pour que l’hôpital soit en équilibre, ont perdu le plaisir de travailler », estime le médecin.
« La prochaine réforme de la tarification des soins ne devrait-elle pas réduire ce malaise ? », demande Anne-Laure Barret. « La réforme du système de santé ne peut pas se cantonner à un toilettage de la T2A. Un autre problème important est le regroupement des établissements en groupes hospitaliers de territoire qui s’achève. La fausse bonne idée était de mutualiser les ressources et d’assurer une meilleure rentabilité en supprimant des services, en organisant des achats groupés. Dans les faits, cela ne fonctionne pas », rétorque le généraliste. « L’hôpital s’est parlé à lui-même. Il s’est réorganisé tout seul en oubliant les usagers, les élus locaux, le monde libéral, les cliniques. Il faut apporter une réponse collective aux patients », insiste-t-il. « Il faut repenser ce premier recours le soir et le weekend, inventer de nouveaux systèmes de garde, ne pas se focaliser sur ce que cela coûte mais investir massivement », ajoute-t-il.
« En janvier 2017, l’ordre avait formulé des pistes de réforme très concrètes, comme la rédaction de protocoles de coopération entre les médecins et les autres professionnels de santé, la généralisation d’un numéro d’appel entre médecins et hôpital pour permettre l’hospitalisation directe des patients sans passage par les urgences, ou celle des messageries sécurisées permettant le suivi du patient (consultables par l’hôpital, le laboratoire, le généraliste, etc.)… Il évoquait même la possibilité que les médecins libéraux puissent utiliser les plateaux techniques hospitaliers ou que les praticiens hospitaliers puissent assurer des remplacements dans leur territoire » fait remarquer La Croix.
Le Magazine évoque le propos du président de l’AP-HP, Martin Hirsch sur France Inter, le 24 avril, qui « va dans le même sens » : « Dans les autres pays, il n’y a pas un hôpital avec ses murs d’un côté et le cabinet de ville de l’autre, il y a des systèmes intégrés où des médecins d’une même équipe travaillent autant côté ville ou côté hôpital. Cela remet en question les statuts, et on ne sait pas encore comment faire, tellement on est habitués à être les uns payés à l’acte, les autres salariés au mois », rapporte La Croix. « Une harmonisation des statuts, et donc des droits, entre le salariat et le libéral pourrait être un des chantiers – épineux – de la réforme à venir », souligne le magazine
« On parle de décloisonnement depuis des années mais il ne se passe malheureusement pas grand-chose », relève dans La Croix Jacques Battistoni, président du syndicat des généralistes MG France, « évidemment favorable » à une plus grande « fluidité » dans les parcours des patients. « La difficulté de l’hôpital, c’est qu’il n’a pas d’interlocuteur identifié hors les murs – en ambulatoire – pour nouer des partenariats. Améliorer l’hospitalier revient de fait à améliorer l’ambulatoire, à nous donner les moyens administratifs et numériques de nous organiser», reconnait-il.
« La prévention, vantée par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, vous semble-t-elle un objectif prioritaire de santé publique ? », demande la journaliste du JDD à Patrick Bouet. « Les Français consomment trop d’alcool et de tabac, l’obésité est une véritable épidémie, c’est un fait, et il faut agir sur les grands facteurs de risque. Mais la prévention ne doit pas servir qu’à faire diminuer les dépenses de l’Assurance maladie. Il faut investir pour bâtir une vraie politique », insiste-t-il
« Et les nouvelles technologies ? », s’interroge Anne-Laure Barret. « Dans mon cabinet, à 9 kilomètres de Paris, je ne peux pas recevoir une radio dématérialisée car ma connexion est trop lente. Il faut d’abord résorber la fracture numérique, au moyen d’investissements, avant d’imaginer un déploiement massif de la télémédecine », répond le médecin. « Les nouvelles technologies, très prometteuses, ne résoudront pas comme par miracle tous les problèmes de notre système. Et elles ne remplaceront pas les humains (…) », conclut le Dr Patrick Bouet.
* SANTÉ : EXPLOSION PROGRAMMÉE, ÉDITIONS DE L’OBSERVATOIRE, 192 P., 17 €.